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« Mes parents sont allés à la piscine en Belgique et l’eau était à 23°, ma mère n’a jamais pu y entrer. » Cette anecdote d’un observateur n’aurait pas pu se dérouler à Wormhout où le centre aquatique Linéo, ouvert le 17 janvier 2021, a déjà accueilli plus de 200 000 visiteurs et 2 400 élèves du territoire en moins d’un an. Ici, pas besoin de baisser la température de l’eau puisque les factures d’énergie n’ont pas explosé. Et qu’on pense, par ailleurs, à couvrir les bassins la nuit pour éviter les déperditions de chaleur.
C’est qu’ici, on dépend à 92 % d’une matière première fournie par six teilleurs installés dans un rayon de 20 kilomètres. Autant dire que le contexte mondial pèse moins qu’ailleurs. Les 8 % restants correspondent à la chaudière gaz qui n’intervient qu’en relais, en cas de problème technique, de gros besoins sur un temps donné (on parle d’appels de puissance) ou de maintenance de la principale chaudière fonctionnant aux anas de lin. « La troisième en France après deux premières installées en Picardie, l’une pour une collectivité comme ici, l’autre pour une industrie », explique Yvan Bomble, ingénieur outils et méthodes chez Engie, le prestataire qui fait tourner l’équipement pour le compte de la communauté de communes des Hauts de Flandre (CCHF).
Cette gestion déléguée est d’ailleurs ce qui a conduit au choix des anas de lin en 2015. « Lorsque nous avons commencé à imaginer le projet du centre aquatique, nous souhaitions en chauffer l’air et l’eau avec une énergie renouvelable. C’était notre volonté politique et nous avons d’abord pensé à la méthanisation mais l’astreinte d’avoir à s’en occuper 24h/24 et 365 jours par an ne nous convenait pas : ce n’est pas notre métier », rembobine André Figoureux. Le président de l’intercommunalité de 40 communes et 55 000 habitants poursuit : « C’est par hasard, en discutant avec un teilleur que l’idée est née. Les anas de lin ne m’étaient pas tout à fait étrangers car j’ai été éleveur toute ma vie et j’en utilisais pour la litière des volailles. »
Voilà comment, six ans plus tard, ouvrait Linéo, centre aquatique chauffé aux anas de lin : 16 millions d’euros investis dans l’équipement et 3,1 millions dans le réseau de chaleur qui a bénéficié de financements de l’Ademe, du Feder ou encore de l’État. Moins d’un an plus tard étaient raccordés à ce réseau un Ehpad et un groupe scolaire moyennant la construction d’un circuit enterré de 1,3 kilomètre. C’était le 2 janvier dernier. « Et il nous reste de la puissance résiduelle si nous souhaitions encore raccorder d’autres équipements, annonce l’élu. Si nous ne savons pas encore combien nous avons économisé en nous chauffant au lin plutôt qu’au gaz, puisque l’année écoulée n’était pas tout à fait classique, nous savons déjà que nous sommes largement gagnants », résume André Figoureux.
Une stratégie qui remonte à plusieurs années dont la pertinence se voit fortement confortée par l’envolée des prix du gaz et de l’électricité. À tel point que le président de la communauté de communes annonce d’ores et déjà le déploiement de deux autres chaudières à lin sur le territoire : la première pour le siège de la CCHF ainsi que les deux entreprises et l’épicerie solidaire qui en partagent les locaux situés à Bergues ; la seconde pour le réseau de chaleur de la commune dont André Figoureux est maire, West-Cappel, mais sur base de pellets de lin cette fois. Ces derniers, plus compacts, nécessitent de moins grands espaces de stockage. Produits par Prodlin qui devrait bientôt s’implanter sur le territoire communautaire, histoire de boucler la boucle du circuit court. Mais il n’y a pas que ça.
D’une puissance de 700 kWh, la chaudière fonctionne aux anas de lin fournis par les six teilleurs du territoire, rappelez-vous : Bertrand Decock à Hondschoote, SA Decock à Quaëdypre, Vanhersecke Frères à Millam, Van Robaeys Frères à Killem, Ets Vandenbulcke à Hardifort et SAS Dewynter à Rubrouck. 787 tonnes sont ainsi livrées directement à la chaudière par les teilleurs selon un planning défini, sur les 55 000 tonnes de leur production totale. Avec un taux d’humidité moyen de 12 %, on est bien en dessous des plaquettes forestières notamment, et on gagne en capacité thermique. Ici, deux silos de 10 tonnes de capacité de stockage chacun permettent d’entreposer de quoi tenir cinq jours en moyenne. Un système de sol amovible alimente en continu deux convoyeurs, sortes de caissons, qui alimentent à leur tour la chaudière dont le foyer atteignait mardi 17 janvier la température de 950 °C, un chiffre qui varie en fonction des températures extérieures. L’équipement est entièrement commandable à distance. Et pour boucler la boucle du local, rien ne se perd puisque la cendre produite par la chaudière est retournée aux champs : 15 à 20 tonnes de cendres produites en une année de fonctionnement (sur 787 tonnes d’anas brûlés pour rappel), ont été analysés par l’entreprise Sede environnement qui les a ensuite intégrés à sa filière épandage. Une opération qui pourrait s’envisager en direct à terme, une fois la stabilité de la qualité des cendres établie.
Les anas sont ici davantage valorisés qu’en utilisation agricole (comme les litières), quand utilisation il y a. « Nous avons établi une convention de rémunération pour six ans avec revalorisation maximale de 2 % et avons déjà prévu les modalités de renouvellement », liste un André Figoureux qui projette l’atout lin sur le long terme.
Côté long cours, n’oublions pas l’aspect environnemental : l’économie d’émissions de CO2 sur dix ans est estimée à 600 tonnes en comparaison à un système classique fonctionnant au gaz. De plus, les fumées sont filtrées deux fois dans le cadre des obligations réglementaires en la matière, puis analysées par l’Université du littoral (Ulco).
Aujourd’hui en raison du contexte mondial, le marché des biomasses est rendu plus pertinent que jamais. « Dans le Lot-et-Garonne, des chaudières fonctionnent même aux coquilles de noisettes », illustre Yvan Bomble. Du côté de la CCHF, c’est sur le lin qu’on mise plus que jamais. Avec l’inscription au dernier programme LEADER de la démarche lin du territoire et le projet de constitution d’un pôle d’excellence régional du lin (PERL), on mise plus que jamais sur l’or blond.
Justine Demade Pellorce
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