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Bien sûr qu’il y a de l’eau dans le Dunkerquois : celle qui tombe du ciel, celle qui alimente les canaux, dont celui de Bourbourg qui sert de réserve pour l’eau dite “industrielle”. Et celle de la mer. Mais côté eau potable, celle qui vient couler au robinet, il faut compter sur la nappe souterraine de l’Audomarois (lire page 6). « 60 % de l’eau prélevée sur le territoire du SmageAa (syndicat mixte pour l’aménagement et la gestion des eaux de l’Aa) est exportée vers d’autres territoires, notamment le Dunkerquois mais aussi la métropole lilloise », pose Romain Quigneaux, animateur technique au SmageAa. Il a représenté le syndicat mixte lors d’une réunion publique le 29 août dernier, afin d’expliquer ce qu’est un syndicat mixte et quelles sont ses missions.
À ses côtés, Fabrice Mazouni, directeur du syndicat de l’eau du Dunkerquois, et Eva Ducrocq, chargée de mission protection de la ressource en eau. Un point de départ : le territoire, en raison de ses contraintes, a dû inventer un modèle. Et c’est assez rare pour le souligner : le Dunkerquois est plutôt sobre.
Il faut commencer par préciser que le Dunkerquois, territoire ô combien industriel, a cette particularité de fournir ses usines via un circuit d’eau dite « industrielle » : le canal de Bourbourg alimenté par l’Aa canalisé, sert de réservoir d’eau de surface pour les usines du territoire en particulier de la zone industrialo-portuaire de Dunkerque. L’agriculture bénéficie, elle, de l’eau stockée dans les fossés, wateringues et autres canaux. Ces deux usages sont donc exclus des volumes d’eau potable.
Autre singularité du deuxième arrondissement le plus peuplé des Hauts-de-France (chiffres Insee de 2020), son absence de réserve d’eau souterraine et sa dépendance à un autre territoire, l’Audomarois. Là intervient la solidarité territoriale : l’eau est une ressource naturelle, un bien commun qui ne peut être commercialisé. Seul le coût de sa gestion – la contribution à la charge de sa collecte, de sa distribution, de sa disponibilité en qualité et en quantité – peut être établi. En somme, on paie le service public inhérent à sa gestion, mais en France et en Europe, l’eau ne peut être considérée comme un bien marchand.
À noter encore que le territoire se voit doté d’une usine de rechargement artificiel de la nappe phréatique : inaugurée en 1973, elle est l’une des rares en France à permettre de compléter le niveau de la nappe en hiver, en fonction de niveaux de référence. Le principe est simple : si besoin, on prélève de l’eau dans le bras mort de la Houlle et on l’injecte, après potabilisation, dans le bassin du Brouay : un bassin de 50 000 m3 creusé dans la craie où l’eau ira s’infiltrer dans la nappe pour prévenir les épisodes futurs de sécheresse.
Treize forages sont implantés dans des champs captants autour de Houlle et Moulle, qui alimentent le territoire : des tubes sont enfoncés dans le sol jusqu’à une profondeur de 100 mètres, taille de la couche de craie par endroits. Les tubes sont percés de multiples ouvertures qui permettent à l’eau de s’infiltrer (on n’est pas sur une sorte de paille qui viendrait plonger dans une espèce de lac souterrain, la nappe est diffuse). Le suivi de l’évolution des prélèvements indique une moyenne annuelle de 14 millions de m3 quand on avoisinait les 19,5 millions de m3 au milieu des années 80. Plusieurs raisons outre l’alimentation de l’industrie en eau de surface depuis les années 70 et la baisse de la population.
Un meilleur rendement du réseau d’abord, avec une politique de gestion du patrimoine qui a permis au syndicat d’atteindre un rendement réseau de 91 % contre une moyenne nationale de 75 % : c’est-à-dire que sur 100 litres prélevés, 91 arriveront au robinet soit « seulement » 9 litres perdus en chemin avec les fuites et autres incidents. Un bon score qui place le Dunkerquois à la troisième place nationale.
Et si à Dunkerque on travaille sur la question depuis très longtemps, le « plan eau » de mars 2023 doit avoir permis à de nombreuses collectivités françaises de s’améliorer sur la question. Cette gestion des réseaux s’accompagne d’une sensibilisation de la population qui permet d’atteindre une consommation moyenne annuelle de 70 m3 (la moyenne est de 85 m3 sur le bassin Artois-Picardie et la référence nationale de 120 m3).
Pour atteindre ce bas niveau de consommation qui permet lui-même d’atteindre un bas niveau de prélèvement, une sensibilisation de la population. « Et une invitation à la préservation », dit le syndicat des eaux qui illustre : « En expliquant par exemple de ne pas utiliser de l’eau potable pour la voiture ou le jardin ». Invitation qui s’accompagne d’aides à la mise en place de récupération des eaux de pluie. En décembre 2023 a été lancée l’unité d’adoucissement collectif qui permet de retirer une partie du calcaire et de desserrer le frein psychologique et/ou gustatif à la consommation d’eau du robinet tout en prolongeant la durée de vie des équipements.
Sans oublier la dimension sociale avec la mise en place d’une tarification éco-solidaire dès 2012 (sous forme expérimentale et en cours de pérennisation) : l’eau essentielle (jusque 80 m3/foyer/an) est au tarif bas, l’eau utile (entre 80 m3 et 200 m3) au tarif plus élevé et l’usage confort (au-delà de 200 m3/ foyer/an) à un tarif dissuasif. Un système de compteur connecté permet notamment de suivre en ligne la consommation ou de détecter les fuites en temps réel.
Le syndicat aimerait affiner cette solidarité en modulant les tarifs à la composition des foyers mais il lui faut pour cela accéder aux données de la CAF or il existe une chose plus lente que le temps politique, et c’est celui de l’administration. Heureusement, le Dunkerquois n’a pas attendu, parce que privé d’eau souterraine, il a imaginé la résilience avant l’heure.
Justine Demade Pellorce Jdemade@terresetterritoires.com