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Il est né à Lille il y a 44 petites années, mais c’est en Flandre qu’il est devenu ce qu’il n’a plus cessé d’être : quelqu’un de connecté. Au temps, à la nature. « En 1987, mes parents décident de s’installer à Méteren, où ma mère, enseignante, ouvre une classe pour les enfants en difficulté rattachée à l’école du village. » Pour cette école à la ferme, la famille réhabilite une aile de la ferme et les élèves, outre le programme scolaire, ont la responsabilité du potager ou des animaux de la basse-cour. Et si Riquier (c’est un prénom picard), du côté des “bons élèves”, ne fréquente pas l’école de la Clairvoie (du nom de la ferme), il prend le relais pendant les vacances et week-ends.
Cette immersion originelle dans le monde rural participe sans doute à son orientation : le jeune homme a envie de préserver la planète, « ou toujours de limiter les dégâts », il se lance dans des études de biologie et écologie. « Puis j’ai bougé un peu, en France, au Canada, avant de me mettre à bosser dans les énergies renouvelables comme ingénieur projet », synthétise-t-il en précisant : « J’étais un peu militant, je bossais pour l’association Virage Énergie qui défendait le développement des énergies renouvelables dans le Nord-Pas de Calais. » L’âge d’or de la trentaine : « On s’amuse, on milite, on bosse », formule Riquier Thévenin.
Cette période s’achève en 2012 sur cette « envie de retour à la terre, de mener (s)on propre projet et d’être encore plus proche de la nature ». Avant de s’installer, il part se former auprès d’une association de promotion de l’agriculture biologique, en Champagne-Ardenne. « L’envie était là mais mon projet pas encore assez mûri », pose celui qui aime faire les choses dans le bon ordre. Deux ans comme animateur bio et deux ans à bosser sur les fermes pour apprendre le métier d’agriculteur et de houblonnier en particulier plus tard et le voilà conforté dans son projet : il cultivera du houblon bio. Le houblon, « à 95 % pour les valeurs de la bière : accessible, festive, qualitative, conviviale : je ne nourris pas la planète mais je contribue à quelque chose qui a du sens », estime le quadragénaire. Biologique, parce que ça se fait (notamment chez Joris Cambie, à Poperinge (Be) où Riquier ira apprendre un temps, ndlr) et parce que ça répond à ses convictions.
Au moment du lancement, Riquier Thévenin a deux fois de la chance, il le reconnaît. La première fois quand, en 2018 ses parents mettent à disposition un terrain à l’arrière de la ferme, où il peut tester et commencer à investir dans le petit matériel (un petit tracteur, une trieuse, un pelletiseur). Ensuite en 2019 quand le Département du Nord accepte de lui louer un hectare sur les pentes du Mont des Cats, à Godewaersvelde. « La stratégie de l’institution est alors de renforcer l’identité paysagère et culturelle sur ce site particulièrement touristique », décrypte le houblonnier. Une identité brassicole s’il en est.
Un hectare, c’est bien pour commencer, pour réussir à mener sa barque seul sauf en période de récolte où tous les copains débarquent joyeusement et sauf le reste de l’année où les stagiaires et autres woofers se relaient. Pas seul en fait ! La bonne échelle pour garder du temps, pour lui, pour sa famille, essentiel dans son équilibre. La bonne échelle enfin aux vues du contexte de l’agriculture biologique doublé de celui de la brasserie indépendante. « Le marché du bio s’est un peu resseré l’an dernier et si j’ai quasiment vendu toute ma production (pour l’essentiel aux brasseries bio du coin), on observe une baisse de la demande doublée d’une hausse de la production en région », liste-t-il sans rancune. Dans les faits, aux six houblonniers conventionnels implantés dans le Nord, quatre se sont ajoutés dans la région, dont trois dans le Nord. « Et certains, issus du monde agricole, ont les surfaces et les connaissances mécaniques et agricoles qui les font dépoter », observe-t-il sans jalousie. Parce que, s’il faudrait idéalement trois hectares pour vivre de la culture du houblon, « la bonne échelle paysanne », pose-t-il, Riquier Thévenin se contente, et se satisfait même, de son échelle actuelle. Pour réussir à payer les factures à la fin du mois, il est formateur à temps partiel au lycée horticole de Lomme. Surtout, il revendique garder du temps pour « les filles », comme il dit.
2022 n’a pas été facile en termes de rendement et, si le houblon est plutôt une plante rustique, sa conduite en culture biologique complique forcément un peu les choses. 2023 a été difficile en termes de commercialisation. « La culture du houblon en elle-même n’est pas si compliquée si on est carré, mais il y a encore la mécanique, l’administratif, la communication… Ce qui vaut pour tout métier d’entrepreneur se corse encore pour les agriculteurs qui doivent gérer tous les aspects et composer avec le vivant », philosophe le jeune père de famille.
2024 s’annonçait de nouveau moyenne en termes de rendement chez le jeune houblonnier qui explique : « Ce sera moyen, mais je ne me le reproche pas. J’y ai consacré le temps que je voulais. J’ai voulu devenir agriculteur pour être dehors et pour produire quelque chose, un produit de qualité. Aussi pour être à mon compte, en limitant mon impact pour la planète. » La liberté de décision et la qualité de vie. Quant à tout le reste, il « le prend cool ».
Justine Demade Pellorce