Votre météo par ville
Marie-Sophie Lesne, la vice-présidente du conseil régional des Hauts-de-France en charge de l’agriculture, a été reçue le jeudi 24 août dernier, par Guillaume Henniaux, dans son exploitation à Croix-Caluyau (59). La ferme appartient aux Henniaux depuis trois générations, éleveurs (ou négociants) de père en fils depuis pas moins de cinq générations.
Lui s’est spécialisé dans les races à viande : salers, limousine, aubrac, charolaise, rouge des prés, blonde d’Aquitaine, blanc bleu… Un troupeau de 400 têtes. Une affaire qui roule, pourrait-on penser. Guillaume Henniaux est pourtant là, ce matin, accompagné d’autres éleveurs, pour évoquer de « grandes difficultés ».
En prélude, il évoque le prix des matières premières qui s’envole, du fait de la concurrence des unités de méthanisation. « Nous souhaitons que la viande reste un produit accessible, pas un produit de luxe. Alors on se bat pour faire baisser le prix des matières premières », insiste-t-il.
Surtout, dans le collimateur des éleveurs, se trouve la concurrence venue des pays de l’Est, à l’instar de la Pologne dont les exportations vers la France ont bondi. « Alors même que les Polonais ne produisent pas », s’émeut, depuis la foule, Jean-Christophe Rufin, vice-président de la FDSEA du Nord et président de la section de l’arrondissement d’Avesnes-sur-Helpe. « En termes de provenance, la règle veut que l’étiquette indique le pays où le produit est touché en dernier, quitte à ce qu’il ne s’agisse que du conditionnement », détaille encore l’éleveur. Ainsi, la majorité de la viande polonaise proviendrait en réalité de gros producteurs hors Europe. Les normes y étant moins contraignantes, notamment en matière de bien-être animal, la viande est, de fait, plus compétitive.
Difficile, alors, pour la production française de faire moins cher. « Tout a un coût », rappelle ainsi Christophe Hochedé, président d’Interbev Hauts-de-France, qui tacle volontiers le groupe Leclerc et sa politique de prix cassés. « Lorsque quelque chose ne vaut rien, c’est qu’il n’y a ni travail, ni qualité derrière », assène encore Christophe Hochedé. Ainsi, la seule façon qu’aurait la filière française de se démarquer auprès des consommateurs, serait par « la notion de proximité, la connaissance de l’éleveur », estime Jean-François Rufin.
« Ici, même un élevage à 500 têtes est un élevage à taille humaine. Il faut voir les conditions d’élevage au Brésil ou aux États-Unis », abonde le vice-président de la FDSEA. Il insiste, quitte à se faire « taper sur les doigts » : « Le consommateur est responsable de ce qu’il mange. » Manger Français serait ainsi un acte citoyen, énoncent les éleveurs, qui réclament également davantage de traçabilité de la viande européenne.
Tous partagent un sentiment d’abandon, si ce n’est d’ingratitude. Leur travail est difficile, rappellent-ils : la veille, Guillaume et Delphine Henniaux se sont couchés à presque 5 h du matin, pour faire accoucher une vache de jumeaux. Ce à quoi Jean-Christophe Rufin ajoute : « Toi tu t’es couché à 5 h, moi je me suis levé à 3 h. À nous deux, on fait le tour de l’horloge. »
Pas de vacances, des horaires interminables et variables, la nécessité d’une présence continue à la ferme… « Ce qui fait mal, c’est qu’à la fin, malgré tous nos efforts, la viande étrangère nous remplace », s’émeut ainsi Guillaume Henniaux, qui accuse les groupes de restauration de « ne pas jouer le jeu ». Surtout, la profession, peine à trouver sa relève : la majorité des exploitations reprises, dans le cas où elles allieraient élevage et polyculture, cessent leur activité d’élevage. « Les jeunes revendiquent de plus profiter de la vie que nous ! » s’exclame Guillaume Henniaux.
Des inquiétudes partagées par la vice-présidente en charge de l’agriculture : « On est préoccupé par l’avenir de l’élevage. C’est un sujet qui revient toujours en haut de notre liste de priorités », confie ainsi Marie-Sophie Lesne. Près d’un tiers des exploitations consacrées à l’élevage aurait disparu en dix ans, explique-t-elle.
Surtout, l’élue s’inquiète « des paradoxes » et des « approximations » autour du coût écologique de la viande. Elle tacle notamment le dernier rapport en date de la Cour des comptes, publié à la fin mai, qui fait état d’un « solde carbone de l’élevage bovin largement émetteur », « malgré certains effets de réduction des émissions » et préconise une réduction du cheptel accompagnée par l’État. « Des mots cyniques sur un discours qui est venu parachever l’argumentaire qui voudrait bannir la viande de nos assiettes », dénonce ainsi Marie-Sophie Lesne.
Avec un parlé des plus belliqueux – « contrattaquer très fort », « remettre l’église au milieu du village », « dépasser la déferlante médiatique et bien-pensante » – Marie-Sophie Lesne incite les éleveurs (et les journalistes présents) à « rétablir la vérité » : d’après elle, la production française serait « parmi les plus vertueuses au monde », avec une empreinte carbone estimée par les chercheurs de l’Inrae entre 10 et 18 kg de CO2 par kilogramme de viande produit, contre 27 kg eq-CO2/kg en moyenne mondiale. « On ne peut pas rabaisser la production française au même niveau que la production mondiale », insiste la vice-présidente en charge de l’agriculture. D’autant que grâce à l’autonomie protéique, à laquelle sont incités les éleveurs, l’empreinte carbone de la filière pourrait être réduite d’encore 20 %. Le discours est clair : pour être plus “écolo”, consommons “cocorico” !
Plus concrètement, la vice-présidente des Hauts-de-France assume posséder une marge de manœuvre limitée, l’Union européenne étant maîtresse en termes de politique agricole. Toutefois, la Région gère la dotation du deuxième pilier de la PAC, soit 144,5 millions d’euros de Feader (Fonds européen agricole pour le développement rural) pour la période 2023-2027.
Au nom de la politique de développement rural, la Région peut ainsi financer de nombreux appels à projet, qui bénéficient en priorité à l’élevage. Regrettant de trop nombreuses erreurs dans les dossiers, à l’instar de cartes d’identité dont la période de validité est dépassée, elle enjoint les éleveurs à se munir de « l’ingénierie nécessaire », auprès des chambres d’agriculture notamment. « Ne vous faites pas retoquer bêtement », assène Marie-Sophie Lesne.
Marion Lecas