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Il y a 25 ans, le 6 mai 1994, le tunnel sous la Manche était inauguré par le président de la République française, François Mitterrand, et la reine d’Angleterre, Élisabeth II. Après sept années de travaux, celui que l’on a baptisé « le chantier du siècle » offrait un lien fixe entre la France et le Royaume-Uni, après plusieurs tentatives avortées.
Long de 50 kilomètres, dont 37 sous la mer, le tunnel sous la Manche a créé une liaison directe – les documents d’archives parlent du « lien fixe transmanche » pour le qualifier – entre le Royaume-Uni et le reste de l’Union européenne. Lors de l’inauguration de l’ouvrage, qui restera un moment historique, François Mitterrand soulignera les retombées économiques bénéfiques du tunnel pour les deux pays de part et d’autre du détroit du Pas-de-Calais.
On lui doit aussi l’accélération de la desserte ferroviaire du Nord de la France, et l’intensification du réseau routier et autoroutier sur le littoral. 25 ans plus tard, ces espoirs ont-ils été comblés ? Selon un rapport commandé en 2016 par la société d’exploitation du tunnel au cabinet Ernst & Young, et publié deux ans plus tard (juin 2018), l’effet de l’infrastructure est clairement positif sur les économies européennes.
Rien qu’en 2016, on estime que le tunnel sous la Manche a « facilité » les échanges commerciaux entre le Royaume-Uni et l’Union européenne à hauteur de 138 milliards d’euros (Mrd€), soit 26 % du total des échanges entre ces deux zones géographiques. À titre de comparaison, en 2014, ces échanges étaient de 113,5 Mrd€. Le Royaume-Uni est de fait le deuxième partenaire commercial de l’UE à 27, derrière… les États-Unis.
Avec un poids de 10,5 Mrd€, l’agroalimentaire est la deuxième catégorie de produits et services exportés de l’Union vers le Royaume-Uni – les poissons, crustacés, fruits et légumes pèsent pour 3,4 Mrd€ ; la viande pèse pour 2,3 Mrd€ –, derrière les services de fret postal et de messagerie rapide.
Le tunnel sous la Manche permet aussi le transport de marchandises de grande valeur, à l’image des produits pharmaceutiques, et/ou urgents. Une majorité de ces échanges s’effectue enfin avec des pays proches du tunnel, et connectés entre eux par un important réseau d’axes commerciaux : la France (10,9 Mrd€ d’exportations), la Belgique (12,9 Mrd€), l’Espagne (2,6 Mrd€) ou encore l’Allemagne (15 Mrd€).
Au-delà des échanges de marchandises et de services, le tunnel permet aussi le transit de passagers touristes ou en voyage d’affaires. Ainsi, en 2017, ce ne sont pas moins de 21 millions de passagers qui ont emprunté le tunnel, soit en voiture, soit via le service ferroviaire Eurostar.
Qu’en est-il pour la France ? Les voyants sont aussi au vert : « Le tunnel soutient les relations commerciales et culturelles uniques avec le Royaume-Uni », poursuit le rapport d’Ernst & Young. Les liens entre les deux pays y sont décrits comme « solides », avec un montant d’échanges commerciaux de 67,4 Mrd€ en 2016, dont 40,8 Mrd€ portent sur les exportations de la France vers le Royaume-Uni.
À lui seul, le tunnel permet à la France de réaliser 27 % (en valeur) de ses exportations outre-Manche et 22 Mrd€ d’échanges commerciaux directs. Les secteurs les plus concernés sont le matériel de transport, les produits chimiques et le matériel électrique. Dans le secteur agroalimentaire, la filière brassicole profite pleinement du lien créé par le tunnel puisque le Royaume-Uni reste une destination d’exportation majeure de la bière produite en France (15 % des exportations de bière française en 2016, pour 42 millions d’euros). D’après Ernst & Young, « le tunnel permet la livraison rapide et le maintien des stocks des détaillants britanniques et du secteur de l’hôtellerie ».
Porteur d’un certain nombre d’espoirs lors de sa mise en chantier, notamment pour l’emploi, le tunnel sous la Manche est aussi synonyme de craintes pour certains. « Les grands travaux occasionnent inévitablement des perturbations et des nuisances », rapporte en 1988 Alain Barré, maître de conférences à l’université de Lille 1, dans un document intitulé « Le tunnel sous la Manche et ses problèmes vus au travers de la presse française ».
En 1989, un autre rapport, corédigé par Pierre Bruyelle du laboratoire de géographie humaine de l’université de Lille 1 et Daniel Ghouzi, directeur de la Mission transmanche en région Nord-Pas de Calais, indique que les acquisitions foncières commencées en mai 1987 « sont pratiquement achevées ». Le rapport relève qu’elles ont concerné quelque 400 propriétaires. Néanmoins, preuve que les investisseurs n’ont pas regardé à la dépense, on constate que « 95 % des transactions portant sur 98 % des surfaces ont été réalisées à l’amiable ». En amont des négociations, et « à la demande des collectivités locales et des agriculteurs, un bureau foncier unique regroupant les trois maîtres d’ouvrage a été mis en place à partir de 1987 ».
Entre 70 et 80 exploitations seront touchées par ces emprises foncières, dont certaines seront entièrement rayées de la carte. « Bien sûr, les expropriés seront indemnisés et les maîtres d’ouvrage en cause (Eurotunnel, SNCF, DDE du Pas-de-Calais, ndlr) prendront en charge les dommages causés aux structures foncières, pointe le rapport d’Alain Barré. Mais où les cultivateurs souhaitant poursuivre leur activité pourront-ils retrouver des terres ? » L’étude d’impact réalisée sur 22 communes et confiée à la Safer Flandre-Artois avec l’appui de la chambre d’agriculture du Pas-de-Calais devait y apporter une réponse.
Au final, les acquisitions foncières auront porté sur quelque 890 hectares, répartis entre Eurotunnel pour la réalisation du chantier de Sangatte, la zone du fond Pignon (95 ha), le terminal (550 ha), la liaison entre Calais et le terminal (13 ha), la SNCF (85 ha) et l’état pour la création de déviations routières (150 ha). À elle seule, la zone du terminal Eurotunnel occupera 600 hectares sur lesquels 10 millions de mètres cubes de terrassements ont été effectués. 52 000 m2 de quais et de bâtiments y ont été construits, ainsi que 320 000 m2 d’aires ou de plateformes. Parmi ces zones, certaines d’entre elles sont encore loin d’être aménagées ou exploitées. Certains y verront la possibilité de développer de nouvelles activités quand d’autres regrettent de voir plusieurs dizaines d’hectares toujours en friche.
Vincent Fermon