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Ingénieur de formation, Antoine Rabain « savai(t) faire plein de trucs mais ne savai(t) pas ce qu’était une entreprise » or il a dans un coin de sa tête depuis toujours, l’idée de monter sa boite. Voilà comment l’ingénieur en aéronautique passera par une école de commerce avant de monter, en 2007, une activité de conseil focalisée sur le climat, en particulier sur l’enjeu bas carbone et la transition.
« J’avais déjà emmagasiné quelques données sur la question de l’urgence écologique auprès de profs et de lectures de rapports du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr) notamment. Et j’avais décidé de monter une activité 100 % dédiée, partageant cette expertise auprès des entreprises mais aussi des institutionnels », retrace celui qui décide de modifier sa méthode en créant Geckosphère en 2018. « L’idée était de garder l’expertise mais de faire les choses différemment, notamment dans l’accompagnement des gens : au lieu d’arriver avec plein de réponses je fais l’inverse et je pose les questions. »
Résultat, une conférence interactive comme ont pu la vivre les participants à la dernière session de la chambre d’agriculture en mars dernier. Sur le principe de la pédagogie inversée, comme elle peut se pratiquer à l’école, l’intervenant ne vient pas avec ses vérités mais il établit le diagnostic de concert avec son auditoire, qui est alors davantage disposé à entendre les réponses ou remèdes, parce qu’il en aura saisi les mécanismes, donc les enjeux. « C’est le même principe que la fresque du climat, à l’élaboration de laquelle j’ai participé en 2018 : des ateliers de trois heures dont la première moitié est dédiée à la compréhension des phénomènes (qu’il faudrait dix heures à intégrer via des méthodes descendantes traditionnelles) et la deuxième moitié à l’élaboration de solutions. » Une approche constructive qui permet, observe le quadragénaire, d’aller au-delà des clivages. « En ne parlant pas d’opinions mais de faits, on peut poser un diagnostic commun et partagé. Une fois qu’on a pris ce temps, on a créé les bonnes conditions d’un échange. »
Comme ce jour de mars où l’ingénieur a tout simplement expliqué aux agriculteurs que l’agriculture pesait pour un quart dans les causes du dérèglement climatique. Avec une énergie pragmatique et optimiste, le spécialiste a réexpliqué par A + B comment l’agriculture, qui fait partie du problème fait aussi partie des solutions, car puits de carbone, production de bioénergies…
Sur le fond, Antoine Rabain rappelle sa source en toutes choses, sa bible devant l’éternel : « Les rapports du Giec, qui sont la meilleure synthèse scientifique collective au monde. » Des documents complexes – 7 000 pages de données pointues – dont les conclusions sont limpides pour notre expert : « Sur les émissions de gaz à effet de serre, 75 % du sujet c’est la production et la consommation d’énergie et les 25 % restants concernent globalement l’agriculture (les engrais azotés et l’élevage avec sa déforestation induite…). » Solution ? Pour les trois quarts, transformer le système énergétique et pour le dernier quart, transformer le système agricole.
« Il est urgent d’agir, urgent d’aller chercher la neutralité carbone visée par les accords de Paris afin d’aboutir à une hausse limitée à 2 °C en 2050 », exhorte le volontaire qui rappelle toutefois : « Le scénario de référence du Giec en 2005 posait une hausse de 5 °C en 2100. Là, nous sommes à 3 °C, mais le dernier degré est le plus dur et si globalement le monde va mieux aujourd’hui qu’hier, il faut continuer la prise de conscience, les réglementations, les efforts citoyens. »
D’autant que, tempère Antoine Rabain, « c’est bien gentil de regarder les émissions de GES (gaz à effet de serre, ndlr) territoriales qui ont notamment baissé ces derniers temps en lien avec la baisse conjoncturelle de l’activité de construction, mais il faut aussi peser notre empreinte carbone, sur les produits que nous importons. Le CO2 n’a pas de frontières », recadre-t-il évoquant, par exemple, les enjeux de réindustrialisation ou de production agricole mais aussi la responsabilité des pays occidentaux dans l’accompagnement à la transition des pays émergents.
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Sur le contexte, l’ingénieur rappelle l’expression “Fin du mois, fin du monde”, reprise dans les marches pour le climat comme dans les manifs de Gilets jaunes il y a quelques années et dit se méfier « des caisses de résonance ». La France serait-elle ou pourrait-elle sombrer dans un climato scepticisme mortifère ? L’optimiste ne le pense pas.
« La France est un pays très avancé en termes de prise de conscience », explique-t-il. Le gouvernement français se dote toujours d’un peu plus d’organes que le monde nous envie : le secrétariat général à la planification écologique (SGPE), la haute autorité pour le climat et même RTE, l’opérateur de l’énergie en France, et son rapport sur le futur énergétique en 2050 qui fait référence. « Aux politiques et à ceux qui les élisent, aux entreprises aussi de prendre leurs responsabilités et de se bouger », invite-t-il. Pas plus. Pas moins.
Justine Demade Pellorce