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Trop gros ou pas assez, tordus ou bosselés et parfois juste trop nombreux : les fruits et légumes subissent un écart de tri de près de 5 % en moyenne, autant de pertes pour les agriculteurs. Anticiper au mieux la demande et semer/planter en conséquence, choisir les calibres et variétés attendus : voilà la gymnastique perpétuelle des producteurs, parfois accompagnés d’experts lorsqu’ils intègrent une coopérative. Mais voilà, on a beau prévoir et anticiper, la pluie et le soleil ça ne se programme pas et chaque campagne est une nouvelle aventure. Sans compter les petits accidents de la nature : parfois un légume ne pousse pas au cordeau, dévie et sort de terre tout courbé. Est-ce pour autant que le tordu ne sera pas bon ? Bien sûr que non. Mais « les consommateurs achètent surtout avec les yeux », formule Daniel Barbier, commercial pour la coopérative Norabio.
Ces « cœurs de gamme » comme ils s’appellent, fixent les gabarits : un oignon idéal possède un diamètre compris entre 40 et 60 millimètres. Au-dessus (60-80 mm) c’est gros mais ce n’est pas un problème. En dessous (20-40 mm), c’est petit, on parle de sous-calibre, et ça les consommateurs n’aiment pas. Parce qu’ils sont moins bons ? Toujours pas, mais il faut en éplucher davantage pour obtenir la même quantité finale et ça, voyez-vous…
C’est en partant de ces constats qu’un trio de jeunes diplômés en commerce a eu l’idée de développer, il y a un peu plus de deux ans maintenant, un concept de paniers de fruits et légumes « moches ». Point commun : avoir été cultivés en bio en France métropolitaine et avoir été écartés du circuit en raison de leur calibre, d’éléments esthétiques ou de pics de surproduction. Après l’Île-de-France, Lyon et Marseille, la start-up a débarqué à Lille le 3 octobre. « Logique pour nous, alors que plus de la moitié de nos producteurs proviennent de la région », justifie Sven Ripoche qui avance un autre chiffre : déjà 115 abonnés mi-octobre, rejoignant l’objectif de développement de 200 clients réguliers en un mois.
Des clients séduits par un triple avantage, liste-t-il : « Des produits de qualité, vraiment moins chers qu’en magasins bios (la start-up avance une réduction de 40 % du prix de vente en moyenne, ndlr) et une dimension éthique avec un impact environnemental réduit par l’antigaspi et une rémunération supplémentaire des agriculteurs. »
Le principe est simple : une formule hebdomadaire au choix (panier fruits, panier légumes ou panier mixte de 4 ou 8 kg), à compléter de produits d’épicerie, eux aussi écartés du circuit en raison de dates limites de consommation (DLC) courtes ou de changement d’emballages. L’abonnement peut être mis en pause ou annulé à tout moment, sans frais, mais la formule permet une régularité de la demande et, de fait, une visibilité sur les besoins. « En moyenne nos clients optent pour trois paniers par mois », calcule le jeune cofondateur.
Car c’est là tout le jeu d’équilibriste : prévoir les imprévus, standardiser des accidents. Côté producteurs, c’est essentiellement la coopérative Norabio (140 adhérents) qui intervient pour les Hauts-de-France, additionnée de quelques agriculteurs indépendants. Daniel Barbier, commercial France pour la coopérative, explique : « Nous travaillons avec Hors Normes depuis les débuts. Pour écouler les produits difformes, en sur ou sous-calibres, nous nous tournons parfois vers l’industrie quand les quantités le permettent. Nous travaillons aussi avec les magasins Biocoop qui ont un cahier des charges plus ouvert que d’autres en la matière. Mais il nous restait encore trop de produits écartés, invendables sur le circuit normal. »
En moyenne pour le commercial, « un écart de tri de 15 % pour les pommes de terre, parfois jusqu’à 50 % pour les carottes ». Un manque à gagner, parce que tout tordus soient-ils, ils ont coûté en production, ils coûtent en stockage. Et avec le prix bondissant de l’énergie, c’est encore plus dommage que d’habitude de stocker des produits qui ne trouveront, finalement, jamais preneur. Sans oublier les pics de surproduction pour les endives ou les champignons, et même certains légumes dans les champs pour lesquels il faut faire le choix de « mettre en coup de broyeur » ou pas. Cornélien. Et contre nature.
« Nous avons, par exemple, proposé des choux frisés dont les feuilles extérieures étaient un peu attaquées. Rien de nocif, rien d’évolutif (c’est un principe), il suffira aux consommateurs d’enlever trois ou quatre feuilles », résume Daniel Barbier qui rappelle la vocation première de produire et commercialiser des cœurs de gamme tout en se réjouissant d’avoir trouvé là une solution pour les fruits et légumes rebelles.
Les produits écartés sont vendus un tiers moins cher par les producteurs, qui récupèrent au moins le coût de production. « Nos paniers lillois sont composés à 80 % de produits régionaux, que nous complétons, surtout, de quelques fruits », détaille Sven Ripoche. Produits accompagnés du motif de leur présence – « Une courge spaghetti, apparemment un peu petite », « 475 g de rhubarbes jugées en trop ». « Les paniers ne sont pas à 100 % modulables puisque par définition nous composons en fonction de l’offre mise à jour chaque semaine. Mais il est possible de choisir un produit joker, qu’on n’aime vraiment pas, pour qu’il soit remplacé », précise le pas encore trentenaire.
Pleurotes équeutés, radis noirs en sous-calibre, pommes ou potimarrons attaqués par la grêle présentant des impacts superficiels ou encore pomelos tachetés parce qu’ils avaient pris le soleil : tous ont été sauvés du gaspillage alimentaire, limitant la casse pour les producteurs et la planète (produire c’est toujours un peu lui nuire). Les paniers lillois (à récupérer dans l’un des 30 points relais sur Lille intra-muros ou à recevoir directement) sont composés par l’association d’insertion Le gardin de Marianne (lire notre article dans le journal du 30 septembre).
Justine Demade Pellorce