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Attention Gérard Sellier prévient : ni lui ni sa moitié, Françoise, n’ont prémédité ce qui se trame depuis maintenant 25 ans dans leur jardin merveilleux. Les concerts et les expos, les ateliers et les événements extérieurs : tout ça – À travers champs – s’est fait naturellement.
Parce que Françoise a acheté une maison sans fenêtres au milieu des années 70, qu’elle a semé et planté, sur ces terres achetées un franc le mètre carré, jusqu’à veiller aujourd’hui sur quatre hectares.
Parce que Gérard, arrivé au mitan des années 80, a, lui, commencé à bricoler, des décors de théâtre d’abord, son “vrai métier”, et tout le reste ensuite : les espaces extérieurs, le tracteur, le bar ou les toilettes sèches, la scène mobile…
Parce que ces deux-là, du haut de leurs 2 000 euros de retraite cumulés, sont riches de cette vie qui bruisse tout autour. « Posséder tout ça sans le partager n’aurait fait de nous que de riches propriétaires terriens », sourit Gérard.
Le malicieux de 74 ans, qui passe son temps à prévenir qu’il va « la faire courte » avant de dérouler mille et une anecdotes, rembobine : « Une fois, des copains sont venus déposer leurs affaires pour la braderie de Thérouanne (à deux petits kilomètres de ce lieu hors du temps qui possède toutefois une adresse postale : hameau de Saint-Jean à Clarques / Saint-Augustin, ndlr). L’année d’après on a décidé de faire des crêpes, la suivante un petit concert et ça a fini par devenir un rendez-vous : il fallait créer une structure juridique pour ouvrir au public. »
L’association À travers champs (ATC) était née. Nous sommes en 1998 et le traditionnel lundi de Pentecôte voit d’abord un, puis deux, trois… 12 groupes se produire dans les jardins.
L’atelier de Gérard est devenu théâtre de campagne, quelques toiles ont été tendues ici ou là et, depuis la mi-juin, un chapiteau pouvant accueillir jusqu’à 300 personnes.
À travers champs est un lieu de création mais aussi de diffusion et de production (le groupe de latin-folk-fado-chanson française Lunar est notamment produit par l’asso). « Tous les modes d’expression doivent ici trouver leur place », milite Gérard Sellier. Le président de l’association déroule encore les résidences d’artistes (dans le cadre du Cléa avec la Capso, en toutes lettres ça donne Contrat local d’éducation artistique de l’agglo du Pays de Saint-Omer) et le soutien « à des projets divers et variés ».
Quelques-uns des bénévoles de l’asso veulent créer un jardin pédagogique solidaire ? Banco ! Ces 5 000 m2 s’ajouteront au verger, au jardin expérimental ou encore au jardin des théâtres, ces espaces diversement aménagés par l’horticultrice en chef, Françoise, qui corrige n’être « cheffe de rien » puisqu’elle est « la seule à (s)’en occuper ».
Des jardins qui jouxtent les espaces laissés à la nature histoire d’accueillir, aussi, une faune et une flore fertiles. Le jardin pédagogique sera notamment cultivé par des détenus du centre pénitentiaire de Longuenesse qui trouveront, dans la bulle d’À travers champs, une parenthèse à leur parenthèse. « Dans l’idée de leur donner une ouverture sur le monde, avec des perspectives. » Tout ce qui résume la philosophie de l’association.
Ses membres comme son salarié, Frédéric Jeannin, se défendent de faire de la politique, qui n’aurait pour effet que de fermer des portes. Tout l’inverse de l’élan naturel. Ici la politique, et plus largement le vivre ensemble, ne sont qu’une conséquence de ce qu’on sème jour après jour.
En faisant poser l’agriculteur voisin dans sa série sur les baignoires abandonnées en campagne, le photographe François Van Heems raconte ce qui se passe ici et maintenant, et l’asso lui ouvre sa galerie en plein air. En accueillant des artistes du monde entier, À Travers champs fait entendre la voix et les idées du bout du monde dans ce recoin de campagne et ouvre là encore les perspectives. Sans arrogance, juste nourrie de cette joie toute simple.
« L’autre fois, raconte Gérard Sellier, je croise un mec et l’invite à venir voir une pièce de théâtre qui se jouait ici. Il me répond “Moi, le théâtre, j’y connais rien”. Mais on s’en fout je lui dis, y’a pas à connaître, on aime ou on n’aime pas et voilà. » Et le type est venu, et vous devinez la profonde satisfaction quand Gérard – qui précise comment ici on mêle les genres en accolant toujours une exposition à un concert ou une installation à une pièce – l’a recroisé dans une galerie d’art. Une vraie. Déverrouiller, voilà ce que fait ATC.
« ATC c’est un outil, et un outil, c’est fait pour servir », dit Gérard qui revendique son pragmatisme, balayant toute accusation de douce rêverie que le personnage, il faut le dire, aurait tôt fait d’inspirer. Un outil qui permet, détaille Frédéric Jeannin, d’organiser des festivals divers et variés comme ce rendez-vous punk, le 24 août avec en tête d’affiche les célèbres-dans-leur-genre Ramoneurs de menhirs. Aussi une dizaine de concerts à l’extérieur ou encore un festival jeune public, organisé en partenariat avec le réseau des bibliothèques de la Capso. « Et ça marche bien », savoure le salarié de l’asso. La limite ? Les financements, comme toujours. Et s’il salue une stabilité des financements historiques – agglo, Département – plus serait mieux. « Compliqué », euphémise Fred Jeannin. Mais pas impossible, et les projets se multiplient.
« Il y a deux points : celui où on arrive et celui où on s’en va. Et entre deux, il y a la vie », a l’habitude de formuler celui qui se qualifie de serrurier – constructeur – accessoiriste à la retraite. Comment le septuagénaire, Lillois d’origine et nomade dans l’âme, a-t-il pu poser ses caisses à outils dans ce jardin audomarois ? En faisant venir le monde à lui. « Ce n’est pas un problème, parce que cet endroit bouge », résume Gérard Sellier.
Une valse à laquelle tout le monde est convié, gamin ou vieux rockeur, chasseur ou intellectuel de gauche, des villes comme des champs. Ici on vient comme on est et on repart forcément un peu changé du frottement aux autres. Ça s’appelle faire société.
Justine Demade Pellorce