Votre météo par ville

Climat : les Hauts-de-France, une terre de vignes en 2050 ?

04-01-2024

Actualité

C’est tout frais

Le projet Laccave s’est intéressé pendant une décennie aux conséquences du changement du climat sur la production viticole, aux leviers d’adaptation et aux perspectives de la filière. Jean-Marc Touzard, chercheur à l’Inrae et co-animateur du projet, répond à nos questions.

Pour Jean-Marc Touzard, « se relocaliser, c’est s’adapter. C’est construire de nouvelles relations avec les consommateurs ». © E. P.

Comment le changement climatique impacte les vignes ? Quelles sont les adaptations possibles ? Quel avenir pour la production viticole en France ? Entre 2012 et 2021, Jean-Marc Touzard a co-animé avec Nathalie Ollat les travaux du projet Laccave, qui vise à répondre à ces questions.

Un travail titanesque auquel plus de 100 chercheurs ont participé et qui se conclura par un ouvrage à paraître dans les prochaines semaines.

Développement précoce et manque d’eau

Si, pendant longtemps, il y avait encore une frange de climatosceptiques chez les vignerons, les mentalités ont évolué depuis quelques années, juge Jean-Marc Touzard. Les plus réfractaires l’admettent aujourd’hui, le changement climatique frappe fortement la culture de la vigne, peut-être même plus que d’autres productions.

Premier impact : le développement de la plante est de plus en plus précoce. Les vendanges ont lieu grosso modo « trois semaines plus tôt que dans les années 1980 », estime l’ingénieur agronome. Conséquences : le raisin mûrit dans des conditions plus chaudes et les conditions de travail sont modifiées.

Deuxième impact : l’eau, avec la baisse de la pluviométrie dans le sud et des sécheresses plus fortes dans le nord. Les plantes ont moins d’eau, mais transpirent plus à cause des chaleurs élevées. « Cela débouche sur du stress hydrique et ça se traduit par des baisses de rendement et parfois des pertes. »

Caractéristiques transformées

Les qualités des vins s’en trouvent modifiées avec l’augmentation du taux de sucre et donc d’alcool, notamment dans le sud pour les rouges « avec une moyenne de plus de 14 degrés ». La baisse de l’acidité touche aussi les vins blancs. Le changement climatique joue, en plus, sur l’écosystème autour de la vigne : maladies, insectes, prédateurs, auxiliaires, adventices, minéralisation du sol… Quand il ne bouleverse pas l’environnement immédiat, le réchauffement climatique a des impacts plus inattendus : « Dans le sud, on a par exemple des incendies qui affectent l’œnotourisme », indique Jean-Marc Touzard.

Pour l’ingénieur agronome, l’impact le plus fort réside dans la variabilité et l’instabilité des événements extrêmes liés au changement climatique. Pluies, chaleurs ou gels extrêmes peuvent avoir des effets immédiats (et parfois irréversibles) sur les vignes. L’ensemble de ces impacts se traduit sur le plan économique par des difficultés en termes de revenus, des irrégularités de récolte, des modifications dans les concurrences… Des évolutions déjà en cours dans les vignobles du sud de la France, notamment.

S’adapter au changement

Une fois ce constat établi, il est nécessaire selon le chercheur de s’adapter à cette nouvelle donne. « Sans aller jusqu’à prédire la disparition de la vigne et du vin en France, si on ne fait rien, ce sera globalement négatif », illustre-t-il. Alors, avec la centaine de chercheurs mobilisés dans le cadre du projet Laccave, ils ont exploré et identifié ces leviers d’adaptation.

Première piste : travailler sur l’encépagement avec l’utilisation de cépages venus d’ailleurs, des anciennes variétés, des cépages hybrides plus résistants. « C’est l’un des leviers majeurs, d’autant qu’il est associé à la réduction des pesticides et des intrants, mais aussi à l’adaptation aux demandes des consommateurs. »

Autre piste : celle des changements de pratiques en amont (gestion du sol, irrigation, taille…), mais aussi en aval. « On va alors chercher à corriger les effets du changement climatique en désalcoolisant, en gérant l’acidité, en travaillant sur les levures… C’est un domaine important mais sur lequel il faut faire attention, car il y a le risque de trop artificialiser l’élaboration du vin, ce qui peut réduire le lien au terroir et aller contre l’image d’un produit qui doit rester agricole. » La solution viendra, assurément, de la combinaison de ces différents leviers.

Relocaliser plus ou moins loin

La relocalisation des vignes est une autre solution. « Elle peut se faire au sein d’un même terroir comme à Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales, ndlr) où on est monté en altitude. Et puis, il y a les nouveaux terroirs. C’est le cas de la Bretagne, ça peut aussi être le cas de la Normandie ou des Hauts-de-France. » Car c’est un impact supplémentaire de la montée des températures : de nouveaux territoires, au nord de la France mais également de l’Europe, deviennent potentiellement cultivables.

C’est le cas de la Bretagne, sur laquelle s’est penché le projet Laccave et où la production viticole renaît depuis une petite décennie. Dans ce processus, le chercheur observe trois types d’initiatives : des entrepreneurs qui vont lancer une dynamique collective ; des agriculteurs cherchant à se diversifier ; ceux qui se lancent dans les « vins de garage », sans être forcément agriculteurs, et « testent avec seulement quelques parcelles ».

Des vignobles identifiés et reconnus en région ?

Des initiatives voient le jour dans la région. Ternoveo a mis en bouteille ses premiers vins blancs. Dans le Cambrésis, Antoine Vanholebeke a installé ses pieds de vignes voilà quatre années, tandis que, dans l’Audomarois, Antoine Bouin s’est lancé en 2021. C’est un début, mais nous sommes encore loin d’un véritable vignoble des Hauts-de-France.

Alors, est-ce réaliste d’imaginer la région, et pourquoi pas le Nord et le Pas-de-Calais, devenir une véritable région viticole ? Pour Jean-Marc Touzard, il est aussi difficile de répondre à cette question que de construire une filière viticole. « On est dans une phase d’émergences, dit-il. Les trois types d’initiatives que j’évoquais, on les trouve en Hauts-de-France et en Belgique. J’étais ces derniers jours avec un pépiniériste du Languedoc qui me disait qu’il n’avait jamais autant vendu de plants de vignes en Belgique et dans le Nord de la France. Ça veut dire qu’il y a une dynamique, mais c’est encore diffus, ce sont des petits projets. »

Lire aussi : Vignoble : Ternoveo, le pari du chardonnay

Pour le chercheur, pas de doute, les initiatives locales vont continuer à se développer car « à ce niveau de volumes, au moins localement, c’est facile de valoriser ». Mais après ? Peut-on aller plus loin et construire des vignobles identifiés et reconnus comme dans d’autres régions françaises ?

Passer un cap

« Se relocaliser, c’est s’adapter, continue l’ingénieur agronome. C’est construire de nouvelles relations avec les consommateurs, les partenaires, les entreprises, les collectivités locales, les chercheurs. C’est aussi réviser les cahiers des charges, c’est de l’innovation institutionnelle. C’est construire un récit, un discours. » Construire un vignoble à l’échelle d’un territoire n’est donc pas aisé. C’est un investissement collectif et à long terme.

La première cuvée signée Ternovéo. © Eglantine Puel

Tout dépendra également des choix techniques qui seront faits notamment pour lutter contre les maladies : « L’enjeu majeur, ce sera, je pense, d’investir dans des cépages résistants. Quelles variétés vont être intéressantes et vont pouvoir être valorisées collectivement ? » Le chardonnay semble tenir la corde. Pour combien de temps ? Nous aurons peut-être la réponse en 2050. D’ici là, encore faut-il que les conditions climatiques ne deviennent pas trop rudes…

L’épée de Damoclès

« Encore une fois, il y a quelque chose de très important, c’est la question de la variabilité des risques, répète le chercheur. On le voit dans le sud de l’Angleterre, tous les quatre, cinq ans, il y a des risques majeurs et de l’instabilité qu’il faut gérer. Et cela induit aussi le développement de compétences, parce qu’on ne devient pas du jour au lendemain viticulteur. »

S’il y a trop de risques, les investissements plus importants ne se feront pas et la viticulture restera une culture de diversification dans la région estime Jean-Marc Touzard. Tout est donc conditionné par l’évolution des températures et l’atteinte des objectifs fixés lors des accords de Paris. On en est encore loin. 

Kévin Saroul

Facebook Twitter LinkedIn Google Email
Tags
Noël autrement (4/4). De garde avec les soignants
À l'approche de Noël, nous sommes allés à la rencontre de personnes qui célèbrent cette fête de manière différe [...]
Lire la suite ...

Noël autrement (3/4). Une fête aux accents d’ailleurs
À l'approche de Noël, nous sommes allés à la rencontre de personnes qui célèbrent cette fête de manière différe [...]
Lire la suite ...

Émilie roibet, itinéraire d’une reconversion bien pensée
Architecte paysagiste de formation, Émilie Roibet a quitté ses bureaux lillois pour créer sa ferme florale "À l'ombr [...]
Lire la suite ...

Une Cuma qui a le sens de l’accueil
Localisée à Bois-Bernard, la Cuma " L'accueillante " est confrontée aux départs en retraite de ses membres, souvent [...]
Lire la suite ...

DOSSIER ÉNERGIE. À la centrale de Lens, le bois devient énergies
Unique dans la région, par son genre et sa taille, la centrale de cogénération de Lens produit à la fois de l'élect [...]
Lire la suite ...

Inondations : après la pluie, se reconstruire
Une semaine après les premières crues, le Pas-de-Calais tente d'émerger peu à peu, malgré la menace de nouvelles in [...]
Lire la suite ...

Inondations : 50 millions d’euros pour les collectivités sinistrées
Le chef de l'État en déplacement à Saint-Omer et à Blendecques, le mardi 14 novembre, a annoncé un plan d'aide pou [...]
Lire la suite ...

À la ferme du Major, “on crée de l’énergie”
La ferme d'insertion du Major, à Raismes, emploie 40 hommes et femmes éloignés de l'emploi pour leur permettre, en ac [...]
Lire la suite ...

Jean-Marie Vanlerenberghe : « L’attentat à Arras a souligné les failles du dispositif »
Ancien maire d'Arras et doyen du Sénat, Jean-Marie Vanlerenberghe réclame « une réponse ferme » mais dans le resp [...]
Lire la suite ...

Changer de goût et agir pour le futur
Plus saine, plus durable, plus accessible, l'alimentation de demain doit répondre à d'innombrables défis. À l'occasi [...]
Lire la suite ...

Retour sur la première édition du championnat international de la frite
Le premier championnat international de la frite s'est déroulé à Arras le samedi 7 octobre 2023. Soleil et ambiance [...]
Lire la suite ...

Jean-Paul Dambrine, le patron sensas’
Il est l'icône de la frite nordiste. À 75 ans, Jean-Paul Dambrine, fondateur des friteries Sensas et président du jur [...]
Lire la suite ...

Quatre lycéennes d’Anchin à la conquête de l’Andalousie
Iris, Angèle, Louise et Eulalie, lycéennes à l'Institut d'Anchin, ont passé trois semaines caniculaires près de Sé [...]
Lire la suite ...

Élections sénatoriales : dans le Nord, plusieurs nuances de rose, plusieurs nuances de bleu : l’éparpillement façon puzzle
Avec 11 sièges à pourvoir, c’est le département à renouveler le plus grand nombre de sièges derrière Paris : le [...]
Lire la suite ...

Élections sénatoriales : dans le Pas-de-Calais, la droite (presque) unie, la gauche en ordre dispersé et l’éventualité du Rassemblement National :
Pour les prochaines élections sénatoriales, les gauches ne font pas bloc dans le Pas-de-Calais. La droite, elle, table [...]
Lire la suite ...

Série de l’été : les milieux naturels du Nord-Pas-de-Calais
Cet été, Terres et Territoires vous emmène à la découverte de milieux naturels du Nord-Pas-de-Calais avec le Conser [...]
Lire la suite ...

Élections à la chambre d’agriculture : mode d’emploi pour voter en janvier
Les modalités des élections des représentants aux chambres d'agriculture se précisent. Dans le Nord-Pas de Calais, e [...]
Lire la suite ...

Numéro 374 : 18 juillet 2024

À Zuydcoote, la Ferme Nord se réinvente
Construite au début du siècle dernier pour fournir viande et lait à l'hôpital maritime de Zuydcoote, la Ferme Nord e [...]
Lire la suite ...

Élevage : Chez la famille Darque, de la bleue du Nord ou rien
Depuis plus de 30 ans, dans la ferme de la famille Darque, à Roquetoire, on élève de la bleue du Nord. Un choix fait [...]
Lire la suite ...

Les pois jouent la course contre la montre
L'entreprise de travaux agricoles Cousin est spécialisée dans la culture de pois de consommation. Elle a semé 2 600 h [...]
Lire la suite ...

Au cœur des terres

#terresetterritoires