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Dans les Hauts-de-France, plus de 20 000 personnes vivent dans une zone exposée à l’aléa submersion marine. C’est le résultat d’une étude publiée par l’Insee, l’Institut national de la statistique et des études économiques. Mais de quoi parle-t-on exactement ? Éclairage avec Arnaud Héquette, chercheur au laboratoire d’océanologie et de géosciences de l’université du littoral Côte d’Opale (Ulco) et spécialiste de la question.
Il y a plusieurs types de submersion marine. Soit la rupture d’un ouvrage au sens large : une digue ou une dune côtière, un objet quel qu’il soit qui va protéger les terres de l’arrière. Le deuxième type de submersion possible est la submersion par déversement. Là, le niveau d’eau est tellement haut que ça passe par-dessus l’ouvrage et l’eau va déborder à l’intérieur des terres. Et puis il y a des submersions par paquets de mer. Les vagues vont projeter de l’eau, vague après vague, à l’intérieur des terres. Ces trois types de mécanisme, ce sont des événements qui sont ponctuels, à marée haute et à haut niveau de tempête.
Oui, ces hauts niveaux d’eau vont devenir forcément de plus en plus fréquents. Je pense, par exemple, à une étude réalisée par des collègues britanniques. Ils ont montré qu’en augmentant le niveau de la mer d’une quarantaine de centimètres pendant le XXIe siècle, ce qui se produisait une fois par siècle en 1990 se produirait tous les ans en 2100. Ce qu’il risque de se produire c’est que les niveaux les plus extrêmes seront plus hauts, et les phénomènes de submersion marine de plus en plus fréquents.
Ça dépend de chaque configuration littorale et ça dépend aussi des enjeux. On ne va pas réagir de la même façon si on a des dunes côtières et à l’arrière un espace naturel, ou si une plage est adossée à une digue et à des habitations. Par exemple, au niveau de dunes qui protègent l’arrière-pays, on peut jouer sur leur dynamique naturelle et l’aider à se reconstituer avec des méthodes douces : des fascines, des ganivelles, des oyats… Ces moyens fonctionnent plutôt bien, mais ils sont pour autant liés à l’état des plages.
On peut aussi réalimenter artificiellement les plages en sable, à l’image du grand rechargement de la digue des Alliés à Dunkerque (réalisé en 2014, ndlr). Ça sert à protéger la digue et ce rechargement, en particulier, a bien fonctionné. La limite, c’est que le sable aura tendance à partir, mais il n’est pas nécessairement perdu. À Dunkerque, une partie du sable s’est, par exemple, dirigée vers la plage de Malo et le gros du rechargement est toujours là, c’est plutôt une bonne nouvelle.
Il existe ensuite d’autres moyens comme la surélévation ou le renforcement des digues. C’est tout à fait possible, mais il y a plusieurs désavantages à ces méthodes. D’une part, on artificialise le littoral, on le bétonne. Puis on construit des structures statiques, rigides, avec un effet négatif sur les plages. Ces moyens de protection sont faits pour protéger ce qu’il y a derrière l’ouvrage, mais pas ce qu’il y a devant. Ça peut occasionner, et c’est souvent le cas, plus de réflexion des vagues, de remise en mouvement du sable. C’est ce qu’on observe à Wimereux, à Wissant… Cela protège, mais ce ne sont pas non plus des ouvrages indestructibles et on a vu des tempêtes faire des dégâts importants ces dernières années, comme à Wimereux par exemple. Ces ouvrages, ce sont des coûts de réalisation, mais aussi des coûts d’entretien. C’est la même chose pour les enrochements. Personnellement, je ne trouve pas ça esthétique, ça gêne l’accès à la plage et ça induit de la réflexion de la houle qui a tendance à faire disparaître la plage.
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Il n’y a donc pas de solution parfaite. Je ne dis pas que le rechargement des plages est la solution parfaite, mais c’est une des solutions et elle est d’ailleurs beaucoup employée en Belgique et aux Pays-Bas. On peut aussi faire un rechargement important, puis des rechargements ponctuels, comme à Dunkerque avec des rechargements de 30 000 m3 régulièrement depuis le grand rechargement de 2014 (1,2 million de m3, ndlr).
Je pense que les services de l’État prennent cela très aux sérieux. Ils veulent prévoir les choses, s’y prendre à l’avance. Il faut aussi prendre en compte qu’il n’y a pas de problème d’érosion et de submersion partout. Il y a des secteurs encore très stables et où, à l’inverse, le trait de côte ne recule pas et avance même vers la mer. À l’est de Calais, on a par exemple un secteur où c’est le cas et où ça se fait de manière naturelle.
Quand j’ai commencé à travailler sur ces questions-là dans la région, il n’y avait pas beaucoup d’échos dans la société, les médias, les pouvoirs publics… Puis, petit à petit, on a de plus en plus parlé du changement climatique et on s’est rendu compte de ses impacts. On voit bien qu’on est beaucoup plus sollicité par les médias ou par les services de l’État. Ils sont pleinement engagés dans tout ça, sachant qu’il est temps de planifier. L’urgence n’est pas dans deux ans, mais forcément cette pression avec des niveaux d’eau de plus en plus élevés va faire qu’il y aura de grands changements et il faut s’y préparer. Dès maintenant, il faut planifier, se protéger de ces événements extrêmes. Ça se fait déjà comme à Dunkerque avec la digue de Malo-les-Bains et l’installation de bancs qui servent aussi de protection. Il y a déjà des moyens de s’adapter.
Quand je discute avec des collègues, on en vient tous à cette conclusion : on voit bien qu’il y a des secteurs où ça va devenir très difficile de protéger ou en tout cas ça va devenir beaucoup trop coûteux de protéger par rapport à la valeur des biens à protéger. Il va bien falloir qu’on fasse des choix et on en vient alors à la notion d’acceptation. Il va falloir travailler avec la population.
L’étude de l’Insee est très intéressante, elle se différencie de notre approche et s’intéresse aux aspects sociaux du risque de submersion marine (lire ci-dessous). Ce rapport de l’Insee se base sur les cartes des PPRL (lire aussi ci-dessous). C’est à l’instant T, mais ça prend en compte l’élévation future du niveau de la mer et les documents des PPRL se basent eux-mêmes sur des études réalisées par des bureaux d’études. Nous (à l’Ulco, ndlr), on fait des études qui se recoupent, mais qui n’arrivent pas nécessairement aux mêmes conclusions. Dans un projet de recherche (projet Cosaco : quel littoral dans 50 ans ?), on a essayé de voir comment peut être le littoral dans 50 ans dans deux secteurs, soit en 2065.
Par exemple, à Wissant où on a un recul de trait de côte très important depuis des années, il y a tout un lotissement menacé. Là, c’est plus un risque d’érosion que de submersion. On a montré qu’il y avait tout une zone qui pouvait subir un aléa de submersion marine dans le secteur de ce lotissement, ce qui correspond à peu de chose près à ce qu’on va retrouver dans les documents du PPRL, sauf que la différence entre le document des services de l’État et notre étude, c’est que le PPRL ne prend pas en compte l’érosion.
Il projette ce que pourrait être la zone submergée, en 2100 par exemple lors d’une tempête, mais avec un littoral dont la configuration ne change pas. Alors que nous, on a intégré les reculs récents du trait de côte et, en 2065, la zone serait très proche de celle du plan de prévention des risques, sauf qu’on avait un trait de côte qui était totalement différent, bien en retrait du trait de côte actuel, avec des zones de franchissement qui ne sont pas les mêmes. C’est une autre approche.
D’un autre côté, sur un autre site du côté d’Oye-Plage, dans le PPRL, on va créer une brèche même si c’est peu probable… Ça peut se comprendre de prendre le pire scenario car il s’agit de sécurité publique, mais je trouve ça un peu curieux, car on peut quand même faire des projections d’évolution du trait de côte dans le futur, en se basant sur les rythmes passés.
L’Insee (institut national de la statistique et des études économiques) s’est intéressé au risque de submersion marine dans une étude publiée le 30 janvier dernier.
190 kilomètres
Le littoral des Hauts-de-France s’étend sur plus 190 kilomètres, de la Manche à la mer du Nord, et de la baie de Somme à la Côte d’Opale (carte ci-dessus).
7 PPRL
Les PPRL, plans de préventions des risques littoraux (lire ci-dessus), visent à limiter l’exposition au risque des personnes et des biens situés dans des zones inondables par la mer, mais aussi à définir des mesures de prévention. Dans les Hauts-de-France, sept territoires sont concernés par un PPRL : Dunkerque – Bray-Dunes, Gravelines – Oye-Plage, Calaisis, Marquenterre – Baie de Somme, Bas Champs – sud Baie de Somme, Boulonnais et Montreuillois.
0,6 % du territoire régional
Ces zones s’étendent sur 49 communes, trois départements (Nord, Pas-de-Calais et Somme) et couvrent 192 km2, soit 0,6 % du territoire régional. « Cette superficie, bien que relativement faible, concentre d’importants enjeux sociaux et économiques. En cas de submersion marine, l’eau menace aussi bien les populations que les infrastructures, les emplois et les surfaces agricoles », alerte l’Insee. Les différentes zones sont plus ou moins fortement impactées. Un quart de la population est soumis à un risque élevé : la baie de Somme et le littoral du Calaisis, et dans une moindre mesure le Boulonnais et le Montreuillois. Le risque est moins élevé pour les zones plus au nord, de Gravelines à Bray-Dunes.
0,4 % de la population régionale
Au total, 21 500 personnes vivent dans ces sept zones concernées par un PPRL, soit 0,4 % de la population régionale. Parmi elles, 1 700 sont particulièrement vulnérables (jeunes enfants et personnes âgées).
6 300 salariés
Sur ces territoires, 720 établissements (publics ou privés) emploient 6 300 salariés et « les plus gros employeurs doivent être préparés aux difficultés d’évacuer un personnel nombreux », prévient l’Insee. L’institut met aussi en avant les risques liés au tourisme, notamment en baie de Somme, dans le Boulonnais et le Montreuillois. L’attrait touristique de ces trois territoires renforce les enjeux en période estivale, avec une hausse de la population et des emplois.
Le plan de prévention des risques littoraux, ou PPRL, est l’un des cas particuliers des Plans de préventions des risques naturels (PPRN). C’est un document réalisé à l’initiative du Préfet et sous son autorité, par les services de l’État, en concertation avec les communes concernées, les établissements publics de coopération intercommunale et les acteurs locaux.
Il vise à encadrer le développement urbain dans les zones les plus exposées aux risques de submersion marine. Le PPRL approuvé doit être annexé au document d’urbanisme de la commune, le PLU. Il s’impose à tous. Il interdit les constructions nouvelles dans les zones fortement exposées et les autorise sous certaines conditions en zone de risque modéré et déjà urbanisée.
Un PPRL peut également prescrire pour le bâti des mesures obligatoires et définir des recommandations pour diminuer la vulnérabilité des personnes et des biens. Le PPRL de Dunkerque et Bray-Dunes, approuvé en avril 2022, impose par exemple des adaptations pour les biens et activités existants (déjà construits) à réaliser jusqu’en 2027.
Kévin Saroul