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Saviez-vous que sans intervention humaine, la mer pourrait remonter jusqu’à Saint-Omer ?
Dans le delta de l’Aa, entre Dunkerque, Calais et Saint-Omer, 450 000 personnes vivent sous le niveau de la mer, autrement dit en dessous du niveau 0. Ce type de territoire, appelé polder, est une étendue de 100 000 hectares gagnée sur la mer au fil de temps grâce à un réseau de 1 500 kilomètres de fossés et de canaux qui se croisent et communiquent entre eux par de multiples ouvrages, pompes, vannes, écluses et siphons.
Ce réseau appelé communément “système des Wateringues” est un système sophistiqué d’ouvrages hydrauliques conçu pour empêcher la mer de submerger les terres basses. « Notre mission principale est d’évacuer les eaux du polder vers la mer », explique Frédérique Barbet, adjointe au directeur et responsable GEMAPI (Gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations) à l’Institution Intercommunale des Wateringues (IIW), l’organisme qui gère ce vaste réseau.
« On évacue les eaux du fleuve de l’Aa, qui prend sa source dans l’Audomarois, du côté de Bourthes », précise Frédérique Barbet, soulignant le rôle crucial de l’IIW dans la gestion des eaux continentales. « Le fleuve Aa se jette naturellement dans la mer du Nord à Gravelines. Mais en chemin, il est rejoint par plusieurs affluents, dont la Hem, ainsi que par des eaux de ruissellement provenant des bassins versants. Les eaux accumulées sont canalisées vers la mer grâce aux exutoires, situés dans les ports de Calais, Gravelines et Dunkerque ».
Dans le polder du delta de l’Aa, l’évacuation des eaux repose principalement sur deux techniques : l’évacuation gravitaire et l’évacuation par pompage. Le choix entre ces méthodes dépend du niveau de la mer et de la quantité d’eau à évacuer. L’évacuation gravitaire consiste à ouvrir les portes des canaux lorsque le niveau de la mer est bas, permettant aux eaux des canaux de s’écouler naturellement. À chaque marée basse, les portes s’ouvrent et l’eau s’évacue vers la mer sans intervention humaine. À marée haute, les portes se ferment pour empêcher la mer d’envahir les terres, et les eaux douces s’accumulent dans le réseau de canaux. « On évacue la majorité de l’eau en gravitaire, naturellement », indique Frédérique Barbet.
S’agissant de l’évacuation par pompage, elle devient nécessaire lorsque les précipitations sont abondantes ou lors de crues, quand les canaux risquent de déborder. À ce stade, les stations de pompage interviennent pour évacuer rapidement les surplus d’eau vers la mer. À Calais, par exemple, les stations assurent l’évacuation de l’eau en combinant le système gravitaire et par pompage. En revanche, à Mardyck, le système repose uniquement sur le pompage, avec un débit annuel d’environ 40 millions de m³. L’ensemble des stations de pompage du delta de l’Aa dispose d’une capacité de 100 m³ par seconde. En hiver, l’IIW s’efforce d’évacuer un maximum d’eau pour éviter les inondations alors qu’en été, une quantité d’eau est conservée dans les canaux pour répondre aux besoins d’irrigation agricole.
Contrairement aux Pays-Bas et à la Belgique, où la gestion des polders est centralisée et encadrée par une réglementation nationale, la France ne dispose d’aucune législation spécifique dédiée aux polders. Le manque de réglementation limite les possibilités de financement pour l’IIW qui doit se tourner vers des fonds comme le Programme d’actions de prévention des inondations (PAPI) pour entretenir ses infrastructures. Or, la plupart des stations de pompage du polder datent des années 1970. « On a beaucoup entendu dire que les pompes sont obsolètes, mais c’est totalement faux. Elles fonctionnent très bien, et sans elles, une grande partie du delta aurait été sous un mètre d’eau », affirme Frédérique Barbet.
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Cependant, l’urbanisation croissante de la région réduit la capacité du sol à absorber l’eau, entraînant une augmentation du ruissellement. L’IIW doit donc gérer des volumes d’eau toujours plus importants, au-delà de la capacité pour laquelle ces pompes ont été initialement conçues. « Ce n’est pas un problème de vétusté, mais de capacité de pompage », résume-t-elle. Les coûts énergétiques représentent également un défi majeur pour l’IIW, qui ne bénéficie pas du bouclier tarifaire réservé aux communes. En 2023, durant les quatre mois de fortes pluies, l’institution a pompé plus de 400 millions de m³ d’eau, soit l’équivalent de 140 000 piscines olympiques, une opération essentielle pour réduire la catastrophe, mais coûteuse. « On risque de devoir pomper toujours plus, donc dépenser plus en électricité. C’est un vrai sujet. Qui pour payer la facture ? », s’interroge Frédérique Barbet.
Face au changement climatique, l’IIW met en place des stratégies d’adaptation pour répondre aux risques croissants d’inondations, de submersions marines et de pénuries d’eau en période de sécheresse. Elle prévoit notamment des mesures pour préparer la région aux impacts du climat à moyen terme (2050) et à long terme (2100). Depuis 2016, le PAPI a permis de moderniser les infrastructures et de renforcer la résilience du polder avec un investissement de 39 millions d’euros.
Les solutions incluent des actions pour réduire l’imperméabilité des sols, la création de zones d’expansion de crues, le curage des fossés et la mise en place de haies pour ralentir le flux de l’eau vers les zones basses. « Tout cela devrait permettre de freiner l’eau pour qu’elle arrive moins vite dans le polder », explique Frédérique Barbet. L’IIW prévoit également de mettre en place des bassins de rétention et des installations pour dévier temporairement les flux d’eau afin d’éviter les inondations dans les zones habitées.
Mais avec des phénomènes météorologiques de plus en plus extrêmes, comme les « Water bombs » (pluies massives concentrées en un court laps de temps, ndlr), l’infrastructure seule ne suffira probablement pas à protéger le territoire des inondations. « Particuliers, collectivités, agriculteurs, industriels, chacun a un rôle à jouer ! » souligne Frédérique Barbet. Le programme “Delta de l’Aa 2050” a été mis en place pour sensibiliser le public à la gestion de l’eau et aux défis climatiques à venir. Une nécessité si l’on souhaite que les générations futures puissent continuer à vivre dans le delta de l’Aa. Au sec, si possible.
Julien Caron