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Un pied dans l’agriculture, un pied dans le numérique, la tête orchestrant savamment l’un et l’autre : Hervé Pillaud est un éleveur vendéen qui a emmené ses vaches au Salon de l’agriculture avant d’y accompagner… des start-up (dans des pavillons différents, on s’entend). Son histoire familiale est à cette image : des aïeux à la ferme, des enfants derrière l’écran.
Lui assure le trait d’union, et il est d’ailleurs le seul agriculteur, pour l’heure, à avoir siégé au Conseil national du numérique. « Face aux défis auxquels les agriculteurs sont confrontés, l’intelligence artificielle est un réel support qu’il faut néanmoins apprivoiser », écrit-il en préambule d’un article paru dans la revue Paysans et sociétés en juin.
Avant même de causer intelligence artificielle (IA pour les intimes), le Vendéen a développé son penchant pour le numérique via le syndicalisme local en élaborant sa stratégie de communication digitale. Il a été derrière le site internet de la FDSEA de son territoire, mais aussi derrière la « première web TV avec des agriculteurs et qui fonctionne toujours ». Puis il s’est lancé sur la planète réseaux sociaux, a animé un blog à coups d’articles qu’il écrivait lui-même, croit-il bon de préciser. « J’ai toujours testé ce que je mettais en place à la FDSEA », pose l’autodidacte.
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La France agricole l’encourage à écrire un livre sur le numérique en agriculture. Ce sera Agronuméricus, internet est dans le pré, paru en 2015. Après la plume, vient le micro, qu’il saisit de conférence en conférence. Il parle bitcoin, blockchain, perçoit l’impact qu’ils peuvent avoir sur l’agriculture, la contractualisation. Il reprend la plume à plusieurs reprises. À l’aube de 2024, il couche son Monde sans faim sur le papier, où il prône « une agriculture collaborative et durable bénéficiant de l’innovation quel que soit le modèle d’agriculture et la dimension des fermes. »
Parallèlement, il est de ceux qui font naître La Ferme digitale, le plus important rassemblement de start-up de l’AG tech – comprenons la technologie en agriculture – en Europe. Il joue un rôle majeur dans des initiatives comme Agreen Startup, un modèle d’évènement destiné à faire émerger des projets entrepreneuriaux liés à l’agriculture.
« Clairement, on m’a longtemps pris pour un zombie », s’amuse l’ancien exploitant, officiellement retraité, même s’il n’en a pas encore trouvé le mode d’emploi. « Il a fallu que je fasse attention, heureusement que j’avais des garde-fous ! Mais Christiane Lambert (alors présidente de la FNSEA, ndlr) m’a dit de foncer. » La reconnaissance vient en 2018, lorsqu’il fait ses premiers pas au Conseil national du numérique.
En 2023, on arrive à « un point de bascule qui ouvre des possibilités jamais imaginées avant : l’IA générative », s’enthousiasme-t-il. Avec d’un côté une masse de données qui s’accumule à un rythme effréné – « multipliée par deux tous les deux ans » – et de l’autre la miniaturisation des processeurs, invisibles à l’œil nu. C’est alors une vraie révolution dans les usages, mais pas une révolution technologique, précise-t-il.
Loin de craindre, comme d’autres, la disparition de certains métiers, il y voit au contraire, dans la plupart des cas, une opportunité : celle de remplacer ou faire évoluer certaines tâches. Comme cette idée d’agréger en 15 minutes, plutôt qu’en une journée, une série de données concernant la protection des cultures.
« J’y vois quelque chose qui permette d’automatiser certaines tâches pour pouvoir se concentrer sur les vraies valeurs de l’humain que l’IA ne pourra jamais reproduire : sensibilité, intuition… » D’autant qu’en agriculture, « quand on travaille avec le vivant, on peut consacrer plus de temps à ce feeling ».
Le Vendéen imagine aussi très bien – et très bientôt – un « jumeau numérique d’exploitation ». Ce simulateur qui permettrait de se projeter dans l’avenir en intégrant des paramètres climatiques, techniques, réglementaires, économiques, mais aussi la gestion des marchés, cite-t-il. « L’IA n’est pas scientifique au sens de l’observation d’effets dont on rechercherait les causes par le raisonnement. Fondamentalement, elle prédit sans comprendre. »
Le « résolument optimiste » voit aussi dans les outils du futur une occasion de « redynamiser l’intelligence collective, car le graal est de travailler en groupe », revendique celui pour qui s’entourer des organisations agricoles a été « une vraie chance ».
L’agriculteur a sa part de responsabilité comme tout le monde dans l’évolution du climat, souligne-t-il, mais il est aussi une des premières victimes du dérèglement climatique. « Et ce n’est pas en se lamentant qu’on fait avancer les choses. C’est en se retroussant les manches qu’on y arrive ! » En agriculture de précision, la modélisation générée par IA remplacera à un moment donné les OAD (outils d’aide à la décision, ndlr), assure-t-il. Elle guidera pour épandre la bonne dose au bon endroit au bon moment. « Les outils permettront de prendre les bonnes mesures, de poser les curseurs pour agir en dépassant les handicaps. Mais ne resteront qu’une aide, l’agriculteur restera toujours maître de sa décision », rassure-t-il.
© Louise Tesse