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Souvenez-vous février 2022 : la Russie envahissait l’Ukraine et tout autour, on avait peur du black-out. Le gaz n’arriverait plus dans nos maisons, il fallait baisser le thermostat et, comme Bruno Le Maire, enfiler des cols roulés. Et si la question était déjà sur la table, ce tournant a accéléré la nécessité d’une stratégie forte pour “parvenir à la souveraineté énergétique européenne”, sujet discuté par François Gemenne, politologue spécialiste du climat, Nicolas Soudon, directeur exécutif de l’action territoriale de l’Ademe, et Thibaud Voita, conseiller au centre énergie de l’Institut Jacques Delors.
« L’énergie a toujours été centrale en termes de géopolitique, a commencé François Gemenne. Les ressources énergétiques garantissent la paix. » Mais le spécialiste a immédiatement modulé : « Avec le changement climatique, nous ne serons plus jamais souverains, car nous ne serons plus jamais maîtres de notre destin. »
Une interconnexion au reste du monde, une dépendance aux producteurs de terres rares : voilà qui balaie quasi immédiatement cette idée de souveraineté dans un monde plus lié que jamais. Un paradoxe que le rapporteur du Giec qualifie d’ailleurs « d’arrogance » et de « péché d’orgueil ».
À ses côtés, Nicolas Soudon fait valoir que « l’Europe fait preuve d’un certain volontarisme politique, avec le green deal ou encore le fonds chaleur : 4 milliards d’euros investis depuis 2009 sur le renouvelable (la chaleur, c’est 45 % de la consommation en énergie, ndlr), remboursés en un an avec la crise de l’énergie liée à la guerre en Ukraine et le coût du gaz. Le système se met en place et, même s’il reste imparfait, il permet de mettre en place la décarbonation », pense le directeur de l’action territoriale de l’Ademe.
Mais les producteurs d’équipements dédiés à l’énergie renouvelable comme les terres rares ne sont pas européens, ou si peu. La Chine et ses fabriques d’éoliennes, de batteries électriques, de panneaux solaires… « Et l’Europe, qui a souffert du raz-de-marée chinois, au lieu d’y réagir a choisi de réagir à la réaction américaine. C’est triste et c’est problématique », estime Thibaud Voita qui appelle à « une meilleure anticipation : il faut que l’Europe se mette d’accord sur une stratégie de soutien et sur une plus grande flexibilité en termes de règles budgétaires européennes ».
Concrètement, les pistes sont nombreuses et, rappelle François Gemenne, « l’Europe est un des plus gros marchés en termes de consommateurs, une puissance politique mais aussi commerciale », reste à investir massivement, y compris dans le privé. « Nous avons un potentiel de 100TWh rien qu’avec la chaleur fatale, soit le tiers de la production des centrales nucléaires », rappelle Nicolas Soudon qui évoque encore le pouvoir de la coopération transfrontalière comme elle peut exister à Strasbourg, qui bénéficie de la chaleur produite par les usines outre-Rhin.
Reste la sensible question du coût, réel et symbolique, de la transition : « Est-ce qu’on peut accepter qu’elle se fasse à deux vitesses? », interroge Nicolas Soudon ; est-on prêt à accepter des mines de lithium, nécessaire à la production de batteries électriques ou d’ordinateurs, ici et pas à l’autre bout du monde ? « La question de la souveraineté est une question, aussi, de responsabilité en n’occultant pas l’impact de certaines productions à l’autre bout de la planète », rappelle le directeur de l’Ademe. « La question est stratégique mais aussi politique et même éthique. » Et François Gemenne de commenter : « La question du lithium est constante et réelle, mais produisons-nous le pétrole que nous utilisons jusqu’ici ? Par ailleurs, il existe des mines en Serbie ou au Portugal, mais sommes-nous prêts à une solidarité européenne ? » La base.
Justine Demade Pellorce Jdemade@terresetterritoires.com