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« J’avais d’autres amours. » Voilà pourquoi Anne-Laure Grévain, 34 ans, a changé de vie. Professeure des écoles pendant huit ans, elle a eu envie de retrouver une certaine liberté : « J’aimais foncièrement mon métier mais il y avait tellement de contraintes que j’ai fini par m’essouffler. » Passionnée depuis toute petite par le jardinage qu’elle pratiquait avec sa mère et sa grand-mère – une histoire de femmes – et avec l’envie de travailler en extérieur, la culture de fleurs était toute indiquée pour la trentenaire. Et si aujourd’hui son métier est une somme de nouvelles contraintes – beaucoup moins de vacances, l’obligation d’être « un couteau suisse » – elle les accepte volontiers. Parce qu’elle a choisi. « J’ai même choisi le nom que je donne à mon métier : floricultrice. C’est pour moi le juste milieu entre la fleuriste et l’agricultrice. » Car ce qu’elle aime plus que tout, c’est cultiver.
Anne-Laure Grévain commence par la culture de fleurs comestibles. Parce qu’elle n’a pas une grande surface alors ; parce qu’elle a compris, après une brève étude de marché auprès des restaurateurs, que la demande était réelle. À cause de sa sœur aussi, on vous a prévenus que c’était une histoire de femmes. « Elle est pâtissière. Aujourd’hui installée au Canada, elle a beaucoup bourlingué avant et a travaillé en Corse un moment. Là-bas, ils utilisaient beaucoup de fleurs comestibles dans leurs recettes et quand je suis allée lui rendre visite, nous sommes allées voir ces fleurs, dans le maquis. »
Elle se lance. Vite freinée, comme encore et toujours, par la difficulté à accéder à un terrain, son projet mixte fleurs/légumes se resserre autour des fleurs. Comestibles d’abord, puis ornementales : les fleurs coupées. « Il y avait tellement de belles variétés que je ne pouvais pas cultiver parce qu’elles n’étaient pas comestibles », se justifie-t-elle.
Pas formée ni diplômée dans le secteur, Anne-Laure part en woofing dans le Perche. « C’était du maraîchage, mais ce sont les mêmes techniques de gestion des sols et de l’eau », pose-t-elle. « Puis j’ai trouvé ce terrain, à la ferme du Recueil, et je me suis lancée. Je voulais y aller, vite. » Vite comme l’a été son départ de l’Éducation nationale, en cours d’année, essorée par la période Covid et ce sentiment d’être en première ligne sans jamais avoir son mot à dire.
Anne-Laure Grévain quitte l’école au printemps 2020, trouve le terrain en juin et empoigne sa grelinette. Trop optimiste pour le terrain qu’il faudra labourer une fois. Pas deux : elle cultive au naturel, sans bâches, avec un minimum de plastique (si on excepte la serre évidemment), fonctionne au goutte à goutte, mise sur les plantes compagnes et les auxiliaires…
Du genre exigeante, pour ne pas dire radicale, la jeune floricultrice décide d’abord que les fleuristes devront venir à elle pour se fournir. « Pour qu’ils ne soient pas hors-sol, qu’ils voient les produits dans leur contexte. Qu’ils sachent. » La réalité arrondit les angles et la jeune femme livre désormais fleuristes et restaurants, fait quelques marchés et fleurit aussi les mariages. Une dimension artistique, « une maîtrise du début à la fin » aussi qui convient à l’exigeante.
Aujourd’hui l’activité est divisée en parts égales entre les fleurs comestibles à destination des professionnels, chefs ou pâtissiers, et les fleurs coupées vendues fraîches ou séchées. Avec un fil rouge : le local de saison. Pour ça, l’Herbacée adhère au collectif de la Fleur française, que la jeune femme aimerait voir appliquer des critères plus stricts encore. Pour elle, une tulipe qui pousse sous serre, même non chauffée, n’est pas vraiment une tulipe de saison car elle aura trois semaines d’avance sur les autres. “ Une fleur de saison est une fleur qu’on retrouve au jardin. La tulipe, dans le Nord, c’est avril “, affirme-t-elle. Mais pour ne pas être complètement larguée, elle s’accommode de cet arrangement avec le calendrier.
Son style à elle, c’est le style champêtre et sa ferme florale est en fait un grand jardin, pas trop propre, pas trop net. Il faut que ça vive, que ça pousse, pas dans tous les sens mais presque.
Anne-Laure rappelle que “les gens ont le réflexe d’acheter des fleurs fermées car, provenant de loin, elles ont été stockées au frigo. Or les fleurs qui ont poussé ici sont ouvertes, mais elles tiendront au moins aussi longtemps.” Sur la dimension éphémère : “C’est exactement comme pour un légume : on cultive, on cueille puis on s’en nourrit, au propre ou au figuré, eh voilà ! C’est aussi intéressant car on ne se lasse pas : j’adore les tulipes mais je suis contente quand elles sont finies car je me réjouis de voir les nouvelles arriver comme je serai heureuse de les retrouver l’année d’après“, explique Anne-Laure.
Chez elle, quelque 250 variétés, “adaptées à notre climat et dont certaines peuvent réussir à passer l’hiver“, promet la floricultrice qui ambitionne de développer davantage les vivaces (comme la pivoine) que les annuelles (comme le cosmos), les premières, repoussant d’une année sur l’autre, étant plus résilientes puisque s’adaptant à leur environnement.
Contrairement à ses bandes fleuries qui débordent joyeusement de part et d’autre, les valeurs de la jeune femme sont ici alignées, savoure-t-elle.
Justine Demade Pellorce