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Vendredi 23 février, 9 h. Les deux classes de 6e du collège Boris-Vian, à Marck (62), descendent du bus et rejoignent leurs hôtes du jour, j’ai nommé Manue et Stéphane Duchateau, à Marquise (62). Les collégiens sont divisés en deux groupes, l’un va aller découvrir le cycle de la culture du blé, l’autre sa transformation en pain. On emboîte le pas du groupe qui commence avec Stéphane histoire de démarrer par les champs. Dix-huit collégiens plus un chat qui passera de genoux en genoux prennent place sur les bancs face à l’agriculteur qui explique d’abord l’activité de la ferme (lire ci-contre).
Première surprise, certains savent que du colza on tire de l’huile, que le sucre vient de la betterave et qu’au même titre que le maïs, le blé est une céréale.
Le blé justement, quand le sème-t-on ? « En été ! », non ; « au printemps ! » non ; « à l’automne », égrainent les collégiens par hasard. La bonne réponse étant octobre. Et comment le cultive-t-on ? « On le sème ! », avec ? « un tracteur » et ? « une semeuse ». Logique. À ce stade, Stéphane Duchateau prend l’image du jardinage et du travail de la terre. Eh bien dans les champs on utilise ? « Une retourneuse », bien essayé, c’est en réalité une charrue. Les tout jeunes adolescents savent qu’une plante a besoin d’eau et de soleil, savent qu’au stade de graines elles craignent les oiseaux, « et les mulots », abonde Stéphane. Ils découvrent par contre qu’en hiver le blé dort, que s’il fait vraiment vraiment froid, genre -15 °C mais ça n’arrive plus jamais chez nous, il peut geler et qu’alors on préfère qu’il ait une couverture, comme nous quand on dort, sauf que ses 75 hectares, c’est-à-dire l’équivalent de 75 terrains de football, Stéphane ne peut pas s’amuser à les recouvrir de bâches ou de paille comme l’imaginent certains. « Eh bien dans ces cas-là, s’il fait vraiment froid, on préfère qu’il y ait de la neige pour former un manteau sur les champs et ainsi protéger le blé », raconte l’agriculteur.
Suivent des mots savants : le tallage, ce moment où le blé pousse à l’horizontale pour que d’une graine, on puisse en récolter presque 100 dix mois plus tard ; l’épiaison, quand le blé va former son épi à la fin du printemps – pour ne pas l’oublier Stéphane rappelle le dicton : “Le mois de mai ne s’en va pas sans son épi de blé” ; la floraison en mai avant… comment s’appelle le moment où on récolte le blé ? “La moisson”, savent certains.
Là, les différentes étapes, la différence entre la tige, coupée par la moissonneuse-batteuse, et le chaume, qui reste dans le champ. Cette tige qui, débarrassée de ses graines “dans le ventre de la moissonneuse”, ça s’appelle aussi une trémie, devient de la paille. Paille qui va servir à ? “Nourrir les bêtes ! “, non, ça leur servira plutôt de lit, c’est le foin que mangent les vaches en hiver : de l’herbe séchée.
Certains savent encore que les grains sont ensuite transportés dans des silos, ils ont déjà vu des remorques en bord de champs mais ils ne devinent pas tout à fait ce que peut bien faire Julien, le fils de nos agriculteurs, pendant que Stéphane enchaîne les allers-retours avec la moissonneuse-batteuse (une fois pendant 56 heures d’affilée !) et que Manue conduit, elle, la remorque. Ah si, quelqu’un a une idée : “Il joue à la Play !” Stéphane explose de rire et explique qu’à 30 ans, Julien a quand même d’autres choses à faire, comme les ballots de paille dans le champ : ici on les fait en rond parce que comme on n’est pas nombreux, ils ne seront pas perdus s’il se met à pleuvoir avant qu’on les rentre à l’abri contrairement aux ballots carrés.
Mais un élève a une chose qui le turlupine quand même, et s’inquiète auprès de Stéphane : “Vous ne dormez jamais ?” Bien sûr qu’il dort, mais pas beaucoup beaucoup quand vient la moisson et qu’on profite de chaque beau jour pour récolter le fruit du travail d’une année : dix mois précisément puisque, vous vous souvenez, le blé avait été semé en octobre et qu’il est récolté en juillet quand tout va bien. “Je suis comme un navigateur en pleine mer : je peux dormir un quart d’heure dans ma moissonneuse et repartir pour la nuit “, dit l’agriculteur même qu’on le sent pressé d’y être.
Après un passage obligé par les hangars où sont stockés les machines, la paille et le foin, les collégiens font une incursion dans l’étable pour voir les vaches, leurs veaux et l’impressionnant “mais gentil ” taureau. Stéphane explique encore plein de choses dont le fait que “les vaches n’aiment pas être caressées parce qu’elles sont chatouilleuses”, et qu’il vaut mieux s’abstenir si on veut éviter un coup de tête. Entre deux hangars un élève demande à Stéphane s’il a déjà fait des manifestations. “Oui j’en ai fait, mais pas trop cette fois. Par contre mon fils si, quatre fois à Calais, Boulogne et même Paris.”
Suite de l’étape au chaud avec Manue. C’est grâce à elle que tant d’enfants viennent découvrir les activités de la ferme avec le Savoir Vert. “Voir du monde” : sa condition pour venir travailler avec Stéphane, parce qu’elle est “une grande bavarde”. Là les élèves vont encore apprendre plein de choses, dont les ingrédients nécessaires à la confection du pain et ça tombe bien l’action de la levure est notamment au programme de biologie des 6e, dévoile l’une de deux enseignantes de SVT présente.
La séance commence par un rappel des règles d’hygiène : “Quelle est la première chose que fait le boulanger ?” “Il se lave les mains et met un bavoir !”, presque. Et que lui faut-il ensuite ? “De la farine ! “, oui ; “du sucre“, non ça, c’est pour la brioche : “de la levure“, oui… Sur les 18 présents ce jour-là, sept lèvent le doigt à la question : qui a déjà fait du pain ? Sur la moitié de 42 g de levure, tous fusent et répondent 21 ; sur le résultat recherché après le mélange de l’eau et de la levure, une seule petite voix lance un “homogène”. Beaucoup sont “beurk” par la pâte qui colle aux doigts ; un dialogue à base de “ma grand-mère s’y prend mieux que toi”, “normal c’est une femme”, “et ?”, demande une prof. “Eh ben les filles cuisinent mieux”, “ah bon ?, s’enquiert la prof, alors cite-moi le nom d’un grand chef “, “mon père”, clôt l’un d’eux sans le savoir.
Pétrissage, façonnage, levée, cuisson avant que l’odeur du pain chaud ne chatouille les narines. Pendant ce temps, Manue a décrypté les céréales, expliqué la différence entre blé tendre (pour la farine) et blé dur (pour les pâtes) et transforme les collégiens en “moulanistes”, non meuniers c’est mieux.
Justine Demade Pellorce