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Jeudi 7 septembre 2023, alors que son bateau venait de récolter 4 tonnes de moules, Philippe Quinault, le patron de l’Epaulard, à Dunkerque, faisait un point sur sa saison et sur les spécificités des moules de Dunkerque. Il commence par ce rappel : les mytiliculteurs, ou éleveurs de moules, sont surnommés “les agriculteurs de la mer” comme les éleveurs d’huîtres et autres conchyliculteurs. De fait, ce corps de métier n’est pas rattaché au ministère de la Mer mais bien à celui de l’Agriculture.
” On ensemence, on élève, on entretient nos champs et on organise les rotations : nous sommes bien plus proches des agriculteurs que des pêcheurs “, résume Philippe Quinault jeudi 7 septembre 2023 en début d’après-midi. Comme chaque jour en saison, son bateau est sorti en mer le matin même, récoltant quatre tonnes de moules de filière. Ça aura pris trois heures à l’équipage mais le travail a commencé bien en amont, et n’est pas terminé. ” Comme nous sommes classés en zone B par l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, ndlr) , nous ne pouvons pas commercialiser directement les moules mais devons les purifier pendant 12 heures avec de l’eau de mer “, décrypte-t-il face aux caisses remplies de coquilles noires arrosées en continu d’une eau rafraîchie qui permet de purifier les moules, organismes très filtrants. Suite à cette étape, les bacs seront placés un à un sur une machine appelée débyssusseuse qui va permettre de nettoyer les moules en leur ôtant, notamment, le filament appelé byssus.
L’élevage de moules n’est pas une tradition à Dunkerque, où on a surtout longtemps pêché la sole, espèce noble par excellence. “Puis il y a eu de moins en moins de ce poisson de fond, et les pêcheurs ont eu la possibilité, pour se diversifier d’exploiter des concessions en mer afin d’élever des moules“, explique celui qui n’était pas encore là. Philippe Quinault vient de La Rochelle, région de mytiliculture s’il en est, où il a d’abord été ingénieur dans l’industrie.
Sa rencontre avec les moules a précisément eu lieu dans sa Charente natale quand les pêcheurs dunkerquois, alors qu’ils se lançaient dans la moule, sont venus se former sur ces “terres historiques de conchyliculture (la culture des coquillages)”.
Son arrivée à Dunkerque coïncide avec la vague de fermetures qui a suivi cet élan vers les champs marins. “L’État a établi une concession en mer à 3 miles de la côte (4 à 5 kilomètres) de 7 kilomètres de long sur 1 kilomètre de large, qu’il a divisé en 150 champs exploitables selon un cahier des charges précis. Une dizaine de pêcheurs ont tenté l’aventure à l’époque mais il n’en est très vite resté que deux, nous avons repris l’une des deux affaires il y a 8 ans, l’Épaulard.” Compliqué d’être à la fois en mer et au champ, tout marin soit-il.
À Dunkerque on élève des moules de filières. Une filière c’est un système de 100 mètres de long équipé de bouées sur lequel sont accrochées les cordes accueillant les moules. Immergées en continu, les moules mangent davantage et grossissent donc plus vite, avec un cycle de production d’un an contre trois environ pour les moules de fond.
Les moules de filière sont à mi-chemin entre les moules de bouchots – ces pieux plantés sur les plages par des agriculteurs en quête de diversification souvent, et dont les concessions sont de moins en moins nombreuses -, soumises au mouvement des marées, et les moules de fond que l’on retrouve essentiellement aux Pays Bas, plus grand pays européen exportateur de moules (notre édition du 1er septembre 2023). Philippe Quinault avance surtout une intensivité de l’activité hollandaise en comparaison à la française : “Avec 10 sociétés, ils font 70 000 tonnes de moules, soit le même volume que nous, en France… avec 300 sociétés.“
Dunkerque, une terre de moules ? “C’est compliqué car nous sommes en mer ouverte ce qui n’est pas si courant dans ce type de culture davantage implantée dans les baies et les sites abrités : nous subissons les marées qui réduisent l’espérance de vie du matériel et causent parfois des pertes. Une tempête hivernale peut provoquer la perte totale de plusieurs filières : c’est notre hantise “, explique le patron qui modère : “Heureusement que nous sommes partiellement protégés par les bancs de sable au large et à marée basse, nous sommes protégés de la houle. “
L’élevage de moules implique un travail à l’année, difficilement compatible avec les campagnes de pêche, pense le patron qui détaille : “D’avril à juin c’est la période de captage des naissains de moules. Nous ensemençons nos descentes de cordes de 4 mètres de long puis nous suivons l’évolution des moules, procédons au dédoublement à un moment pour que les grappes ne tombent pas, en général entre septembre et février. La période de récolte est optimale en juin, même si nous commençons dès Pâques pour répondre à la demande et commencer à libérer les champs.“
À L’Épaulard, dix personnes et deux bateaux s’affairent sur l’une des 27 concessions de l’entreprise, qui compte à chaque fois six filières, donc 162 au total potentiellement. Passé de 120 tonnes récoltées il y a huit ans à 600 l’an dernier grâce à l’acquisition du deuxième bateau, Philippe Quinault précise : “La densité de captage varie chaque année, et avec elle le rendement final : moins 15 % pour cette année“, observe-t-il. Le taux de chair a son importance aussi : 25 à 26 % en moyenne mais avoisinant les 19 % en ces premiers jours de septembre caniculaires, “car les moules sont déboussolées avec ces chaleurs et pensent qu’elles doivent se reproduire“, décrypte le gérant. Avec une forte concentration en protéines et un excellent bilan carbone, c’est une culture d’avenir.
Les moules dépendent toutefois de la température de l’eau (maximum 28°C, on a de la marge) et surtout de l’acidification des océans : rappelons que les coquilles sont en calcium, pas fan de l’acidité, et que tous les coquillages sont touchés.
Justine Demade Pellorce