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« C’est bien simple, je n’ai jamais autant payé de cotisations MSA. Je n’ai jamais autant gagné. » Voilà, de façon très triviale, où en est aujourd’hui Patricia Rifflart, éleveuse de vaches laitières à Holque (59). C’est évidemment bien moins simple que ça et la jeune quadragénaire rembobine.
Ça commence, comme souvent, par une ferme familiale. Des fermes familiales en réalité, puisque son père et sa mère étaient voisins et que lorsqu’ils se sont mariés, leurs parents (les grands-parents de Patricia si vous suivez) ont choisi de regrouper leurs fermes en une. « J’ai toujours vu mes parents travailler énormément, remonte la mère de famille, et je n’ai jamais imaginé prendre le relais. »
Des études d’écologie l’amènent à travailler pour le Conservatoire botanique national rattaché au muséum national d’histoire naturelle de Paris. Entre 2007 et 2012, elle enchaîne les inventaires dans la région Centre et finit par avoir fait le tour. « Surtout, j’avais envie de fonder une famille auprès de ma famille », se souvient Patricia Rifflart.
Elle rentre dans le Nord, se met à envisager la reprise de l’exploitation et passe un BPREA. Elle s’installe en 2013 avec ses parents – « sur un coup de tête, sans me rendre compte » – sur la ferme en polyculture élevage laitier. « Un élevage intensif : une cinquantaine de vaches et 12 hectares de prairies permanentes », pose la jeune femme qui raconte avoir un temps songé à se lancer dans la transformation, avant de réaliser que ce n’était pas son truc. Son truc, c’est l’extérieur, les vaches. « Et tant pis pour les aides à l’installation. Ça ne servait à rien d’investir, de m’agrandir pour finir par être dépassée une fois mes parents retraités », explique l’éleveuse, qui décide déjà de suivre son propre chemin.
Après quatre ou cinq années avec ses parents et la naissance de ses enfants, elle dresse un premier bilan. « Un : les vaches n’étaient pas en bonne santé et j’avais plus l’impression d’être une infirmière qu’une éleveuse. Deux : le système maïs – soja importés avec énormément de charges, les phytos, les engrais… ça n’allait pas et j’ai commencé à chercher d’autres approches », retrace la Nordiste, qui précise ne pas juger la pratique de ses parents « qui ont fait ce qu’ils ont pu dans le système tel qu’il était ».
Elle a toutefois pris le parti de s’émanciper de leur approche et de les embarquer, doucement mais sûrement, dans sa philosophie. Pas toujours facile mais ça vaut le coup, pense-t-elle. En 2017, Patricia Rifflart intègre des groupes de travail sur l’herbe avec PâtureSens : « Si incroyable que ça puisse paraître, je n’avais jamais pensé qu’on pouvait faire du lait à l’herbe. J’ai dû apprendre à faire pâturer mes vaches », formule-t-elle en réalisant l’incongruité de la situation. Et l’éleveuse commence par mettre de plus en plus ses vaches dehors, pour qu’elles vivent mieux, et plus longtemps.
Depuis, le troupeau s’est bigarré, diversité de tailles et de couleurs avec les petites kiwis qui viennent notamment apporter leur légèreté. Autour de la ferme, les pâtures ont été regroupées via des échanges avec les voisins : des petites parcelles coincées pour Patricia contre de vastes parcelles à grandes cultures pour eux, et tout le monde est content. « Il ne manquait plus grand-chose pour passer en bio et j’ai signé en 2020. »
Depuis, l’éleveuse a arrêté les cultures et laissé l’herbe pousser, sur presque 87 hectares dont 75 d’herbe et 12 de prairie permanente.
Elle y a semé cinq ou six variétés de graminées, et autant de légumineuses « pour un repas complet ». Elle a fait des chemins et un réseau d’eau pour que les vaches accèdent aux parcelles. Les arbres et les haies poussent à vue d’œil, qu’elle ambitionne notamment de valoriser en litière, histoire de poursuivre son projet d’autonomie. Pour l’heure, elle est autonome sur l’alimentation de ses vaches, qui sont nourries à l’herbe et au méteil.
Une autonomie qui passe aussi par la sobriété, et l’arrêt du sacro-saint “investir pour défiscaliser”, une fuite en avant. Et même si l’approche est encore difficile à faire comprendre aux comptables et que les quelques années d’arrêt de cette gymnastique de la défiscalisation ont été difficiles à gérer, elle est aujourd’hui libérée. « L’objectif est de simplifier au maximum pour pouvoir gérer seule, ou pour pouvoir déléguer quand nécessaire. À chaque fois que je fais quelque chose, je réfléchis au retour financier et / ou au gain de temps et de pénibilité. J’essaie aussi de déléguer les travaux des champs, qui demanderaient trop d’investissements, tout comme l’enrubannage qui, si je le préfère au silo, me pose encore un problème en termes de plastique utilisé », liste Patricia Rifflart.
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Pour simplifier encore, l’éleveuse a mis en place le vêlage groupé de printemps, qui lui permet entre autres d’alléger la charge en été quand les vaches sont dehors et ça tombe bien parce que c’est pile les grandes vacances et que la mère de famille n’est pas contre en profiter. Globalement, la quadragénaire observe que le nombre de personnes évoluant autour de la ferme a considérablement été réduit avec son changement de pratique, et qu’il a aussi beaucoup évolué.
Chacun fait ce qu’il veut (et peut) chez lui, mais il est toujours intéressant de voir que d’autres modèles sont possibles, qu’il est possible de ralentir la cadence et de se dire que si ça marche ailleurs, ça peut marcher chez soi. Pour ça, l’association Initiatives paysannes organise notamment des visites et des rencontres. « Important aussi pour embarquer nos parents avec nous », estime Patricia Rifflart qui s’affranchit du modèle familial sans oublier de convaincre. Et si chacun s’accorde à dire que « l’écart entre le prix du lait bio et du lait conventionnel se réduit », il demeure intéressant pour l’éleveuse qui, parce qu’elle a considérablement réduit ses charges, gagne mieux sa vie que jamais. Sans compter qu’elle a largement gagné en sens, et ça, ça n’a pas de prix.
Justine Demade Pellorce Jdemade@terresetterritoires.com