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C’est drôle comme les apparences peuvent être trompeuses parfois. Discuter avec Xavier Gambier de son métier, celui qu’il a vraiment choisi et qui le passionne jour après jour, c’est apprendre qu’on peut être fasciné par le feu comme il l’est et totalement tranquille comme il l’est aussi.
Tout commence à Steenwerck pour le gamin des Flandres qui a plein d’envies pour plus tard mais pas d’idée en particulier. Voilà comment on se retrouve, un beau jour, devant une classe. « Ma mère m’a encouragé à devenir fonctionnaire, par sécurité », rembobine le trentenaire.
Après une fac d’espagnol abandonnée car pas assez centrée sur l’espagnol puis une fac de maths et informatique appliqués aux sciences sociales car accessible en cours d’année après l’abandon en question, Xavier Gambier se forme à l’IUFM (feu Institut de formation universitaire des maîtres) de Douai avant d’enseigner pendant six ans. « À des primo-arrivants (des élèves tout juste arrivés en France, ndlr), dans un IME (institut médico-éducatif) ou en Ulis (pour unité adaptée pour l’inclusion scolaire) dans un collège. » Tout ça à Roubaix et par choix : « Cela me permettait plus de liberté dans la manière de faire les choses. J’avais des idéaux pédagogiques davantage centrés sur les enfants que sur les apprentissages et le public spécialisé permettait ça. Ça me plaisait et j’avais de grandes envies, mais ça demandait aussi une énergie que je n’avais pas assez. »
Alors il arrête après cinq ans et deux ans de congé longue maladie, « des soucis de santé qui m’ont aidé à prendre la décision », formule Xavier Gambier.
Dans un coin de sa tête depuis un moment, l’envie de faire du pain. « À la radio, j’étais tombé sur ce reportage d’un paysan-boulanger qui démontrait combien ça avait du sens de faire du pain comme il le faisait. Ça m’a fasciné et j’ai commencé à faire mon propre levain et mon propre pain », remonte celui qui trouve très beaux, tous les gestes qui mènent à la confection du pain. Parce qu’il ne s’agissait pas alors, pas plus qu’il ne s’agit aujourd’hui, de faire du pain lambda. « Je voulais faire du pain qui nourrit, je voulais faire un aliment et pas juste un produit. »
Avec un couple d’amis, ils décident de lancer un pari un peu fou : créer un café-librairie-boulangerie dans un petit village de Flandre, à Godewaersvelde. Depuis, les amis gèrent le café et la librairie, et Xavier s’est associé avec Thibault et Véro, boulangers conscients, comme lui.
Ensemble, ils achètent le hangar attenant au café-librairie, le transforment en fournil, l’équipent. Et le partagent. S’il ne cultive pas ses propres céréales comme le font les paysans-boulangers, parce que l’accès au foncier est compliqué dans notre coin ; parce qu’il se demande, aussi, comment font ces derniers quand lui voit ses semaines déjà si chargées, il leur emprunte leur modèle : deux jours de production les lundis et vendredis, pas de boulangerie mais une livraison dans plusieurs Amap, quelques magasins de producteurs et deux ou trois adresses dunkerquoises, après avoir posé sa remorque lors du marché de Malo-les-Bains le mardi matin pleine de boules dorées de pains et autres brioches – pains de petit épeautre, de céréales anciennes ou au cacao, pains au lait citron-gingembre ou roulés à la cannelle : une vingtaine de recettes au total.
Du pain « qui nourrit », donc. « Je fais ce que j’aime manger », dit-il simplement. Pour ça plusieurs partis pris : de la farine semi-complète, pour la richesse nutritive ; du levain, qui permet au pain de mieux se conserver mais aussi d’être mieux digéré, le levain pré-dégradant le fameux gluten, et qui, par les bactéries produites, favorise la flore intestinale et les défenses immunitaires. « Un de mes plus grands prescripteurs est un médecin homéopathe de Dunkerque », sourit Xavier Gambier qui ne trouverait pas si incongru de voir son pain prescrit sur ordonnance. « À la maison, on a bien constaté qu’on était moins souvent malades depuis qu’on mange du pain au levain », partage-t-il.
Deux autres principes dans la démarche du boulanger : le choix de variétés anciennes, « pour la rusticité et la diversité », dit celui qui aime découvrir, et se réadapter, aux farines produites d’une année sur l’autre en fonction des millésimes. Pas besoin d’expliquer pourquoi au Pain décroissant, tout est bio et s’il le fallait c’est « pour prendre soin de la terre et de la santé, en évitant les pesticides ».
S’il ne cultive pas ses propres céréales, le Nordiste les achète à plusieurs producteurs locaux « qui font ça très bien » : à la ferme des Mions, à Hazebrouck, ou chez Pierre Campion, à Pitgam, à la ferme des Trognes, ou encore chez Michel-Carol Patin, pour le petit épeautre cultivé dans le sud de la France : son seul écart au local (avec les graines et autres fruits secs bio), parce qu’il n’a pas le même goût que celui cultivé ici, pense l’amateur de choses brutes.
« J’aime la matière », confesse celui qui vient de faire une extension en terre à sa maison berthinoise, au pied du mont des Cats, intégrée il y a quelques années après plusieurs années en citadin malheureux. « J’aime le feu », dévoile-t-il encore quand on lui demande si le plaisir est toujours là, après sept années de boulangerie et quelque 350 kg de pain produits chaque semaine. Le feu, un élément ancestral, qui réchauffe et réunit. Un feu qui alimente son four aussi, et nourrit ceux qui savent ce qu’ils font. Et surtout pourquoi.
Justine Demade Pellorce