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La controverse revient presque chaque année. Elle est, cette fois, relancée par le député Nicolas Dupont-Aignan, qui a déposé un projet de loi visant à définir le cheval comme étant un « animal de compagnie », et à interdire les abattoirs d’« exécuter des opérations d’abattage et de commercialisation de la viande de cheval pour quelque motif et quelque cause que ce soit », ainsi que toute exportation ou importation de cette viande.
Le 22 mars dernier, la Commission européenne enregistrait déjà une initiative citoyenne intitulée « Mettre fin à l’ère de l’abattage des chevaux », qui s’attaque également à l’élevage et au transport de longue durée des équidés. Les organisateurs ont un délai de 12 mois pour collecter un million de signatures à travers les 27 pays membres.
Les tensions que génère l’hippophagie apparaissent donc nombreuses, et anciennes. Sylvain Leteux, historien chercheur associé à l’Irhis et auteur de deux textes sur le sujet, fait état d’une « viande taboue ». « Le cheval a longtemps été un animal de travail, utile, ainsi qu’un animal de prestige, réservé à la chevalerie et à la noblesse, rapporte le chercheur. Des raisons culturelles, mais aussi religieuses, ont poussé les Français à d’abord rejeter l’hippophagie. »
En outre, la viande chevaline a longtemps été considérée comme étant impropre à la consommation. Ce qui est faux, assure Sylvain Leteux, excepté pour les chevaux de monte qui sont, eux, bourrés d’antibiotiques. « Les civilisations nordiques en sont friandes. En Mongolie, par exemple, il s’agit d’une viande de fête », rapporte l’auteur. À la fin du XIXe siècle, les hygiénistes et les défenseurs de la cause ouvrière mettent en avant « les atouts nutritifs d’une viande peu grasse et riche en fer ». Une viande économique, surtout, à laquelle pourrait enfin accéder le peuple.
Grâce à ces arguments, « la parenthèse hippophagique » s’ouvre des années 1870 aux années 1970. Des régions très marquées par la culture ouvrière, à l’instar du Nord-Pas-de-Calais, s’essaient à la consommation de viande chevaline. Encore aujourd’hui, il demeure dans la région davantage de boucheries chevalines qu’ailleurs. Malgré une consommation marginale – « beaucoup de Français ont toujours refusé d’y goûter », insiste Sylvain Leteux – cet « héritage » permet à la France de se distinguer de ses voisins. « Nous mangeons des grenouilles, des escargots, du cheval. Cela nous démarque fortement des Anglais, par exemple », souligne le chercheur, qui poursuit : « Si certains aiment en manger, pourquoi pas, tant que cela ne nuit pas à la race… »
Au contraire, l’hippophagie a permis, au XXe siècle, d’offrir des débouchés économiques à des races en voie de disparition. C’est le cas pour le Trait du Nord, cheval de trait de la région, qui s’est presque éteint suite à la motorisation de l’activité agricole dans les années 1960. « Les éleveurs passionnés, pour conserver les races, ont orienté l’élevage vers la production de poulain pour la viande », confirme ainsi le Syndicat d’élevage du cheval le Trait du Nord.
Toutefois, depuis 50 ans, l’attelage de loisirs et de travail se renouvelle et des plans de sauvegarde sont mis en place. Si bien que la grande majorité de la viande chevaline consommée par les Français… n’est plus issue de France. « La demande étant très faible, on importe des chevaux de l’étranger. Le cercle vertueux, qui voulait que l’on utilise nos chevaux de traction en fin de vie, n’existe plus », détaille Sylvain Leteux. D’après les chiffres de l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), 7 770 tonnes ont été importées en 2021. L’Uruguay est le premier fournisseur, suivi par la Roumanie. En 2021, une dizaine d’ONG a réclamé à la Commission européenne de radier l’Argentine, l’Australie, l’Uruguay et le Canada de la liste des pays autorisés à exporter de la viande chevaline vers l’Union européenne pour cause de maltraitance. Dans ces pays, les chevaux destinés à la boucherie « vivent un enfer », a estimé l’association Welfarm, qui a mis en ligne des vidéos montrant des chevaux affamés et meurtris. Afin de garantir sa bientraitance, un changement de statut juridique du cheval est réclamé par les défenseurs de la cause animale. En droit rural, il est un « animal de rente », mais, depuis les années 1970, et la féminisation de l’équitation, le cheval a basculé dans le champ de l’animal de loisir, sinon « de compagnie ». C’est d’ailleurs l’argument principal du député Dupont-Aignan : « Rien ne différencie plus un chien d’un cheval. » Sylvain Leteux nuance : « Contrairement au chien, le cochon, la vache ou le cheval nécessitent du foncier. »
À défaut qu’une réponse claire et tranchée ne le résolve, le débat devrait prendre fin en même temps que la consommation de la viande chevaline, qui semble amenée à disparaître d’elle-même : elle n’était à la table que de 7 % des foyers français en 2021, contre 20 % 10 ans plus tôt.
Marion Lecas