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Ce n’est pas un inventaire à la Prévert mais un bilan objectif, élaboré par le Conservatoire botanique de Bailleul (59) qui a de quoi faire blêmir… 132 espèces végétales indigènes ont disparu des Hauts-de-France et 200 sont menacées.
On peut croire au miracle. Imaginer une main divine venir baisser le thermostat de la planète et ainsi soulager nos glaciers, nos animaux, nos poumons et nos plantes. On peut ne pas croire, refuser de voir. On peut aussi constater, pour agir. C’est le parti pris du Conservatoire botanique national de Bailleul, qui, comme dix autres en France, observe l’évolution des végétaux, les préserve et sensibilise le public à leur importance.
La liste rouge qu’il vient d’établir (au même titre que les autres conservatoires) est le fruit de plusieurs années de recherches concrètes sur le terrain par des scientifiques et des collaborateurs bénévoles, mais aussi documentaires, parmi les herbiers et ouvrages botaniques existants.
Près de 3,6 millions de données ont ainsi été étudiées, triturées, décortiquées par les équipes, avec un objectif : établir un bilan objectif du niveau de menace pesant sur les espèces de plantes vasculaires (avec racines) et bryophytes (type de mousses) dans les Hauts-de-France.
« Un travail de longue haleine, précise Clémence Henderyckx, chargée de communication au conservatoire. La méthodologie de travail a été établie par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). C’est en fait la combinaison, pour chaque espèce, de plusieurs critères : la réduction de la population (sur un maximum de 10 ans), sa répartition géographique, le nombre et la taille des populations. »
Plus d’espèces menacées dans la région
Et le bilan des études est pour le moins inquiétant : sur les 1 500 espèces indigènes connues depuis les premiers recensements du XIXe siècle, 132 ont totalement disparu dans la région comme l’adonis couleur de feu ou la menthe à longue feuille (8,8 % du total des espèces indigènes) et 200 sont menacées comme certaines orchidées ou la raiponce bleue (13,3 %).
« Ce qui ne veut pas dire que ces espèces ont totalement disparu. Elles peuvent être présentes dans d’autres régions françaises et européennes », tente de rassurer Clémence Henderyckx. Deuxième inquiétude, la menace semble accentuée dans notre région, puisqu’au niveau national, 9 % de la flore vasculaire sont menacés, c’est 4 % de moins que pour les Hauts-de-France. Concernant les mousses briophytes, le constat est encore plus alarmant : si 47 espèces indigènes ont disparu en région, sur les 544 connues, 122 sont menacées. C’est près d’un quart du total des espèces…
Si la disparition des animaux a tendance à émouvoir fortement, celle des végétaux revêt tout autant d’enjeux, pas toujours perçus par le grand public… « C’est tout un écosystème qui est menacé, déplore Clémence Henderyckx. Les espèces ont besoin les unes des autres pour vivre. Prenons un exemple tout simple, certaines espèces de papillons ont besoin de certaines espèces d’orties pour pondre, cette dépendance existe partout ! Mais, chaque plante a une valeur patrimoniale, elle a le droit d’exister en tant qu’espèce vivante ! Une plante qui disparaît, c’est aussi le témoin qu’un milieu disparaît… »
La graine, trésor de patrimoine
Sans étonnement, l’équipe de scientifiques voit dans les mutations de nos modes de vies l’explication à ce bouleversement des écosystèmes : l’industrialisation, l’urbanisation massive avec l’artificialisation des sols, l’intensification agricole avec le retournement des terres et l’utilisation d’herbicides. La première raison avancée est la déprise agricole.
« Il s’agit des espaces qui étaient autrefois utilisés pour l’agriculture, l’élevage… et ne le sont plus, précise Thibault Pauwels, chef du service écocitoyenneté. Sur les coteaux calcaires par exemple, on faisait de l’élevage de moutons, l’arrêt de cette pratique a favorisé l’installation des genévriers et prunellier en quantités tellement grandes que le milieu a changé et que les orchidées (notamment) présentes se sont raréfiées jusqu’à disparaître pour certaines. Voici pourquoi aujourd’hui nous conseillons aux gestionnaires d’espaces naturels de pratiquer l’écopâturage. » Les espèces envahissantes et les espèces végétales exotiques ou animales, comme le rat musqué dans le Marais audomarois par exemple, font partie des menaces les plus récentes.
Secouées, mais pas abattues, les équipes du conservatoire, portées par leur mission de transmettre aux générations futures le patrimoine végétal sauvage, poursuivent leurs efforts. Dans leurs congélateurs, reposent près de 33 millions de graines de végétaux. Elles serviront à des réintroductions, comme celle de la cigüe (considérée en danger) dans le Marais audomarois, en veillant toujours à ce que les conditions lui soient favorables : si le milieu n’est pas propice, cela ne servira à rien… Elles seront, pour certaines, distribuées aux adhérents du conservatoire afin qu’ils les plantent dans leurs jardins puis ramènent leurs graines l’année suivante.
Enfin, pour certaines, elles seront plantées et surveillées comme le lait sur le feu, dans le cocon de nature où chantent encore les batraciens des jardins du conservatoire. C’est le cas de la saponaire des vaches (en danger critique) ou l’œillet des chartreux (menacé) choyées sur place, le temps, espérons-le, de leur retrouver des terres accueillantes, dans le monde réel.
Agathe Villemagne