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Violences faites aux femmes : « Et d’un coup, les victimes sont seules »

23-11-2023

Actualité

C’est tout frais

Le 25 novembre marque la Journée contre les violences faites aux femmes mais la lutte, c’est 365 jours par an pour les institutions et les associations. À Hazebrouck, une assistante sociale accueille les femmes victimes à la gendarmerie, pour les accompagner vers l’après.

Bérengère Sansen, assistante sociale pour le Centre d’information sur les droits des femmes et des familles, occupe un bureau au sein de la gendarmerie d’Hazebrouck où elle accompagne, notamment, des femmes victimes de violences conjugales dans leur reconstruction. © J. D. P.

“La vie est trop courte pour attendre” ; “Profite de l’avenir” : ces petits messages sont inscrits, en anglais dans des couleurs pastel, sur des cartes postales épinglées au mur : Bérengère Sansen n’a pas voulu placarder d’affiches sur les violences conjugales dans son petit espace d’un blanc clinique par ailleurs. Nous sommes au premier étage de la gendarmerie d’Hazebrouck et entre les militaires en uniforme, depuis sept ans, la jeune femme occupe un bureau dédié à l’accueil de toutes les personnes nécessitant un accompagnement dans la reconstruction : les victimes comme les mis en cause – c’est le terme employé en gendarmerie pour évoquer ceux qu’on nommerait classiquement les agresseurs – ainsi que les personnes pour qui il n’y a pas de procédure.

Tout ça dans le contexte des violences conjugales mais pas seulement : violences intrafamiliales, conflits liés à des séparations, fugues d’adolescents… Si elle avait une petite idée sur la question, quand elle a pris ce poste tout juste créé, la trentenaire n’imaginait pas traiter une telle proportion de situations de violences conjugales : c’est 50 % de ses dossiers, avec « une nette augmentation au moment du confinement, en 2020, qui n’a pas baissé depuis ». Soit 10 à 15 nouvelles victimes de violences conjugales par mois pour notre intervenante sociale.

« Les premiers postes d’intervenants sociaux avaient été créés il y a une quarantaine d’années au niveau national avec cette prise en compte que déposer plainte pour violence conjugale c’est une chose avec le volet pénal, mais que derrière il y a le volet social et que celui-ci n’était pas forcément traité », rembobine l’assistante sociale.

“Même si je suis installée au sein de la gendarmerie, les personnes viennent me voir de leur plein gréBérengère Sansen, assistante sociale du CIDFF au sein de la gendarmerie d’Hazebrouck.

S’ils sont de plus en plus formés au recueil de la parole des victimes quoique l’essentiel des violences conjugales soit traité en flagrance, comme le confirme Arnaud Brandt, chef d’escadron de la compagnie d’Hazebrouck qui compte en ses rangs un Groupe d’atteinte aux personnes (Gap), cinq enquêteurs dédiés aux atteintes à caractère sexuel (des situations qui peuvent rejoindre les violences conjugales, ou pas), l’accompagnement social est un métier en soi.

C’est donc là qu’intervient Bérengère Sansen : elle reçoit les victimes sur place, dans une autre gendarmerie pour les personnes qui peinent à se déplacer, dans des locaux neutres pour ceux qui ont des difficultés à franchir la porte d’un commissariat ou d’une gendarmerie (mairies par exemple) voire à domicile au cas par cas. « Dans la grande majorité des cas, les gendarmes interviennent au domicile, appelés par les victimes ou des témoins. Ils observent les contextes sociaux et éducatifs et dirigent vers moi ceux dont ils pensent qu’ils peuvent nécessiter un accompagnement. Mais, même si je suis installée au sein de la gendarmerie, les personnes viennent me voir de leur plein gré », rappelle Bérengère Sansen. Pas systématique car, « dans la tête de certains, assistante sociale est synonyme de placeuse d’enfants : ce n’est pas mon premier réflexe même si j’ai aussi la casquette de protection de l’enfance et que, quand la situation le nécessite, je fais une information préoccupante ou un signalement ».

Un cercle vicieux infernal

Sur le profil des mis en cause, pas de règle, explique celle qui refuse l’idée qu’une ancienne victime devienne agresseur à son tour : « Quoi qu’il se soit passé, ça n’excuse jamais rien », s’offusque celle qui voit dans cet argument des victimes qui relativisent. Et culpabilisent. « Le chantage au suicide ou vis-à-vis des enfants est l’un des gros freins à entamer des démarches », note-t-elle.

Les revenus et le logement sont les principaux freins des victimes dans la séparation avec l’agresseur. La mobilité aussi.

Du côté des victimes c’est plutôt limpide pour l’intervenante sociale : « Elles ont généralement une fragilité qui va être perçue et exploitée par le mis en cause. À partir de là, le schéma se répète très souvent : un coup de foudre, le sentiment de ces femmes d’être comprises, d’entendre pour la première fois les plus belles promesses, les bons mots aux bons moments. Puis, progressivement, l’éloignement des amis, “parce qu’il ne les aimait pas”, puis de la famille à la faveur d’un déménagement. Et d’un coup, les victimes sont seules, avec leur mari, parfois les enfants, elles ne savent plus vers qui se tourner et s’engluent. Suit l’alternance des périodes de violences et des phases dites de lune de miel où le mis en cause va redevenir gentil, essayer de se faire pardonner ce qui ne manquera pas de nourrir la culpabilité des victimes », dépeint Bérengère Sansen avant de prévenir : « Personne n’est à l’abri de tomber dans un cycle de violence car le distinguo entre la dispute et la violence n’est pas évident. » C’est pour tenter de réaliser la nature des relations qu’a notamment été créé le violentomètre. 

Prévu pour sensibiliser les jeunes femmes aux violences conjugales, ce violentomètre a été conçu fin 2018 par les Observatoires des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis et Paris, l’association En Avant Toute(s) et la Mairie de Paris. À la demande du Conseil Régional d’Île-de-France, le Centre Hubertine Auclert a adapté cet outil de sensibilisation.

“Elle dépend de son mari pour tout”

Si le schéma est globalement le même et la tranche d’âge des victimes régulièrement comprise entre 25 et 50 ans, l’assistante sociale observe de plus en plus de femmes très jeunes ou très âgées. Elle pense notamment à cette jeune femme de 23 ans avec qui elle discutait quelques minutes plus tôt par téléphone : « Elle a trois enfants, vit dans un tout petit village et n’a pas le permis. Elle n’a aucun entourage dans la région et dépend de son mari pour tout. » 

Les revenus et le logement sont les principaux freins des victimes dans la séparation avec l’agresseur. Des générations de femmes, a fortiori dans les campagnes, n’ont jamais travaillé, en tout cas officiellement. Femmes d’agriculteurs ou d’indépendants, elles ont “aidé” toute leur vie sans avoir cotisé le moindre centime. « Et nous n’avons pas forcément de réponse immédiate à proposer, par manque de moyens face aux besoins », regrette, frustrée, l’assistante sociale. D’autant qu’une fois passé le cap de la décision du départ, il faut réussir à mener sa vie de nouveau, réapprendre à prendre des décisions, savoir comment s’organiser avec les enfants quand c’étaient les beaux-parents qui les gardaient… « Une projection dans l’après qui fait peur, une situation connue, même affreuse, présente une part de confort. »

Dans les petits villages, tout le monde se connaît, y compris avec les représentants des institutions, et certains mis en cause n’hésitent pas à en jouer d’ailleurs, donnant du : “Tu vas te donner en spectacle” et “Que vont dire les voisins”.

La situation s’était améliorée… jusqu’à ce qu’elle se dégrade, encore

Des difficultés matérielles qui viennent se superposer aux autres, mentales. Bérengère Sansen pense notamment à cette trentenaire, mère d’un enfant, qui souhaitait quitter son mari violent. « C’était il y a un an et demi, je l’avais orientée dans ses démarches de logement, d’aides familiales, puis je l’ai laissée faire, comme toujours – je suis là pour les aiguiller vers les bons interlocuteurs mais je ne fais pas pour elles – et je n’ai plus eu de nouvelles ce qui ne m’a pas plus interpellée que ça. Il y a trois semaines, les gendarmes m’ont sollicitée suite à une intervention pour violences conjugales, et j’ai reconnu le nom de la dame. J’ai consulté mes notes d’alors et quand je l’ai vue je lui ai rappelé, sans aucun jugement, que nous nous étions quittées sur une volonté de séparation mais voilà, son mari avait alors “changé”, la situation s’était améliorée… jusqu’à ce qu’elle se dégrade, encore, et que ce soit le fait de violence en trop. Elle se dit aujourd’hui prête à partir, vraiment, et je l’ai orientée vers une assistante sociale de la MSA, qui n’arrive pas à la joindre depuis. C’est vraiment frustrant parce que je sens bien qu’elle voudrait, mais elle n’arrive pas à partir », relate la jeune femme.

“Tu vas te donner en spectacle”

La mobilité aussi est un frein, un phénomène qui s’accroît logiquement en campagne : on accède plus facilement au commissariat de Dunkerque, a fortiori accessible en bus gratuit, qu’à une gendarmerie à l’autre bout du territoire. « D’autant que dans les petits villages, tout le monde se connaît, y compris avec les représentants des institutions et certains mis en cause n’hésitent pas à en jouer d’ailleurs, donnant du : “Tu vas te donner en spectacle” et “Que vont dire les voisins”. Beaucoup de victimes ont honte quand ce sont les voisins qui appellent les forces de l’ordre lors de disputes violentes », explique la Nordiste.

À 80 ans, elle voulait finir ses vieux jours tranquille

À l’autre extrémité de la vie, les femmes (très) âgées parlent de plus en plus. Bérengère Sansen pense à cette dame, avec qui elle échange encore régulièrement aujourd’hui : « Elle devait avoir entre 75 et 80 ans quand je l’ai rencontrée, et plus de 50 ans de mariage. Son mari commençait à perdre la tête et menaçait de se suicider, c’est comme ça qu’elle a contacté les gendarmes. Comme le prévoit la procédure, ils l’ont interrogée sur l’existence de problèmes d’alcool ou de violences, c’est là qu’elle a tout raconté. Tout ce qu’elle pouvait faire n’était jamais assez bien, il ne l’avait jamais laissée travailler, ni prendre la voiture : elle dépendait complètement de lui. Elle voulait finir ses vieux jours tranquille mais, quand elle a été auditionnée, elle n’a pas voulu porter plainte. La justice a toutefois reconnu la culpabilité de monsieur qui a finalement été rapidement hospitalisé avant de décéder et, si elle n’en est pas fière, elle en a été soulagée. » Dénoncer la violence, pour ces femmes biberonnées au patriarcat est d’autant plus difficile, mais il semblerait que #MeeToo remonte les générations comme par capillarité.

En moyenne sept départs avant de vraiment partir

Autre évolution observée : celle de la classe sociale. On le rappelle, les violences conjugales, comme les violences intrafamiliales, n’épargnent aucun milieu. « Mais si j’avais à faire à beaucoup de situations précaires au début de ma carrière, il y a une dizaine d’années, j’ai de plus en plus à faire à des victimes et des mis en cause très bien insérés professionnellement et socialement. Difficile à dire si c’est en raison d’une libération de la parole ou pas », poursuit l’assistante sociale, qui évoque par ailleurs cette étude : il faut en moyenne sept départs avant de vraiment partir. Certaines réussissent à partir à la première gifle, d’autres n’y arrivent jamais.   

Justine Demade Pellorce

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