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Comment le changement climatique impacte les vignes ? Quelles sont les adaptations possibles ? Quel avenir pour la production viticole en France ? Entre 2012 et 2021, Jean-Marc Touzard a co-animé avec Nathalie Ollat les travaux du projet Laccave, qui vise à répondre à ces questions.
Un travail titanesque auquel plus de 100 chercheurs ont participé et qui se conclura par un ouvrage à paraître dans les prochaines semaines.
Si, pendant longtemps, il y avait encore une frange de climatosceptiques chez les vignerons, les mentalités ont évolué depuis quelques années, juge Jean-Marc Touzard. Les plus réfractaires l’admettent aujourd’hui, le changement climatique frappe fortement la culture de la vigne, peut-être même plus que d’autres productions.
Premier impact : le développement de la plante est de plus en plus précoce. Les vendanges ont lieu grosso modo « trois semaines plus tôt que dans les années 1980 », estime l’ingénieur agronome. Conséquences : le raisin mûrit dans des conditions plus chaudes et les conditions de travail sont modifiées.
Deuxième impact : l’eau, avec la baisse de la pluviométrie dans le sud et des sécheresses plus fortes dans le nord. Les plantes ont moins d’eau, mais transpirent plus à cause des chaleurs élevées. « Cela débouche sur du stress hydrique et ça se traduit par des baisses de rendement et parfois des pertes. »
Les qualités des vins s’en trouvent modifiées avec l’augmentation du taux de sucre et donc d’alcool, notamment dans le sud pour les rouges « avec une moyenne de plus de 14 degrés ». La baisse de l’acidité touche aussi les vins blancs. Le changement climatique joue, en plus, sur l’écosystème autour de la vigne : maladies, insectes, prédateurs, auxiliaires, adventices, minéralisation du sol… Quand il ne bouleverse pas l’environnement immédiat, le réchauffement climatique a des impacts plus inattendus : « Dans le sud, on a par exemple des incendies qui affectent l’œnotourisme », indique Jean-Marc Touzard.
Pour l’ingénieur agronome, l’impact le plus fort réside dans la variabilité et l’instabilité des événements extrêmes liés au changement climatique. Pluies, chaleurs ou gels extrêmes peuvent avoir des effets immédiats (et parfois irréversibles) sur les vignes. L’ensemble de ces impacts se traduit sur le plan économique par des difficultés en termes de revenus, des irrégularités de récolte, des modifications dans les concurrences… Des évolutions déjà en cours dans les vignobles du sud de la France, notamment.
Une fois ce constat établi, il est nécessaire selon le chercheur de s’adapter à cette nouvelle donne. « Sans aller jusqu’à prédire la disparition de la vigne et du vin en France, si on ne fait rien, ce sera globalement négatif », illustre-t-il. Alors, avec la centaine de chercheurs mobilisés dans le cadre du projet Laccave, ils ont exploré et identifié ces leviers d’adaptation.
Première piste : travailler sur l’encépagement avec l’utilisation de cépages venus d’ailleurs, des anciennes variétés, des cépages hybrides plus résistants. « C’est l’un des leviers majeurs, d’autant qu’il est associé à la réduction des pesticides et des intrants, mais aussi à l’adaptation aux demandes des consommateurs. »
Autre piste : celle des changements de pratiques en amont (gestion du sol, irrigation, taille…), mais aussi en aval. « On va alors chercher à corriger les effets du changement climatique en désalcoolisant, en gérant l’acidité, en travaillant sur les levures… C’est un domaine important mais sur lequel il faut faire attention, car il y a le risque de trop artificialiser l’élaboration du vin, ce qui peut réduire le lien au terroir et aller contre l’image d’un produit qui doit rester agricole. » La solution viendra, assurément, de la combinaison de ces différents leviers.
La relocalisation des vignes est une autre solution. « Elle peut se faire au sein d’un même terroir comme à Banyuls-sur-Mer (Pyrénées-Orientales, ndlr) où on est monté en altitude. Et puis, il y a les nouveaux terroirs. C’est le cas de la Bretagne, ça peut aussi être le cas de la Normandie ou des Hauts-de-France. » Car c’est un impact supplémentaire de la montée des températures : de nouveaux territoires, au nord de la France mais également de l’Europe, deviennent potentiellement cultivables.
C’est le cas de la Bretagne, sur laquelle s’est penché le projet Laccave et où la production viticole renaît depuis une petite décennie. Dans ce processus, le chercheur observe trois types d’initiatives : des entrepreneurs qui vont lancer une dynamique collective ; des agriculteurs cherchant à se diversifier ; ceux qui se lancent dans les « vins de garage », sans être forcément agriculteurs, et « testent avec seulement quelques parcelles ».
Des initiatives voient le jour dans la région. Ternoveo a mis en bouteille ses premiers vins blancs. Dans le Cambrésis, Antoine Vanholebeke a installé ses pieds de vignes voilà quatre années, tandis que, dans l’Audomarois, Antoine Bouin s’est lancé en 2021. C’est un début, mais nous sommes encore loin d’un véritable vignoble des Hauts-de-France.
Alors, est-ce réaliste d’imaginer la région, et pourquoi pas le Nord et le Pas-de-Calais, devenir une véritable région viticole ? Pour Jean-Marc Touzard, il est aussi difficile de répondre à cette question que de construire une filière viticole. « On est dans une phase d’émergences, dit-il. Les trois types d’initiatives que j’évoquais, on les trouve en Hauts-de-France et en Belgique. J’étais ces derniers jours avec un pépiniériste du Languedoc qui me disait qu’il n’avait jamais autant vendu de plants de vignes en Belgique et dans le Nord de la France. Ça veut dire qu’il y a une dynamique, mais c’est encore diffus, ce sont des petits projets. »
Pour le chercheur, pas de doute, les initiatives locales vont continuer à se développer car « à ce niveau de volumes, au moins localement, c’est facile de valoriser ». Mais après ? Peut-on aller plus loin et construire des vignobles identifiés et reconnus comme dans d’autres régions françaises ?
« Se relocaliser, c’est s’adapter, continue l’ingénieur agronome. C’est construire de nouvelles relations avec les consommateurs, les partenaires, les entreprises, les collectivités locales, les chercheurs. C’est aussi réviser les cahiers des charges, c’est de l’innovation institutionnelle. C’est construire un récit, un discours. » Construire un vignoble à l’échelle d’un territoire n’est donc pas aisé. C’est un investissement collectif et à long terme.
Tout dépendra également des choix techniques qui seront faits notamment pour lutter contre les maladies : « L’enjeu majeur, ce sera, je pense, d’investir dans des cépages résistants. Quelles variétés vont être intéressantes et vont pouvoir être valorisées collectivement ? » Le chardonnay semble tenir la corde. Pour combien de temps ? Nous aurons peut-être la réponse en 2050. D’ici là, encore faut-il que les conditions climatiques ne deviennent pas trop rudes…
« Encore une fois, il y a quelque chose de très important, c’est la question de la variabilité des risques, répète le chercheur. On le voit dans le sud de l’Angleterre, tous les quatre, cinq ans, il y a des risques majeurs et de l’instabilité qu’il faut gérer. Et cela induit aussi le développement de compétences, parce qu’on ne devient pas du jour au lendemain viticulteur. »
S’il y a trop de risques, les investissements plus importants ne se feront pas et la viticulture restera une culture de diversification dans la région estime Jean-Marc Touzard. Tout est donc conditionné par l’évolution des températures et l’atteinte des objectifs fixés lors des accords de Paris. On en est encore loin.
Kévin Saroul