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Il y a presque quatre ans, Ternoveo (groupe Advitam) s’est lancé un pari un peu fou : produire du chardonnay 100 % Hauts-de-France. Objectif : créer un vignoble.
Pour cela, Ternoveo crée la marque Les 130, un collectif de 130 néovignerons, des agriculteurs qui ont choisi de dédier quelques hectares aux vignes et de relever le défi avec l’accompagnement du négoce agricole et de ses deux maîtres de chai : Laëtitia Vakerkoven et Guillermo Arancibia.
Pour ce dernier, le pari n’est pas si fou que ça, bien au contraire, il est dans l’air du temps.
Il faut dire que cet œnologue a « vu du pays » comme on dit : « J’ai commencé ma carrière dans le Sud, dans le Var pour être précis. J’étais spécialisé dans le rosé de Provence. J’étais également professeur vacataire pour un bac pro vignes et vin. Puis j’ai travaillé pour une entreprise qui faisait de l’implantation de gros matériel de type pressoir, et qui accompagnait aussi des vignerons. C’est grâce à ce travail que j’ai beaucoup voyagé en Amérique du Sud : Chili, Bolivie, et Pérou surtout. Mais aussi aux États-Unis, dans le Maryland. »
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Mais le covid met un coup d’arrêt à cette activité. De retour en France, Guillermo Arancibia a désormais le goût des « vignobles inédits en quelque sorte ». Quand il voit passer l’annonce de Ternoveo pour faire pousser des vignes dans les Hauts-de-France, il n’hésite pas : « Je me suis dit que si j’avais réussi à le faire dans les montagnes péruviennes, j’y arriverais dans les Hauts-de-France », sourit le quadragénaire.
« Au Pérou, il y a une vraie culture du vin, ce sont les premiers à avoir accepté des vignes en Amérique du Sud. Mais ils faisaient des vins très sucrés. Or, la gastronomie péruvienne s’est fortement développée et les restaurants demandaient des vins plus en accord avec ce qu’ils servaient. Il a donc fallu changer les mentalités et apprendre de nouvelles méthodes aux vignerons péruviens. »
Un parcours qui va aider l’oenologue-maître de chai pour accompagner les néovignerons des Hauts-de-France. Car là aussi, il faut apprendre et bousculer quelques certitudes. « Ce qui m’a plu quand j’ai vu l’annonce de Ternoveo c’était qu’il y avait pour mission de créer un vignoble, de partir de zéro. Ça c’est extrêmement rare dans le secteur du vin car c’est une chasse gardée. » Cela dit, « j’étais plutôt confiant car en Belgique et en Angleterre ils font déjà du vin et ça fonctionne. Maintenant, il faut réussir à convaincre le marché français que du vin des Hauts-de-France peut être bon et de qualité ! »
En 2022 ont eu lieu les premières vendanges des 130 (17 hectares) qui ont permis la création de deux premières cuvées. En 2023, 44 hectares ont été vendangés et une autre cuvée, un peu plus haut de gamme, nommée Zénith, a vu le jour. L’objectif de Ternoveo est d’atteindre 200 hectares de vignes en 2027, réparties entre ces 130 vignerons.
Une cuvée nommée « Fragments » devrait voir le jour en 2024 ou 2025 pour mettre en avant « les parcelles qui présentent des caractéristiques vraiment particulières ». Car pour l’œnologue, les vignes des Hauts-de-France, bien qu’elles soient jeunes, présentent déjà des spécificités qui pourraient bien intéresser les amateurs : « Dans le choix des parcelles, ce qui était important c’était l’exposition et “la pauvreté” du sol : les vignes ont finalement besoin de sols pauvres (chose pas si simple à trouver dans la région !, ndlr). Les parcelles des 130 sont réparties dans tous les Hauts-de-France et sont toutes très différentes les unes des autres. Cette disparité permet de faire des assemblages intéressants et donc d’avoir des cuvées plutôt homogènes avec des arômes particuliers », explique Guillermo Arancibia.
Et si, rien qu’entre les vendanges 2022 et 2023, les profils ont changé, « on voit des trames se dessiner, différentes de ce que l’on voit ailleurs, mais c’est difficile de se prononcer car il faut environ sept ans à une vigne pour qu’elle arrive à son plein potentiel ». Cela dit, le maître de chai indique « qu’on a des notes florales, de verveine, de fruits exotiques… assez rares voire inhabituelles dans du chardonnay. »
En tout cas, pour Guillermo Arancibia, l’avenir des vignes dans les Hauts-de-France est glorieux : « Le but est d’agrandir le vignoble. » Et pourquoi pas à l’avenir avoir des « appellations » dans la région. « Par exemple, l’appellation Saint-Émilion repose sur le fait que la vigne ait été implantée dans un lieu spécifique, cultivée d’une certaine manière… Il n’y a donc rien de fou à penser qu’il y aura des appellations dans les Hauts-de-France. »
Quant aux sceptiques qui verraient ce développement de la filière comme une concurrence avec les régions de vin « historiques », l’œnologue répond : « On pourra toujours faire du vin dans les autres régions de France mais avec le réchauffement climatique, force est de constater qu’il va falloir s’adapter. Or, les AOP (appellations d’origine protégées) et IGP (indications géographiques protégées) sont figées. On voit également une augmentation des degrés d’alcool. Il y a 30 ans, un vin tournait autour de 12-12,5°. Aujourd’hui on est plutôt sur du 13-14°. Il faudrait donc des fermentations plus longues, ce qui n’est pas possible… Bref, il va falloir changer les habitudes et accepter qu’on fasse du vin un peu partout en France. Le grand avantage des Hauts-de-France c’est que, tant qu’il n’y a pas d’appellations, tout est à construire. »
Eglantine Puel