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Dans l’Avesnois, non loin de sa Belgique natale, cela fait 35 ans que Jean-Christophe Rufin et son épouse Sylvie s’occupent de l’exploitation Earl du pommier sauvage, à Mairieux.
Quitter la Belgique, un choix salvateur pour ce fils d’agriculteur, qui l’a bien rendu à sa région d’adoption.
Tout commence donc il y a 35 ans. « Mon père avait une exploitation vers Mons. Mais en Belgique, il y a beaucoup moins de protection vis-à -vis du foncier agricole… Ses terres ont fondu comme neige au soleil », raconte l’homme de 56 ans. « Moi, j’avais un BTS agricole en poche et un BTS comptabilité. C’est lors d’un repas de famille qu’une tante éloignée m’a parlé de Mairieux. Elle y était propriétaire de la ferme et ses locataires cherchaient à céder mais ne trouvaient pas preneurs. Elle m’a vendu la ferme ! »
Sans cette rencontre, « je ne serais peut-être pas agriculteur car l’avenir en Belgique était quasiment impossible ! » Voilà le jeune couple, Jean-Christophe et Sylvie viennent de se marier, parti pour Mairieux.
Petit à petit, Jean-Christophe Rufin fait l’acquisition de deux exploitations voisines et de quelques parcelles. « Aujourd’hui on a une centaine d’hectares dont 45 ha en prairies et un cheptel d’une centaine de têtes pour un million de litres de lait par an. »
Par la suite, il y a une quinzaine d’années, Jean-Christophe Rufin investit dans un bâtiment “isolé, pour les génisses. C’est un peu leur cocon. Pour le financer j’ai installé de panneaux solaires sur le toit. On m’a regardé avec des grands yeux, se souvient-il. J’avais organisé une réunion d’information où j’avais invité tous les agriculteurs du coin, sept sont venus !”
Il faut dire que déjà , construire un bâtiment pour ses génisses était une petite révolution. “J’ai fait ça à l’époque pour répondre à la demande sociétale de bien-être animal. Parfois ça va un peu loin, mais tout n’est pas mauvais là -dedans, on a gagné 20 kilos à six mois, et puis il faut s’adapter au consommateur !”
D’ailleurs, deux ans plus tard, quand il s’agira de créer un poulailler pour permettre à son apprenti Maxime et à son épouse Lorène de s’installer, ils choisiront l’éclosion à la ferme. “Autrement dit on n’achète pas de poussins mais des Å“ufs. De cette façon, on réduit le stress des poussins lié au transport et on divise par trois l’utilisation d’antibiotiques ! Comme pour mes génisses, on voit que quelque part, apporter du confort aux animaux c’est un investissement.”
Depuis 2018, l’exploitation est également équipée de deux robots de traite où les vaches se rendent trois fois par jour en moyenne. “Comme quoi, ceux qui disent qu’on les trait trop… Quand on leur laisse le libre arbitre elles y vont plus ! C’est un des enjeux de l’agriculture ça, ouvrir les portes des exploitations pour que les gens comprennent notre métier !”
Enfin, pour les robots, leur installation est le résultat d’un coup du sort : “Le 11 août 2018, je suis tombé de mon silo de maïs et je me suis brisé 10 vertèbres. J’ai été arrêté 18 mois… Ça a pas mal remis en question mon organisation. Cela dit, j’étais content d’avoir mes activités syndicales et associatives pour m’occuper !” Et il y avait de quoi s’occuper.
Car Jean-Christophe Rufin multiplie les casquettes. À l’heure actuelle, il en a dix : agriculteur, vice-président de Solaal France*, président de Solaal Hauts-de-France, vice-président de la FDSEA 59, membre du conseil d’administration de la FRSEA Hauts-de-France, élu cantonal de la MSA, élu à la chambre d’agriculture du Nord-Pas de Calais, président du canton FDSEA de Maubeuge, président FDSEA de l’arrondissement d’Avesnes-sur-Helpe et élu communal de Mairieux.
“Mais j’ai eu d’autres casquettes avant”, rigole le multiple élu, non-mécontent de voir une journaliste noircir des pages pour suivre le rythme des casquettes qui tombent. Là aussi, tout est affaire de rencontres : “J’ai accroché avec Pierre Seret, qui était alors président FDSEA de l’arrondissement d’Avesnes. Il m’a mis le doigt dans l’engrenage en me faisant rencontrer Marc Ruscart, alors président de la FDSEA 59, qui lui, m’a mis le pied à l’étrier en m’amenant à Paris. Là -bas j’ai rencontré Christiane Lambert qui était alors présidente de la commission chaîne alimentaire de la FNSEA. Elle a fait le reste…” Comprenez, c’est grâce à ces mentors que l’éleveur décide de s’engager sur tous les fronts.
Un engagement qui va dépasser le syndicalisme pour aller vers l’humanitaire : “En 2018, Solaal vient nous trouver à la FRSEA car ils veulent redynamiser l’association dans la région. J’ai alors demandé à la Région et à la Draaf de financer l’embauche pour 18 mois d’une personne qui serait dédiée à cela à la FRSEA. Elle est aujourd’hui toujours là et s’appelle Cécile Pelletier. Toujours est-il qu’en un an, on avait doublé le nombre de dons ! Aujourd’hui, on arrive à donner l’équivalent de quatre millions de repas par an dans la région !”
Un engagement associatif un peu atypique pour cet éleveur déjà bien occupé mais qui a du sens pour lui : “Au-delà du côté humanitaire, il y a l’anti gaspillage alimentaire : c’est un crève-cÅ“ur pour un agriculteur de devoir jeter sa production. Mon arrondissement est plutôt pauvre et pour autant, je trouve essentiel qu’on puisse apporter à tout le monde de la nourriture de qualité.”
Et toutes ces casquettes, finalement pourquoi ? “Pour l’avenir. Tout ce que je fais c’est aussi pour mes filles, pour les jeunes.” Et de conclure : “Vous savez ce qu’on dit : on ne fait qu’emprunter la terre à nos enfants.”
Eglantine Puel