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« Si mes animaux peuvent apporter un peu du bien qu’ils me procurent, autant le partager ». Ces mots sont ceux d’Amélie Macke, agricultrice à Rexpoëde (59), tandis que le minibus, emmenant quatre enfants d’un institut médico éducatif (IME) voisin, vient de quitter sa ferme. La séance a pris fin, cochons d’Inde, poules, lapins, ânes et chevaux ont regagné leurs pénates et retrouvé leur tranquillité. Pendant près d’une heure, Daisy, Antoine, Félix, Alexandre* et leurs deux accompagnatrices ont – entre autres – nourri et caressé les animaux, apportant autant que recevant un peu de soin et d’attention.
C’est l’un des objectifs visés par la médiation animale, définie par le psychologue américain Boris Levinson, qui a démontré dans les années 1950 les effets bénéfiques de l’animal sur l’être humain : « faire intervenir un animal soigneusement sélectionné et entraîné par un professionnel spécialisé auprès d’une ou plusieurs personnes dont les besoins nécessitent un accompagnement », cite Valérie Louchez, conseillère en diversification de la Chambre d’agriculture du Nord-Pas de Calais. L’organisme propose depuis 2015 une formation diplômante pour accompagner les agriculteurs qui souhaitent l’exercer (voir encadré). « Pour se lancer, il faut avoir l’expérience de l’accueil de public fragilisé », observe Valérie Louchez. C’est le cas d’Amélie Macke, qui reçoit déjà des groupes d’enfants avec le Savoir vert et lors des goûters d’anniversaire à la ferme qu’elle organise. « En recevant des classes, je me suis aperçue que parfois, l’âne ou la vache s’approchait d’un enfant en particulier, raconte-t-elle. L’enseignant me disait ensuite que cet enfant avait des problèmes. L’animal l’avait détecté, c’est ce qui m’a fait réfléchir. »
L’agricultrice débute chaque séance de médiation animale avec sa « règle du temps ». Les enfants s’y repèrent, les accompagnants notent les évolutions d’une séance à l’autre. Après l’incontournable « bonjour » et quelques jeux, suit la case « nourrissage ». « Les cochons d’Inde mangent beaucoup de légumes, c’est plein de couleurs », s’enthousiasme Amélie Macke. Daisy, Antoine, Félix et Alexandre s’appliquent donc à préparer l’en-cas des rongeurs : des brochettes de poivrons, aubergines et concombres reproduisant un code couleur jaune, rouge, violet et vert.
Ensuite, direction les clapiers pour le nourrissage des animaux. « Cela demande en amont d’habituer les animaux aux bruits, aux gestes qu’on ne contrôle pas, au toucher, souligne Amélie Macke. Les animaux doivent être manipulés souvent. » Antoine est plutôt attiré par les poules – il en a chez lui – et s’approche régulièrement d’elles. Alexandre atténue maintenant ses gestes avec les lapins. « Il était brusque au départ, il a appris à se canaliser », raconte l’une des accompagnatrices. Dans ce groupe d’enfants de 6 à 8 ans souffrant de troubles autistiques, les rituels sont bénéfiques. Daisy agite une paille en continu. Sauf lorsqu’elle caresse les cochons d’Inde. « On s’est aperçu que le cochon d’Inde la stimulait : elle se concentre et oublie de faire son geste répétitif », remarque Amélie Macke.
« Selon les enfants, on fixe un objectif à atteindre : le développement cognitif, le développement du toucher, le comportement. On apporte un animal et on crée un lien avec l’enfant », reprend Amélie Macke. Les séances de médiation animale suivent ainsi un cadre défini. La relation triadique est indispensable pour leur réussite : « l’enfant, l’animal et le binôme agriculteur/référent, précise Valérie Louchez. La force de l’agriculteur est de connaître son animal et les ateliers qu’il met en place. Celle du référent est de connaître l’enfant, de savoir comment il va réagir, de pouvoir le recadrer. » Le choix de l’animal dépend de l’affinité de l’enfant, de la réceptivité de l’animal mais aussi de l’objectif à atteindre. Un animal imposant comme l’âne ou le cheval peut être pertinent lorsque l’enfant a besoin de signe d’autorité.
C’est l’un des effets de la pandémie : le mal-être de la société qui s’est amplifié, augmentant les besoins d’accompagnement de personnes fragiles. « C’est très parlant avec la médiation : ce sont des gens qui ont souffert de l’isolement, des enfants fragilisés, en souffrance affective, placés, suivis à domicile, des familles mises en difficulté, des adolescents en décrochage scolaire », analyse Valérie Louchez. La médiation animale peut appuyer certains axes de développement personnel. Des rencontres familiales organisées dans un cadre neutre en présence d’animaux ont ainsi permis des échanges entre parents et enfants.
« Certains agriculteurs accueillent des adultes en situation de handicap, des personnes âgées atteintes par exemple d’Alzheimer, ajoute Valérie Louchez. Elles se souviennent de contacts et de gestes qu’elles avaient avec leurs animaux. C’est incroyable de voir le geste revenir, cela permet de travailler aussi la motricité fine. »
Pour Daisy, Antoine, Félix et Alexandre, la séance s’achève dans l’enclos, au milieu des chèvres, vaches, paons, âne et cheval. Alexandre porte son attention sur l’âne et le cheval tandis qu’Antoine a retrouvé quelques poules. Félix a besoin de se défouler en courant tout autour de la pâture. Certaines séances sont plus apaisantes que d’autres. La « règle du temps » affiche sa dernière case, l’heure des « au revoir » est venue.
Louise Tesse
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