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François Purseigle est sociologue spécialiste des mondes agricoles et auteur du livre “Une agriculture sans agriculteurs“ en 2022 aux éditions Presses de Sciences Po. Il analyse la mobilisation actuelle des agriculteurs en ce début d’année 2024.
Je vais revenir sur des éléments qui font écho aux échanges que j’ai eus hier (lundi 29 janvier, ndlr) encore dans les Pyrénées-Atlantiques. Quand vous discutez avec les gens sur le terrain, cela faisait quand même quelques mois que sur WhatsApp, Facebook, un certain nombre d’agriculteurs échangeaient sur des difficultés liées notamment à la sécheresse, à l’incapacité à produire. On a des agriculteurs confrontés de plein fouet à la crise climatique, et c’est aussi pour ces raisons-là que le mouvement est parti du sud de la France. Une animatrice syndicale me parlait d’éleveurs qui créent de la valeur en produisant un lait transformé et valorisé. Mais là, cet été, les brebis n’ont pas fait suffisamment de lait ou alors de qualité moindre… Certains viticulteurs ont aussi vu leurs vignes brûler.
Donc c’est la crise d’une incapacité à pouvoir produire et faire. Ce qui est en jeu, et c’est en ça que c’est aussi un mouvement de petits patrons, c’est le sentiment qu’ils ne peuvent plus aujourd’hui exercer leur métier. Pour différentes raisons. Ces questions climatique et environnementale qui viennent les percuter, mais c’est aussi lié à l’incompréhension de ces voisins qui s’opposent à l’extension d’un bâtiment, à la création d’un méthaniseur… Et puis, et c’est pour moi fondamental, lié à une exigence réglementaire qui a du mal à être reçue par une exploitation familiale extrêmement fragilisée.
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Les agriculteurs ne sont pas contre les normes, ils produisent eux-mêmes des normes avec les cahiers de charges AOP, IGP, etc. Sauf que ces normes-là sont perçues comme créatrices de valeur. Le sens donné à la réglementation est difficile à percevoir pour eux. Ils ne comprennent plus le sens agronomique ni économique de certaines normes et ils considèrent qu’ils ne sont plus en positon de force pour les intégrer. Voilà ce qui se joue.
C’est malheureux, mais je pense qu’on ne pourra pas répondre à tout. Car il y a une partie des réponses qui se trouve à Bruxelles et puis comment voulez-vous répondre finalement avec un même outil, la politique agricole commune (PAC, ndlr), ou les mêmes instruments de politiques publiques, à des situations et des réalités très éclatées ? Il y a un certain nombre de revendications qui trouveront des réponses dans des politiques sociales, un certain nombre dans des politiques territorialisées et d’autres dans des politiques économiques. D’autre part, à toutes ces revendications, on ne va pas y répondre uniquement avec des outils et des instruments politiques. On va y répondre aussi avec des changements de pratiques, et c’est pour ça que c’est difficile de trouver un bouc émissaire. Quand je vous dis qu’il y a un sentiment d’incapacité à faire chez certains agriculteurs, c’est lié aussi au regard que portent certaines populations rurales sur leurs projets.
Il n’y a pas un désamour, mais il y a une méconnaissance de ce que sont les agriculteurs. On méconnaît les chefs d’entreprise qu’ils sont. On méconnaît finalement la diversité des projets entrepreneuriaux qu’ils portent. Et on les assigne à des fonctions et à des images qui ne leur correspondent pas. Dans ce ras-le-bol, il n’y a pas un désamour, mais le fait qu’ils ne sentent pas compris en qualité de chef d’entreprise. Et ça, c’est partagé aussi par les membres de la Confédération paysanne et de la Coordination rurale.
Si ça part d’Occitanie, c’est quand même intéressant sociologiquement. L’Occitanie est l’une des premières régions bios de France. L’une des premières régions de circuits courts et où on a des agriculteurs qui ont joué la carte de la transition. La Confédération paysanne appelle aujourd’hui à un changement de modèle et explique que le modèle productiviste et libéral a conduit à la situation actuelle. Mais dans certains cas, ce sont des agriculteurs qui ont transité qui sont aussi dans la rue. Pourquoi ? Parce que finalement, ils estiment le prix n’est pas acceptable pour les efforts qu’ils font sur le plan de la transition, notamment en matière d’agriculture biologique ou de circuits courts.
Vous ne pouvez avoir que des revendications diverses car vous avez un monde agricole très éclaté. Vous avez derrière un agriculteur un chef d’entreprise industriel, parfois un commerçant ou un artisan, parfois un père de famille. Donc c’est logique qu’on ait un éclatement des revendications. Mais la question qu’il faut se poser avec l’étendue de ces revendications, c’est aussi : est-ce qu’on ne demande pas beaucoup à l’agriculture ? Est-ce qu’on ne demande pas beaucoup à un secteur qui est intrinsèquement fragilisé ? Posons-nous ces questions-là.
Je n’en sais rien. Mais malgré tout, elle est inédite parce que protéiforme, parce qu’elle est mutli-localisée et parce qu’elle transcende les filières.
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Propos Recueillis Par Kévin Saroul