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Série d’été : Forêt de Mormal, retour en enfance (7/9)

13-08-2024

Actualité

Hors-champ

Cet été, Terres et Territoires vous emmène à la découverte des milieux naturels du Nord-Pas de Calais avec le Conservatoire botanique national de Bailleul. Aujourd’hui, direction la forêt de Mormal, le plus grand massif forestier du Nord.

. Éric Penet, du Parc naturel régional de l’Avesnois,
et Vianney Fouquet, du Conservatoire botanique
national, nos guides en forêt de Mormal, qui, avant
d’être la propriété de l’État, appartenait aux comtes
du Hainaut.© H. G
Éric Penet, du Parc naturel régional de l’Avesnois, et Vianney Fouquet, du Conservatoire botanique national, nos guides en forêt de Mormal, qui, avant d’être la propriété de l’État, appartenait aux comtes du Hainaut.© H. G

Si on vous demande de citer un milieu naturel de la région ? Il est fort à parier que c’est la forêt qui vous viendrait en premier à l’esprit, pourtant le Nord et le Pas-de-Calais font partie des territoires les moins forestiers de France.

Pour Vianney Fouquet, chargé de mission au Conservatoire botanique national (CBN) de Bailleul, cette réponse s’explique pour deux raisons : « La forêt, c’est une plongée dans notre enfance. De nombreuses histoires que l’on raconte aux enfants se déroulent dans la forêt, à l’image des contes de Charles Perrault. Mais c’est aussi un retour en enfance à l’échelle de l’espèce humaine. Nous descendons des grands singes qui vivaient dans les forêts. Nous en gardons deux grands héritages : le pouce opposable et la vision en couleurs qu’ils ont développée pour suivre l’état de mûrissement des fruits. Si aujourd’hui, nous sommes capables d’admirer la beauté colorée des fleurs, par exemple, c’est grâce aux grands singes ! La forêt nous a construits. Nous sommes des êtres sylvestres ! » La forêt est aussi le milieu sauvage par excellence d’ailleurs « le mot sauvage est issu du latin silva, qui signifie… forêt », ajoute le chargé de mission du CBN.

Une promenade en forêt est donc un retour aux sources, « à l’enfance », insiste Vianney Fouquet. Cela a aussi un effet thérapeutique, « se balader en forêt, c’est un retour à la maison et c’est toujours agréable de rentrer chez soi. La forêt est aussi un milieu donateur, elle offre du bois, des fruits, des animaux, nous permet de respirer… La forêt est un don. Le philosophe Baptiste Morizot parle très bien de cela. »

Pour en découvrir plus sur ce milieu naturel, direction la forêt de Mormal. Avec ses 9 000 hectares, elle est le plus grand massif forestier du département du Nord. « Sa spécificité, c’est qu’elle est en un seul bloc, c’est assez rare, ceinturé par deux voies romaines appelées chaussées Brunehaut. C’est une propriété de l’État, gérée par l’ONF (office national des forêts). Avant d’appartenir au domaine public, la forêt de Mormal appartenait aux comtes du Hainaut, c’était un domaine de chasse », explique Éric Penet, chargé de mission connaissance du patrimoine nature au Parc naturel régional (PNR) de l’Avesnois. « Bien malgré elle, l’aristocratie a participé à la conservation d’un écosystème », commente Vianney Fouquet.

À lire aussi : Nos autres articles de cette série d’été

Un écosystème complexe

Un écosystème complexe, à la différence, par exemple des pelouses calcaires (lire notre édition de la semaine prochaine). « Pour beaucoup, la forêt, ce sont des arbres. Mais c’est bien plus que cela : elle se compose de clairières, de mares, de chemins forestiers, énumère le chargé de mission du CBN. Ce sont des écosystèmes qui s’imbriquent les uns aux autres, comme les poupées russes. »

La forêt de Mormal héberge une faune riche. Elle est notamment connue pour abriter le cerf, surnommé le roi de la forêt : « C’est le seul massif forestier du Nord-Pas de Calais où l’espèce est présente », insiste Éric Penet. Difficile d’évaluer la taille de sa population, « la seule manière d’en avoir une idée sont les prélèvements par la chasse. Aujourd’hui, il se prélève environ 140 cervidés (cerfs, biches et faons confondus) par an. » Pour le chargé de mission du PNR, la chasse est aujourd’hui la seule manière de réguler la population de cervidés. Une nécessité pour garder l’équilibre de la forêt.

Le cerf, le chat sauvage ou encore la cigogne noire vivent dans la forêt de Mormal.

Car si les cervidés venaient à être trop nombreux, la forêt ne pourrait pas être gérée normalement. « Elle ne parviendrait pas à se régénérer à cause de la pression que ces animaux mettraient sur le milieu forestier. Si cela amène toujours des débats, la pratique de la chasse reste essentielle ». Mais pourquoi ne pas imaginer le retour du loup ? « Cela prendrait beaucoup plus de temps… », avance Éric Penet. « Un écosystème sans grand prédateur est un écosystème décapité, synthétise Vianney Fouquet. Par définition, la nature trouve toujours son propre équilibre. Si l’espèce humaine doit aujourd’hui intervenir, c’est qu’elle a, par le passé, agi au mépris des processus naturels », estime-t-il.

Autre espèce emblématique de cette forêt : la cigogne noire. « C’est extraordinaire d’avoir cet oiseau dans nos massifs car il n’y a que 80 couples à l’échelle nationale. C’est un oiseau migrateur qui passe l’hiver en Afrique et vient se reproduire en milieu forestier sur les grands chênes. Dès qu’un nid est repéré, un périmètre de non-intervention est établi autour de celui-ci, car c’est un oiseau très farouche. »

Parmi les autres espèces qui peuplent la forêt de l’Avesnois, on peut croiser le chevreuil, le sanglier, la martre des pins, le murin de Bechstein (une chauve-souris), ou encore le chat forestier. « Il est très différent de nos chats domestiques. Il est plus gros et plus haut sur pattes avec une robe gris fauve, la tête plus massive et trapézoïdale. La menace pour sa conservation est l’hybridation avec les chats domestiques », poursuit Éric Penet.

Des hêtres et des chênes

Côté flore, la forêt de Mormal est essentiellement composée de hêtres et chênes pédonculés. « L’événement majeur de l’histoire de Mormal est la Première Guerre mondiale. Le massif a été rasé aux deux tiers par l’armée allemande à des fins d’exploitation. Il y a donc eu des dommages de guerre qui ont permis de financer la restauration de ce massif. L’autre chance est qu’il y a eu une excellente glandée (forte fructification du chêne, ndlr) qui a permis une régénération naturelle très forte. Mais si l’Homme n’avait pas existé, la forêt de Mormal serait exclusivement composée de hêtres. Le chêne doit sa présence à la main de l’Homme qui, après la Première Guerre, a été dans le bocage prendre des glands sur les arbres pour les replanter dans le massif forestier. Cela peut aussi se comprendre sur le plan économique, le chêne est l’essence phare pour les constructions. »

Mais cela pose cependant une problématique : la gestion en est compliquée. « Les arbres ont le même âge alors que normalement le cycle de roulement de la gestion forestière permet d’avoir un renouvellement progressif. C’est comme si on avait une population humaine où tout le monde à le même âge, cela poserait problème à un moment pour financer les pensions de retraite… », compare le chargé de mission au PNR de l’Avesnois avant de poursuivre : « Il faut donc renouveler des surfaces importantes d’un seul coup. »

Car si la forêt est un lieu privilégié de balades pour les amoureux de la nature (et les autres), elle a également un aspect économique qui permet de faire vivre une filière bois qui emploie 20 000 personnes dans la région (lire aussi l’interview ci-dessous).

Mais la grande menace qui plane sur la forêt de Mormal, mais aussi sur les autres, c’est le dérèglement climatique. « Avec les sécheresses successives, les arbres sont en souffrance, ils meurent et ne stockent plus de carbone. C’est un cercle vicieux, le dérèglement climatique s’emballe… », prévient Vianney Fouquet.

Des essences menacées

Le chêne pédonculé et le hêtre sont des essences qui seront peu adaptées au climat à venir d’après les prédictions de l’Institut national de la recherche agronomique. « Le hêtre n’aime pas trop la chaleur et le chêne pédonculé n’aime pas l’eau, détaille Éric Penet. Les forestiers de l’ONF ont donc tendance à planter une autre essence, le chêne sessile qui est moins gourmand en eau, tout en conservant le chêne pédonculé et le hêtre dans certains endroits. » Et Vianney Fouquet de conclure : « Le monde évolue à un rythme sans précédent et la nature essaie de suivre, tant bien que mal… »

Hélène Graffeuille

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