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On appelle ça mettre la main à pâte. Véro Leherissé, 37 ans, et Thibault Vandroth, 38 ans, ont tous deux suivi des études d’aménagement du territoire.
” C’est la géographie humaine qui m’intéressait surtout : l’idée de mener des projets pour les territoires et pour les gens “, rembobine la jeune femme, tout en détaillant des pâtons.
À ses côtés, en plein pétrissage, Thibault confirme cette envie, ” depuis toujours, de travailler sur les territoires “.
Alors qu’elle coordonne une association d’éducation à l’environnement à Roubaix, ” déjà une forme de militantisme “, Véro se penche sur les questions d’alimentation.
De son côté, Thibault travaille à la naissance d’un système alimentaire local à Loos-en-Gohelle : l’ancêtre des PAT, “ la réelle ambition politique en plus“, sourit celui qui a toujours axé ses projets sur le monde rural, y compris lors d’une mission de solidarité internationale en Guinée.
Les deux partagent les mêmes valeurs et, bientôt, le même besoin d’aller plus loin. ” Voir les choses émerger c’est bien, mais nous avions envie d’être acteurs “, explique le natif de Noordpeene (59).
Formation d’animateur en agroécologie en poche il songe, pourquoi pas, à se lancer en maraîchage. Bio.
” Le minimum qu’on puisse faire pour qu’un projet soit cohérent vis-à-vis de l’impact sur l’environnement et sur la santé “, pose-t-il.
Ils savent vers où ils veulent aller mais pas encore précisément par quel chemin. Dans ce cas-là, rien de tel qu’un petit détour. Ils quittent leurs emplois et partent, façon compagnonnage, pour un tour de France : une année sur les routes à la rencontre d’artisans, de producteurs qui partagent avec eux l’ambition d’un monde meilleur. Osons les grands mots. Nous sommes en 2014.
La première des étapes passe par le Morbihan – Véro est bretonne d’origine -, chez Julie et Florian, des paysans-boulangers. Leur modèle rassemble tout ce dont rêve le binôme, ” la maîtrise de tous les maillons de la chaîne, depuis la semence paysanne jusqu’à la vente directe“, liste le boulanger.
Ils poursuivent l’expérimentation. ” Fermes pédagogiques, exploitations en maraîchage bio, petites ou grandes, avec une seule personne ou plusieurs : nous avons voulu tout appréhender “, raconte Véro. ” J’ai compris que le métier de maraîcher était difficilement compatible avec mes aspirations à un certain équilibre vie pro vie de famille “, explique Thibault à quelques pas du petit bureau où le deuxième enfant du couple, Léonce, 1 an, fait la sieste.
Une fois conforté dans son projet, le couple passe un CAP boulangerie en candidat libre et choisit de tester. Chez les parents de Thibault, où ils installent leur four à feu de bois mobile. Six mois plus tard, le test est concluant, il faut grandir, il faut bouger.
” Nous sommes alors en contact avec Bertrand et Louise, des Jardins du Nooteboom, maraîchage bio à Bailleul (59). Ils faisaient un marché de producteurs, ça nous semblait cohérent d’intégrer cet écosystème naissant.”
Ils se mettent en quête d’un local après avoir très vite abandonné l’idée de cultiver leur propre blé : comme toujours, la difficulté de l’accès aux terres, a fortiori pour qui n’est pas du sérail.
“Pour qu’un couple de paysans-boulangers vive de son travail, il faut au minimum 15 hectares, calcule Thibault. Alors nous avons fait le choix de devenir boulangers, mais en cohérence avec nos principes.”
A savoir l’utilisation de variétés anciennes. Pour ça, des blés produits en région par l’association Initiatives paysannes qui défend le partage de semences et de savoirs. Le couple fait évoluer son mélange en visant l’équilibre agronomique et nutritif : il faut que paysan et boulanger s’y retrouvent.
Le consommateur aussi, évidemment, qui trouve dans ce pain des qualités nutritives, digestives ou organoleptiques (le goût, quoi) sans pareilles.
Ces blés sont cultivés sur 15 hectares (trois rotations de 5 hectares) par trois agriculteurs : l’EARL Verier à Hazebrouck (qui bénéficie des hautes pailles issues des blés anciens pour ses vaches et qui fournit, en retour, son beurre fermier pour les brioches), les Jardins du Nooteboom à Bailleul et la ferme Rouzé à Wambrechies, où Les pains dépaysants fournissent notamment l’Amap.
Récoltés, les blés sont stockés et moulus (sur meule de pierre, pour conserver les qualités nutritionnelles toujours) au fur et à mesure chez Saveurs de terre, maraîcher et meunier à Terdeghem.
Une petite organisation, doublée de la livraison quasi quotidienne dans les différents points de vente qui concoure, aussi, à nourrir l’écosystème auquel les trentenaires aspirent.
“Parfois je me dis qu’un boulot alimentaire serait plus tranquille, mais quand je vois quel équilibre global nous avons réussi à créer alors je n’ai plus de doutes“, dit Véro après avoir expliqué, aussi, le parti pris de conférer à leur société le statut de Scop (société coopérative et participative) après le passage par la couveuse A petits pas.
“Un garde-fou pour ne pas devenir d’affreux patrons, rigole à moitié la jeune femme. Ça nous permet de transmettre un projet plutôt qu’un outil de travail. Ça demande d’accepter de transmettre plutôt que de vendre“, admet celle qui explique encore chercher à embaucher, au moins à mi-temps, Aboubakar, l’apprenti qui se forme à leurs côtés depuis trois ans et ça même si, parce que le Malien arrivé en France à l’âge de 16 ans a de grosses difficultés en français, peine à obtenir son CAP.
Pain de campagne, aux graines, au chocolat, brioche….Une douzaine de recettes sont enfournées quatre fois par semaine dans le fournil partagé avec Xavier Gambier (Du pain décroissant), ancien instituteur reconverti en boulanger conscient, lui aussi.
À Godewaersvelde, les boulangers sont intégrés au CaLiBou qui, son nom le dit, est un café-librairie-boulangerie.
Les pains sont naturellement confectionnés au levain (pour une meilleure conservation, une meilleure digestion des nutriments, un vrai goût aussi) : ce serait plus facile avec de la levure, ici on est sur du vivant et on doit s’adapter en fonction du temps.
Pas question de boulanger en mode pilote automatique. “On est obligés de travailler avec nos sens en éveil“, formule Véro. Ça tombe bien parce que le(s) sens, ici, c’est pas du vent.
2014. Le couple se lance dans un tour de France afin d’affiner son projet.
2016. Le tout premier pain sort du four à feu de bois, installé dehors, chez les parents de Thibault.
2017. Installation au CaLiBou, le bar-librairie-boulangerie de Godewaersvelde après deux déménagements de fournil déjà.
2023. Une douzaine de recettes sont boulangées tous les deux jours et vendues au marché de Bailleul, au CaLiBou (Godewaersvelde), sur la plateforme Collocflandres, au Court circuit, à la ferme Moorel (Sec Bois) et dans divers dépôts jusque Lille.
Justine Demade Pellorce
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