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Trouver un agriculteur du Nord-Pas de Calais qui cultive du soja, c’est chercher une aiguille dans une botte de foin. C’est quasiment impossible. Le soja est une plante tropicale et si le Nord de la France était une zone tropicale, ça se saurai ! Pourtant, avec des étés de plus en plus chauds, cela pourrait bien changer… La chambre d’agriculture a ainsi lancé des essais dans différents coins des Hauts-de-France dès 2016.
Des pionniers produisent du soja bio, motivés par l’autonomie alimentaire et l’environnement. Car il est vrai qu’importer du soja bio d’Amérique latine… ce n’est pas très écolo ! « Suite à ces essais, des agriculteurs de l’Aisne et de l’Oise en produisent », explique Sébastien Florent, conseiller à la chambre d’agriculture des Hauts-de-France en productions végétales bio. « Aujourd’hui, on peut espérer cultiver du soja en Haut-de-France car l’itinéraire technique est connu », annoncent dans une note technique d’avril 2020, Alain Lecat et Pierre Durand, conseillers de la chambre d’agriculture de la Somme et de l’Aisne.
« La sélection variétale et le réchauffement climatique permettent d’étendre progressivement l’aire de répartition géographique de la culture. Elle est historiquement implantée dans le Sud-Ouest. Les variétés de type “000” et “TTT” (très très précoces) sont équivalentes en somme de températures au maïs précoce. Ainsi, les essais de 2015 et 2016 dans le Nord montrent que si la récolte à maturité physiologique est assurée, l’humidité des grains reste souvent supérieure à 18 % d’humidité. Le séchage devient systématique avant le stockage au silo. »
Toutefois, « les deux derniers étés climatiques ont permis de récolter des sojas secs, fin septembre, dans les secteurs plus précoces des Hauts-de-France. » Quant aux rendements, ils sont de l’ordre de 24 q/ha pour un soja bio semé à une densité de 70 grains/m2.
« En 2016, la chambre d’agriculture du Nord-Pas de Calais a testé en bio, avec succès, les variétés conventionnelles non traitées Abelina, Paradis, Tiguan et Regina, conclue la note. D’autres essais locaux, conduits en conventionnel en 2019, affichent de bons résultats avec de nouvelles variétés comme ES Comandor, RGT Shinxia ou Sirelia. En bio, cette année, les semences conventionnelles non traitées possèdent une dérogation d’utilisation. Il existe une seule variété disponible en bio selon le Gnis : Regina. »
Le soja s’intègre idéalement au milieu des rotations céréalières biologiques. « Il faut être vigilant puisque le soja restitue généralement moins d’azote que la plupart des autres légumineuses. Le risque sclérotinia est également à prendre en considération dans les systèmes comprenant d’autres cultures sensibles comme le colza, les haricots et pois, ou encore les légumes de plein champ », préconisent les conseillers.
Pour assurer le développement des nodosités, les techniciens de la chambre d’agriculture conseillent d’inoculer les semences. « Il est possible de semer au semoir à céréales, peut-on lire dans la note. Mais les meilleurs résultats en bio, sont obtenus avec un semoir monograine ayant un écartement suffisamment large pour pouvoir biner la culture. La densité de semis est d’environ 70-80 grains/m² pour un objectif de 65 plantes/m². La profondeur de semis est de 4 cm. Elle doit permettre un passage de désherbage à l’aveugle, quelques jours après le semis. » La graine étant très appétente pour les corbeaux et les pigeons, il convient de garder l’Å“il sur sa parcelle.
Il convient également de ne pas se laisser envahir par les adventices. « Le soja est une culture qui ne couvre jamais réellement le sol. À l’instar de la féverole, c’est une plante réputée salissante. Il convient donc de lui réserver des parcelles n’ayant pas de problème particulier de flore estivale (datura, chénopode, amarante.) Le faux semis est une étape essentielle dans la préparation des sols. »
La culture du soja en agriculture biologique pourrait-elle se développer en lieu et place de la féverole ? Économiquement, c’est possible. « La comparaison des marges pour des cultures donne un avantage au soja avec 740 €/ha contre 570 €/ha pour les féveroles. Le coût des semences représente le premier poste de charges. »
Pour que cette culture puisse se développer, il faudra aussi dissiper les nombreuses interrogations que peuvent se poser les personnes intéressées. Aurélien Jeanleboeuf, directeur de l’exploitation agricole du lycée de Radinghem (62), a ainsi hésité à tester le soja sur l’exploitation : « Dans notre secteur, la culture du soja paraît être une utopie, commente-t-il. S’il fait chaud l’été, nous n’avons pas, pour autant, la ressource en eau nécessaire. De plus, les rendements ne sont pas suffisants pour assurer l’alimentation du troupeau de vaches laitières. »
De plus, le sol doit être réchauffé suffisamment après l’hiver. « C’est ce qui pêche dans notre région, illustre Aurélien Jeanleboeuf. Pour le maïs, les sols sont à peine assez chaud, alors n’en parlons pas pour le soja. C’est dommage, car le soja est un protéagineux idéal pour assurer la production de lait. »
La production de soja biologique en Hauts-de-France reste pour le moment un défi technique. La chambre d’agriculture a d’ailleurs remis en place des essais cette année afin d’affiner les techniques culturales.
Lucie Debuire