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Si certains voient les glaneurs comme des indésirables pénétrant sur leur propriété privée, d’autres les accueillent volontiers. Avec un minimum d’encadrement toutefois, histoire que tout se passe dans les conditions idéales.
Du côté d’Avelin (59), Sylvie Lemaire a un élevage de poules pondeuses et cultive notamment toutes sortes de courges. Installée depuis 2009, elle a aussi commencé à accueillir des anniversaires à la ferme en 2018, façon « d’ouvrir les fermes au grand public afin de leur présenter nos métiers, et les contraintes qui vont avec ». Tout ça pour dire qu’ouvrir les portes, elle sait faire et si elle a arrêté la vente en direct, trop chronophage, elle a installé des casiers devant l’exploitation qui permettent aux passants de se composer un Panier vitaminé, du nom de son enseigne.
Le glanage, elle y est venue il y a trois ans : « J’avais eu trop de potirons cette année-là et j’ai proposé à Solaal d’organiser un glanage solidaire », explique l’agricultrice. Avec pour avantage d’être « encadré et organisé, parce qu’on sait qui va venir et quand afin d’éviter d’être au champ avec des machines par exemple », elle y voit plusieurs avantages. « Ça permet de vider les champs quand il reste des produits pour travailler derrière tout en limitant les repousses », explique celle qui a ouvert son champ de potirons lors de deux matinées à l’association Bol d’air, épicerie solidaire basée à Seclin qui a emporté deux fois 250 kilos, « les potirons les plus gros, qui sont les moins faciles à vendre », précise-t-elle. Contre « le glanage sauvage » parce qu’il peut facilement donner lieu à des débordements pense-t-elle, Sylvie se dit surtout favorable à cette pratique pour les personnes dans le besoin, jugeant bon d’être rémunéré par ailleurs pour sa production.
Du côté du littoral, à Spycker où est installé Vincent Dezitter depuis 2008 et sa reprise de la ferme familiale, cela fait 11 ans que les champs sont grand ouverts aux glaneurs. Celui qui cultive sur 50 hectares, dont 10 de pommes de terre, est venu au glanage par une autre porte, elle aussi solidaire. « J’avais été approché par un salarié du CCAS de Grande-Synthe en 2011, qui avait eu cette idée d’emmener les bénéficiaires glaner eux-mêmes dans les champs plutôt que de recevoir des bons alimentaires : une façon de se connecter avec la nature et de voir notre travail », se souvient celui qui dira oui immédiatement.
“Un coup de déchaumeuse pour casser la terre ” et aider les glaneurs : ça se passe comme ça chez Vincent Dezitter.
Et qui choisit de faciliter la tâche à ces récolteurs du dimanche en passant « un coup de déchaumeuse pour casser la terre », action nécessaire pour permettre l’infiltration des pluies hivernales qu’il décide de réaliser immédiatement après la récolte. Les pommes de terre sont petites pour l’essentiel, parfois tranchées par l’arracheuse, mais restent tout à fait comestibles.
Quand il ouvre ses champs pour la première fois, en 2012, Vincent Dezitter accueille 35 personnes ; l’année suivante 70 puis 100, 300, jusqu’à atteindre le nombre de 1 200 glaneurs accueillis sur dix jours l’an dernier. « Il faut dire que, pour fêter les dix ans de glanage, j’offrais le café le matin, puis de l’eau et des sirops dans la matinée. Et pour les enfants j’avais même fait fabriquer 300 badges indiquant “Chez Dezitter on a la patate”. » Si notre homme a indéniablement le sens de la communication, celui de l’accueil n’est pas en reste.
De plus en plus organisé – il ouvre désormais ses parcelles progressivement, pour éviter l’afflux des premiers jours et les difficultés de stationnement, d’autant que les habitués guettent chaque année ses vidéos postées sur Facebook et dans lesquelles il explique où trouver ses champs.
Mais qu’est ce qui fait ouvrir Vincent Dezitter ? Le pragmatisme d’abord : comme sa consœur d’Avelin, il rappelle qu’avec « les hivers de plus en plus doux et les gelées moins systématiques, les repousses sont inévitables ce qui gênera la culture suivante, souvent du blé. J’ai coutume de dire que les glaneurs sont les aspirateurs des champs et que grâce à eux, nous aurons moins besoin d’utiliser des phytos. »
Ensuite, ou d’abord, c’est « une question de cœur », formule le grand bonhomme qui se souvient des premiers glaneurs, vraiment dans le besoin et des nouveaux qui ne le sont pas moins : « Je ne pensais pas faire autant plaisir », pétille-t-il avant d’évoquer les gamins qu’il fait monter sur son tracteur ou cette satisfaction de n’avoir « jamais trouvé un papier par terre en dix ans ». Il paraît qu’on récolte ce qu’on sème. Des patates en forme de cœur oui, mais pas seulement.
Justine Demade Pellorce