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Perpendiculaires à l’horizon les pieds de fer géants des pylônes enjambent la pâture. Derrière eux, dans le lointain, s’élève une silhouette blanche et effilée. L’une des cinq éoliennes installées en 2019. C’est là que les choses ont commencé à dérailler chez Philippe Marchandier. « D’avril à septembre, j’ai perdu 50 000 litres (l) sur ma production de lait. Je n’ai pas compris. Mes vaches mangeaient normalement, mais n’en profitaient pas », confie l’éleveur installé depuis 1990 dans la ferme familiale à Mazinghien (59).
Dans un premier temps, pour compenser la perte de production, il augmente son cheptel à 300 bêtes, dont 80 laitières. En vain. De 330 000 l par an pour la coopérative Laitnaa en 2018, il passe en 2020 à 130 000 l. Sans compter les vaches mortes : plus de 70 en 2020, sans que les autopsies n’expliquent quoi que ce soit. « J’ai toujours peur de trouver une vache couchée par terre en arrivant. »
Il pense d’abord à changer sa mélangeuse. « La ration est bonne, les vaches mangent même trop », lui répond le vendeur après vérification. Puis il fait venir un spécialiste de l’alimentation animale. « Il était 15 h, les vaches étaient toutes debout en tas au milieu du hangar, à piétiner », se souvient-il. « Tu n’as pas une ligne à haute tension ou une éolienne près d’ici ? », lui demande le professionnel. Les deux mon capitaine : en plus des éoliennes, une ligne à haute tension de deux fois 400 000 V installée en 1994 surplombe les pâtures situées dans cette cuvette humide. « Ne cherche pas, on a le même problème en Bretagne. J’espère pour toi qu’il n’y a pas de veine d’eau qui court sous le bâtiment… »
Philippe Marchandier fait alors venir un géobiologue, puis le maire de la commune, sourcier, passe avec ses baguettes. « Les deux ont trouvé des veines d’eau aux mêmes endroits », conclut-il en esquissant de la main la façon dont le cours d’eau serpenterait sous son étable en transportant le courant, ce qui pourrait expliquer l’attitude des animaux qui renoncent trop souvent à aller boire.
Des analyses vétérinaires lui confirment l’absence de toute maladie dans le troupeau. « Alors j’ai fait du bruit dans les journaux », se rembrunit-il. L’association nationale Animaux sous tension (Anast) fait même une descente à Mazinghien mi-septembre l’an dernier. Il veut attirer l’attention des exploitants des installations électriques, Boralex, pour les éoliennes, et RTE et Enedis, pour la ligne haute tension. « Au début, ils m’ont pris pour un guignol, se sont renvoyé la balle… Pourtant, le géobiologue mesurait 12 volts sur un mètre de cornadis ! »
Le Groupe permanent de sécurité électrique en milieu agricole (GPSE) est alerté en avril 2020. L’exploitation est mise sous perfusion financière le temps d’étudier la situation. « Ils ont contrôlé mon électricité, mais pas le sol », raconte l’éleveur, sceptique. Après étude de la situation et la vente d’une soixantaine d’animaux pour donner de l’air au cheptel, un compromis est proposé en février dernier : la réfection, gratuite, de l’électricité et la mise à la terre des bâtiments de l’exploitation. Les travaux viennent de débuter. Avec, on l’espère, des améliorations en perspective sur le comportement du troupeau de Philippe Marchandier.
Lucie De Gusseme