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Roland Jourdain (Bilou pour ses supporters), 59 ans, est « tombé » dans la mer tout petit. Le Breton a beau avoir « des origines très terrestres, terriennes même avec des racines paysannes », il est aussi né dans le Finistère, étymologiquement « fin de la terre ». Et début de l’aventure nautique pour celui qui parcourra les océans comme coureur au large : un temps coéquipier d’Éric Tabarly, il est double vainqueur de la Route du Rhum (2006 et 2010) mais déjà, une prise de conscience. Celle des limites planétaires. « Le coût environnemental d’une telle course est énorme », rappelle-t-il.
En 2013, le marin entame son pas de côté, fonde un bureau d’études dédié aux biocomposites, Kaïros environnement, et commence à plancher sur le remplacement de la fibre de verre – utilisée pour les bateaux de plaisance essentiellement – par de la fibre de lin.
S’il ne peut rivaliser avec le carbone (dont sont faits les bateaux les plus rapides), il envisage son futur catamaran, We explore, comme un démonstrateur flottant. « Après des petites réalisations, il nous fallait passer un cap », formule le skipper déterminé. Ce sera un bateau à la coque contenant 100 % de fibre de lin – un hectare au total – produite par la coopérative Terre de lin (lire aussi ci-dessous).
Reste la question de la résine, « encore en grande partie pétrosourcée mais à laquelle nous travaillons », indique Roland Jourdain qui a développé Kaïrlin®, une marque de composites biosourcés et compostables (à base de lin, de chanvre et de résine végétale) notamment utilisée dans les aménagements intérieurs de We Explore. « La grand-voile comportait, elle, 30 % de lin mais nous travaillons avec un fournisseur à un tissu 100 % green », annonce le skipper-entrepreneur.
Et pour démontrer la pertinence de ses choix, leur efficacité, leur durabilité, solidité et performance, Roland Jourdain a fini la Route du Rhum 2022 deuxième dans sa catégorie. « On peut faire le pas de côté et rester dans le match », pose le Breton qui se réjouit : « J’ai remis du vert dans mon bleu ». Ou l’inverse.
« Il est urgent que la course au large, comme n’importe quelle activité, se réinvente », exhorte celui qui naviguait, en avril dernier, en Méditerranée pour une mission d’enregistrement des cachalots avec le couple Sarano, océanographes reconnus. « C’est ça la mission de We explore : expérimenter, coopérer et inspirer », résume Roland Jourdain.
Depuis, le bateau en lin a fait route vers la Bretagne pour une mission scientifique ; pris le départ d’une course classique anglaise, la Fastnet, dans laquelle le coureur aguerri a embarqué des jeunes étoiles de la course, dans sa philosophie de transmission. Il y a quelques jours, il était au festival du Lin en juillet en Normandie. Un retour sur terre, histoire de mettre un peu de son bleu dans le vert.
« Si 90 % du lin français part en Chine, notre bateau prouve qu’il est possible de créer d’autres débouchés, et les filières qui vont avec », imagine Roland Jourdain. Direction la terre cette fois, et Terre de lin en l’occurrence, « plus grand acteur du lin textile d’Europe et donc du monde », pose sans ciller Laurent Cazenave. Le chargé de communication de la coopérative normande avance quelques chiffres : 18 000 hectares de lin cultivés en Normandie (Seine-Maritime et Eure), 35 000 tonnes de lin fibre produites annuellement par 700 agriculteurs adhérents, 6 usines de teillage, 350 salariés.« Et si notre marché traditionnel est et restera le lin textile, nous travaillons depuis une quinzaine d’années au développement d’autres débouchés parmi lesquels les composites en fibre de lin à travers notre filiale TDL technique », explique-t-il. Ce qui commence par de la curiosité se voit vite conforté par une demande croissante de produits plus éco-responsables. Avec son faible impact carbone et sa recyclabilité, le lin a tout bon. « Un marché à fort potentiel qui s’envisage sur le long terme. »
C’est par le domaine du sport que commence le développement avec la confection, par la marque Salomon, d’un premier modèle de ski intégrant 200 grammes de lin : aujourd’hui c’est toute la gamme qui en est équipée, pour des raisons environnementales, mais aussi pour ses vertus antivibratoires qui permettent une meilleure adhérence. Qualités qui ont aussi poussé la marque française Focal à intégrer du lin dans ses haut-parleurs. Les aspects esthétique et résistance ont, eux, convaincu la marque de casques de vélo Egide mais le premier domaine à s’être emparé du sujet est le nautisme.« IDB marine a conçu un bateau de 6 à 8 mètres avec une coque 100 % fibre de lin : un succès technique et économique puisque son coût de fabrication est comparable à la version fibre de verre », explique le porte-parole de Terre de lin. S’en est suivi le projet We explore : « Nous sommes là sur de la démonstration, plutôt que sur de la production en série. Le bateau contient la plus grande pièce comportant du lin composite jamais réalisé au monde ». 18 mètres de long sur 9 mètres de large, soit un hectare de lin millésime 2019.
« Un projet vecteur de sens et une véritable valeur ajoutée pour les agriculteurs en termes de fierté, d’innovation. » Tout un symbole, ce sont les échantillons prélevés sur chaque parcelle afin de caractériser les fibres qui ont servi à la conception de la coque. « Tous les agriculteurs de Terre de lin ont donc participé à ce beau projet », sourit Laurent Cazenave.Si le marché du composite ne représente qu’un faible pourcentage des débouchés, l’exploit collectif donne une perspective permettant de passer en phase de production industrielle. Fin avril, Terre de Lin a notamment exposé une Alpine dont certaines parties du capot ou du toit sont fabriquées en composite de lin. Une nouvelle voie à explorer.
Justine Demade Pellorce