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Une maison au cœur de sa ferme. C’est ce que Jean-Paul Decherf, polyculteur et éleveur à Comines (59), offre à Polina, Dmytro et Ostap, une Ukrainienne d’une trentaine d’années et ses deux fils de 15 et 9 ans, depuis le début du mois d’avril.
Une parenthèse qui met pour un temps la guerre à distance, sans toutefois en étouffer totalement l’écho.
C’est pendant la campagne présidentielle que l’idée vient à ce polyculteur éleveur. « J’ai assisté à quelques meetings de soutien à Valérie Pécresse avec Xavier Bertrand, situe-t-il. L’un d’entre eux avait lieu à Marcq-en-Barœul (59). Cela faisait un petit mois que la guerre en Ukraine avait commencé. Une Ukrainienne de l’ambassade est venue parler de la situation. L’état de son pays, les réfugiés vers la Pologne… J’ai pensé à mes grands-parents, qui ont dû partir pour la Normandie quand les nazis sont arrivés… »
Lui qui a discuté avec ses saisonniers polonais venus planter les pommes de terre a entendu leurs témoignages sur les bombardements et les files de réfugiés. Alors celui de l’ambassadrice le décide.
« La maison de mon père était vide depuis son décès il y a sept ou huit ans. J’en ai parlé à mon épouse. Je me suis dit que je ne pouvais pas la laisser vide. »
Il se signale auprès de la mairie, qui, en lien avec la préfecture, organise le placement des familles en provenance d’Ukraine. Des agents ne tardent pas à venir inspecter les lieux, pour s’assurer des bonnes conditions d’accueil. Puis, c’est la rencontre.
La date, l’agriculteur s’en souvient sans effort. « C’est simple : ils sont arrivés début avril, huit jours avant le premier tour. L’inspection des locaux s’est faite un jeudi, le samedi suivant Polina, Dmytro et Ostap étaient chez nous ! Ils n’avaient rien… Je lui ai ramené du lait et des pommes de terre de ma ferme, elle m’a demandé combien elle me devait. Cela m’a ému qu’elle me pose la question. »
C’est avec l’aide de Google trad et un filet de voix douce que Polina, qui ne parle pas encore français, égrène son histoire. « Nous venons de Ternopil, à l’ouest de l’Ukraine. Il y avait des rumeurs disant qu’ils continueraient à nous bombarder, alors nous sommes partis, sauf mon mari qui a dû rester défendre le pays. Nous avons traversé la frontière polonaise à pied, emmenés par des amis, et sommes arrivés le 8 mars chez un ami de mon mari qui vit en France depuis sept ans, qui m’a aidée à faire les premières démarches. »
La voix comme sonnée par la violence de l’arrachement qu’elle raconte, elle décrit par bribes son ancienne vie, employée de banque puis femme au foyer. Son mari, Sergiy, était chauffeur routier. Il travaille aujourd’hui dans les rangs de la Croix-Rouge. « Mes parents sont, eux aussi, restés là-bas. C’est facile pour nous d’être en sécurité. Je m’inquiète pour eux, et j’appelle tous les jours pour savoir s’ils vont bien. J’aimerais que le conflit se termine vite. Mais mon mari dit qu’il faut se préparer à ce que ça dure. »
Comment trouve-t-elle Comines ? « Plus petite que Ternopil, sourit-elle tristement, mais mes parents vivaient dans la campagne proche. » Comment ses enfants vivent-ils la situation ? « Plus on est jeune, plus c’est facile de s’habituer à la situation. C’est un peu plus dur pour Dmytro… »
À l’arrivée de la famille ukrainienne, des gens du coin ont proposé leur aide. « Deux familles autour de nous viennent les chercher régulièrement pour leur faire faire des sorties, car mon épouse et moi n’avons pas le temps avec la ferme. Ils sont même allés voir les cerfs-volants à Berck ! Nous avons demandé au maire une salle pour que toutes les familles hébergées à Comines puissent se rassembler régulièrement, il m’a dit qu’il allait le faire. »
Car à Comines, Jean-Paul Decherf n’est pas le seul à faire ce qu’il fait : il connaît au moins deux autres familles hébergées dans la commune. Une hospitalité qui requiert une approche particulière. « Au départ, il faut y aller doucement, ce sont tout de même des gens qui arrivent en état de choc. Le petit garçon était très craintif en arrivant, il s’accrochait beaucoup à sa mère. Il avait même peur des avions de Bondues… »
Grâce à la mairie de Comines « qui a fait son travail d’humanité », Dmytro et Ostap sont scolarisés à l’école et au collège du coin, et suivent en parallèle des cours dans une école ukrainienne en ligne.
Polina, elle, a pris un travail à la Ferme de la Gontière, la champignonnière de Comines, et commence à 5 h le matin. C’est donc une voisine qui emmène Ostap à l’école. Dmytro se déplace à vélo. La découverte de la ferme a-t-elle enthousiasmé les jeunes Ukrainiens ? « Ils préfèrent être sur internet que sur le tracteur ! », rit Jean-Paul Decherf, qui passe dire bonjour à ses invités chaque jour. « Je leur ramène du lait de la ferme, ça leur fait plaisir. Quand on aura fini les patates, Polina veut nous cuisiner un plat ukrainien. »
Lucie De Gusseme
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