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Il est des histoires qu’on se raconte dans les campagnes flamandes depuis des siècles… Elles ont tellement été racontées qu’elles ont acquis le statut de légende, quitte à s’éloigner plus ou moins de la réalité. À quelques jours d’Halloween, c’est aux légendes de sorcières, ou en tout cas, aux femmes de pouvoir, que Terres et Territoires s’est intéressé avec Éric Vanneufville.
Historien, il a écrit, entre autres, les livres Contes et légendes des Flandres et de Picardie, ainsi que plus récemment, Légendes de Flandre, dans lequel il “analyse les légendes pour voir leur ancrage avec la réalité historique”, autrement dit, c’est un spécialiste. Au travers de quatre histoires, nous partons à la découverte de ces légendes, plus ou moins effrayantes.
Mais avant de parler des sorcières flamandes, il faut revenir aux fondamentaux. “C’est au Moyen-Âge que naissent les mythes et légendes. Ils sont écrits à ce moment-là, souvent plusieurs dizaines d’années après les événements…”
Une fois cela établi, d’où viennent les histoires de sorcières ? “Pour moi, il y a un acte fondateur qui a mené aux légendes sur les sorcières. Dans la loi salique, la loi des Francs, il est fait mention des stryges. Les stryges étaient des femmes qui procédaient à des sacrifices humains, notamment des hommes. Elles découpaient en morceaux leurs victimes et les faisaient cuire dans un chaudron… Elles scalpaient également les individus et se servaient du crâne comme d’un récipient.” Tous les ingrédients de la sorcière moderne.
“À partir de là, toutes les femmes avec du pouvoir, de l’argent et qui étaient jolies étaient potentiellement des sorcières. On les soupçonnait d’avoir des rapports avec le diable qui leur permettaient de s’enrichir…”, explique Éric Vanneufville.
Bien que craintes, les sorcières pouvaient aussi faire le bien. Cette première histoire se déroule à Drincham, entre Saint-Omer et Bergues. Laure et Daniel, deux jeunes gens, sont amoureux et veulent se marier. Mais le père de Laure, François Vamhens, le refuse. Désespéré, le couple s’en va voir la sorcière du village qui lui assure qu’elle va régler le problème.
Quelques jours plus tard, alors que François souhaite rentrer son cheval à l’écurie, celui-ci s’y refuse catégoriquement. François s’en va voir le curé, qui ne parvient pas non plus à faire bouger le cheval. Un habitant suggère alors à François d’aller voir la sorcière… Celle-ci vient chez François, rentre dans l’écurie quelques minutes, en ressort et dit “le sort n’est plus !” Et le cheval finit par rentrer. Avant de partir, la sorcière ajoute : “Le sort reviendra si tu n’autorises pas Laure et Daniel à se marier !”
Avec le recul, une explication logique s’impose : “À l’époque, les loups avaient tendance à faire leurs besoins dans les écuries… Le cheval a dû sentir cela (est-ce que c’est la sorcière qui avait placé des déjections de loup dans l’écurie ?) et n’a pas voulu entrer, de peur. La sorcière a simplement dû retirer les déjections !”
Mais trêve de gentillesse et faite place aux sorcières, les vraies. Qui dit Moyen-Âge dit guerre. En 1071, le comte des Flandres et du Hainaut décède, laissant derrière lui un fils, Arnulfe. Dans la logique des choses, Arnulfe devrait hériter du titre de comte. Mais c’était avoir oublié la présence du frère du comte, Robert, parti guerroyer depuis plusieurs années chez les Frisons, accompagnés de soldats saxons.
Robert déclare la guerre à Arnulfe. Celui-ci demande de l’aide au roi de France qui lui procure une armée importante. “Pour tous les “bookmakers” de l’époque, Arnulfe est donné gagnant.” Mais alors qu’il est dans sa tente, en train de préparer son plan d’attaque, une vieille dame, “la jeteuse de sort” entre dans la tente et lui demande l’aumône. Après avoir été repoussée trois fois, la sorcière lui lance “sans lignée, sans comté, sans vie”, et s’en va.
Le lendemain, l’armée d’Arnulfe fut battue à plates coutures et Arnulfe perdit la vie sur le champ de bataille, sans avoir eu d’enfant. Robert devint donc comte des Flandres.
Pour un peu de parité et parce qu’il n’y a pas que des légendes de sorcières dans les Flandres, Éric Vanneufville a insisté pour raconter une légende de sorcier, impliquant même le diable.
“Cela se passe du côté de Wormhout, dans un champ envahi de serpents. Un homme propose au paysan propriétaire de la terre de le débarrasser de ces nuisibles. Il creuse un fossé autour du champ et appelle un collègue à la barbe noire Cet homme entre dans le champ et tous les serpents s’enfuient et tombent dans le fossé pour être exterminés ! Pour les gens, il y a eu collaboration entre un sorcier et le diable, mais qui est qui dans cette histoire… Cela reste flou.”
Enfin, l’une des légendes les plus célèbres des Flandres est sans doute celle d’Halewyn ou Alewyn. “Halewyn était un seigneur connu pour sa belle voix. Alors qu’il chantait dans la forêt (il y a souvent des forêts dans les légendes flamandes), comme souvent, une princesse (qui n’a pas de nom) demanda à son père de pouvoir aller rencontrer Halewyn. Son père lui dit non car “toutes les jeunes filles qui sont allées le voir ne sont jamais revenues”.” Voilà un bon début de film d’horreur.
“La mère de la princesse lui dit la même chose que son père mais son frère, lui, l’encouragea à y aller… Ici, l’historien que je suis peut supposer qu’il voulait se débarrasser de sa sœur pour avoir le trône. Enfin, la princesse écouta son frère et se rendit dans la forêt avec son cheval. Là, elle découvrit Halewyn, vêtu d’une superbe tunique blanche. Et alors qu’elle le suivait, ils arrivèrent dans une clairière (là aussi, beaucoup de clairières dans les légendes flamandes). Quand elle leva les yeux, elle aperçut à chaque arbre une jeune fille pendue.” Halewyn était donc en fait, un tueur en série !
Devant ce constat, la princesse se dit qu’il faut réagir. Et pourquoi pas utiliser son statut ? “Tu ne peux pas me pendre car je suis une princesse, tu dois m’offrir une mort noble. Halewyn lui propose donc de lui trancher la tête. C’est alors que la princesse lui suggéra de retirer sa tunique, au risque de la tacher“, décrit Éric Vanneufville. Et alors qu’Halewyn lâche son épée pour retirer sa tunique, la princesse saisit l’arme et tranche la tête du seigneur.
“Elle décide de repartir avec la tête d’Halewyn sous le bras pour rentrer au château. En chemin elle croise une vieille dame à qui elle montre la tête, il se trouve que c’était la mère d’Halewyn ! Elle arrive au château où tout le monde est, si ce n’est soulagé, du moins surpris de la voir ! On festoie donc jusqu’à ce qu’il fasse sombre. La princesse décide alors de scalper la tête, de la nettoyer et de s’en servir de photophore. C’est de-là que vient la pratique des betteraves creusées !“
Conclusion : gentilles ou méchantes, réelles ou non, difficile de savoir. Alors un conseil, restez sur vos gardes.
Eglantine Puel