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C’est un projet industriel très ambitieux qui pourrait (et va certainement) influencer fortement le littoral du Nord dans les prochaines décennies. En 2022, Emmanuel Macron annonçait un nouveau programme de construction de réacteurs nucléaires. Derrière cela, le projet de développement à l’échelle nationale de trois paires de réacteurs nucléaires de nouvelle génération, les EPR2. À Penly (Seine-Maritime), au Bugey (Ain) et à Gravelines.
La centrale gravelinoise dispose déjà de six réacteurs, mis en service entre 1980 et 1985, d’une capacité de production de 900 mégawatts chacun, ce qui en fait la première centrale nucléaire d’Europe de l’ouest, selon EDF. L’ambition est donc d’y construire deux réacteurs EPR2, chacun d’une capacité de 1 670 mégawatts, qui viendront en complément des réacteurs déjà présents, « à condition (que ces derniers) fassent leurs preuves en termes de sûreté », précise Antoine Ménager, directeur du débat public EPR2. Leur implantation est prévue sur un terrain jouxtant la centrale actuelle, jusqu’alors occupé par le géant pétrolier TotalÉnergies. Le démantèlement des cuves s’y trouvant est déjà en cours.
« Ce programme EPR2, c’est l’une des briques pour aller vers la stratégie bas carbone française et européenne », présente Antoine Ménager. La volonté annoncée du gouvernement est de miser sur un mix énergétique entre énergie nucléaire et énergies renouvelables. Le nucléaire, « énergie pilotable » permet ainsi « d’équilibrer le système face à l’intermittence des renouvelables », argumente Antoine Ménager.
« L’enjeu est de venir en plus des réacteurs existants », continue le directeur du débat public qui explique qu’EDF entend « tirer toutes les leçons » du premier EPR, celui de Flamanville (Manche). Un véritable feuilleton depuis le début des travaux en 2007. De multiples retards liés à des problèmes de construction et de sécurité sont venus émailler le chantier et la mise en service, prévue à l’origine en 2012, est seulement annoncée pour cet été. En 2022, la Cour des comptes notait ainsi que le coût de l’EPR de Flamanville, qui devait coûter à l’origine 3,3 milliards d’euros, était finalement évalué à 19,1 milliards.
Cette expérience malheureuse doit aider le géant français de l’énergie à relever le défi des réacteurs EPR2 et lui éviter de répéter ce scénario, assure Antoine Ménager. Les futurs EPR2 de Gravelines se verront ainsi intégrer d’office de multiples innovations sécuritaires venues s’ajouter à celles des plus anciennes centrales et à Flamanville ces dernières décennies. Selon EDF, le niveau d’exigence en termes de sûreté et de sécurité de ces réacteurs serait parmi les plus élevés au monde.
Conçus pour être exploités au moins 60 années, ils doivent aussi intégrer, dès leur conception, les conséquences du réchauffement climatique et faciliter la politique du traitement recyclage du combustible. Avec l’expérience engendrée notamment par le chantier de Flamanville, ces EPR 2 se veulent également des réacteurs optimisés en termes de temps et de délais de fabrication. L’ambition est ensuite d’exporter ce modèle en ayant un « objet plus simple à construire et standard » et de « retrouver l’effet de série » pour « être capable de dupliquer ce modèle » présente Antoine Ménager.
La Commission nationale du débat public (CNDP) a fixé en début d’année les modalités et le calendrier de la concertation publique à venir sur ces projets de construction. Celle-ci devrait démarrer à la rentrée prochaine. L’objectif est de « faire croiser les questions et les attentes des habitants, et pour nous, d’exposer ce projet » indique Antoine Ménager, qui souhaite faire preuve de pédagogie. « À l’issue du débat public, en fonction de ce qui sera dit, on verra comment on intègre ces points dans notre projet. »
Le débat public concernant le projet de Penly avait été critiqué et des ONG défavorables à l’atome avaient notamment quitté le débat en cours de route. Dans un communiqué du 10 janvier, la CNDP recommande ainsi que « des réponses soient apportées aux questions de portée nationale » identifiées dans le débat public sur Penly. La politique énergétique gouvernementale, « le financement du projet et les perspectives de coût de production », « les risques de dérives des coûts d’investissement et de fonctionnement », « les éléments relatifs aux combustibles et aux matières et déchets radioactifs » ou encore « les risques liés au dérèglement climatique et aux épisodes caniculaires de forte intensité » devront trouver réponses lors de ce débat public.
Si le projet est validé à l’issue de la concertation publique et s’il obtient toutes les autorisations, le chantier pourrait débuter en 2026 avec une mise en service planifiée en 2038 ou 2039. « L’enjeu est de permettre au territoire de participer au projet », ajoute Sylvain Vité, directeur délégué à l’ancrage territorial à la centrale de Gravelines.
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La région se met déjà en ordre de marche et à l’automne 2023, une conférence réunissant plus de 300 entreprises et représentants des branches professionnelles a déjà eu lieu. Le chantier pourrait s’avérer gigantesque pour le littoral dunkerquois, car il mobiliserait jusqu’à 8 000 emplois pendant la dizaine d’années que doivent durer les travaux. Des besoins en main-d’œuvre très importants dans le Dunkerquois, où « ce projet d’envergure n’est pas le seul grand projet dans ce territoire », note Sylvain Vité. Les gigafactories – Prologium, Verkor et XTC/Orano – vont voir le jour dans la « vallée de la batterie », des projets industriels qui devraient faire doubler la consommation électrique de la zone d’ici 2040, selon RTE.
Le projet de construction de ces nouveaux EPR2 est critiqué par des associations environnementales comme le réseau Sortir du nucléaire qui explique qu’EDF met « la charrue avant les bœufs » en présentant le projet avant la concertation publique, « afin d’étouffer la contestation et la voix des anti-nucléaires ». L’ONG Greenpeace, opposée au nucléaire, a, elle, publié un rapport en mars intitulé « Coût du “nouveau nucléaire” : l’insoutenable légèreté d’EDF ». « Selon des scénarios évalués par Greenpeace, la facture (pour l’ensemble des six réacteurs EPR) va probablement dépasser les 100 milliards d’euros en incluant les frais financiers », écrit l’ONG qui prédit un « fiasco industriel économique international ». Le quotidien Les Échos explique, lui, dans un article paru début mars, qu’« EDF évalue désormais à 67,4 milliards d’euros les coûts de son programme de construction de six nouveaux réacteurs », alors qu’« en 2021, une première estimation évaluait ce programme à 51,7 milliards d’euros ».
Kévin Saroul