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Il a 37 ans et a déjà atteint tous ses rêves de gosse. « Et au-delà », mesure-t-il à voix haute. Victor Delpierre est aujourd’hui à la tête d’une activité de conseil qui lui permet de travailler non seulement avec le plus grand chef qu’il ait jamais admiré mais avec tous les autres aussi.
Tout commence à Coulogne (62) où Victor Delpierre situe son premier souvenir : « Mon père m’avait fabriqué un petit banc pour que je puisse atteindre le plan de travail, j’avais 3 ou 4 ans et j’étais déjà obsédé par la cuisine », remonte-t-il, avant de dérouler : « Au lieu de dessiner des petites maisons, je dessinais des petits gâteaux, avec les différentes couches. Les gaufrettes, les moelleux : je dessinais des goûts. » Problème, Victor est bon élève et lorsqu’il annonce vouloir faire de la pâtisserie, ses profs de collèges s’y opposent : du gâchis. « D’ailleurs, je ne disais pas que je voulais devenir pâtissier, je disais que je voulais devenir Pierre Hermé. »
Une détermination et des objectifs hauts fixés qui l’aident à s’opposer au veto enseignant. « Et quand ils ont convoqué mes parents, qu’ils ont entendu ma passion ancrée, ils m’ont suggéré d’intégrer le lycée hôtelier du Touquet. » Établissement où il passe un bac technologique en hôtellerie puis un BTS en arts de la table et culinaire. Cinq années où il présentera à peu près tous les concours, en salle comme en cuisine, tout ça « pour vivre des moments exceptionnels et apprendre plus vite ». Celui qui s’adonne aujourd’hui au cyclisme distingue l’envie de gagner dans le sport de celle de s’améliorer dans son art. « Me préparer, me renseigner, m’entraîner », liste-t-il toutefois comme un athlète de haut niveau qui promet que « l’intelligence de la main, la précision du geste comme du goût » ne s’acquièrent qu’à force de travail.
Sa première compétition est le concours général des lycées – qu’il parrainait il y a deux petites semaines, comme une boucle bouclée -, suite auquel il rencontre Quentin Bailly, un pâtissier du cru qui vient de faire quatrième aux Worldskills, l’équivalent des Jeux olympiques pour les métiers. Notre compétiteur trouve « génial de pouvoir devenir champion » dans son domaine avant de réaliser qu’il n’est pas assez bon en pâtisserie. Comme les cuisines du lycée sont occupées, il opte pour le service en salle, gagne les sélections régionales puis le championnat de France en 2007. Il a 20 ans et intègre l’équipe de France des métiers.
Sur sa lancée, il écrit « à toutes les maisons 2 et 3 étoiles de France », reçoit deux réponses positives et s’envole pour le Martinez de Cannes, où il découvre en même temps la Côte d’Azur, le festival, les palaces. Il a pris soin de négocier ses horaires afin de pouvoir se préparer aux Worldskills : 40 épreuves depuis la découpe jusqu’à la composition florale en passant par le barista. « C’est comme ça que j’ai découvert l’univers café de spécialité. À l’époque je n’en buvais pas, trop amer. Je ne comprenais d’ailleurs pas comment on pouvait aimer une boisson qui fait grimacer. » Jusqu’à découvrir une somme de saveurs et de subtilités qui lui ouvrent un nouveau monde. « Et j’ai commencé à faire des boissons gourmandes, comme des desserts : l’opéra, la forêt noire revisités en boisson chaude. »
Quand il rentre du Japon où il a terminé quatrième des mondiaux, Victor Delpierre voit sa vie accélérée. « Le candidat qui avait gagné le concours mondial avant moi quitte son poste et me le propose : je passe de commis au Martinez à maître d’hôtel dans un bel établissement au-dessus de Monaco en six mois : un véritable ascenseur. » Là commencent les choses sérieuses : le passage de l’approche théorique de l’école et codifiée des concours au vrai monde. « Je découvre notamment qu’on ne sert pas un Japonais comme on sert un Américain, pas une rock star comme on sert un homme d’État. »
Pendant ce temps-là, comme chaque année depuis dix ans, Victor Delpierre envoie son CV au Ritz à Paris, l’institution ultime. Il finit par y être embauché en 2011 et fera la dernière saison avant la fermeture pour travaux. Assistant de direction dans la prestigieuse maison, il a sous sa responsabilité des personnes avec 30 ans de carrière. Et si les premiers mois sont difficiles parce qu’il est « testé, testé, testé », l’aventure est à la hauteur de ses attentes.
À ce moment-là une année sabbatique s’impose, où il décide de se rendre en Italie pour apprendre l’italien mais surtout pour se préparer au Coffee in good spirit, championnat du monde mixant techniques de barista (le café) et de mixologie (les cocktails). « Je monte une équipe de dix personnes, préparateur physique et mental, coach… et je me prépare pendant six mois, six jours sur sept. » Le novice en café crée sa recette, le CCC pour Café cognac et cigare. « Je suis non-fumeur mais je me souviens de cette scène : le jour de mon entretien au Martinez, j’attends dans un petit salon où se trouve un client. Il fume son cigare et boit un cognac et son café et il a l’air d’être au paradis, c’est l’extase pour lui. Mon objectif est alors de créer un cocktail qui puisse rassembler tout le monde et pas un digestif exclusivement masculin. » Après des mois d’équilibrage et de répétition, Victor Delpierre tient sa recette et sa chorégraphie. Il aura huit minutes top chrono pour servir deux exemplaires de son cocktail composé de café et de cognac d’exception ou encore de sirop de tabac maison, le tout présenté sous une cloche qui laisse s’échapper une nappe de fumée parfumée à l’orange.
Nous sommes en 2013 et alors que le championnat se tient pour la première fois en France, à Nice, il voit un Français atteindre la finale pour la première fois avant de le voir couronné. Victor Delpierre est champion de monde à 26 ans et il croit encore que tout va redevenir comme avant. « Mais mon téléphone commence à sonner, sonner. » Il répond aux invitations, dans 20 pays. Se retrouve à faire des cappuccinos sur la place Rouge devant 100 000 personnes. Et se lance dans une activité de conseil et événementiel. « J’ai créé mon propre univers, alliant toutes mes expériences, la pâtisserie, la cuisine, le bar, le service. Mon quotidien est de conseiller les chefs de la haute gastronomie pour créer des expériences, des rituels de service », détaille l’également très bon communicant. De la création de boissons sans alcool liées à l’identité du chef au sourçage de cafés d’exception en passant par le développement de recettes intégrant le café, Victor Delpierre fait du sur-mesure.
Jusqu’à cet aboutissement, l’hiver dernier, où il a été invité à créer les boissons des petits-déjeuners et autres tea-time pour Pierre Hermé à Saint-Barthélemy. Histoire de boucler la boucle encore une fois. Et maintenant ? « C’est merveilleux car j’ai atteint tous mes rêves d’enfants. Je pensais ne pas avoir assez d’une vie pour les réaliser et je suis aujourd’hui un homme apaisé. »
Justine Demade Pellorce