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« Je sais que ça ne se voit pas comme ça, mais je suis un grand sensible. Je pleure devant les films », plaisante Jordan Lourdel, faisant référence à son look de biker américain. Veston en jean, écussons colorés, longue barbe rousse…
C’est sûr que de prime abord, on ne pense pas que cet homme de 40 ans organise depuis huit ans avec son association Cartoon’s des événements à destination des enfants, notamment hospitalisés. On pense encore moins que depuis trois ans, quasiment chaque semaine, il récupère les bouquets de fleurs « à jeter » du Carrefour de Liévin, où il travaille en tant que boulanger, pour les mettre à disposition des visiteurs de trois cimetières lensois et un liévinois. Voici donc le portrait d’un homme illustrant à merveille l’adage « l’habit ne fait pas le moine ».
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Cette envie de donner aux autres, il la puise dans son enfance. « Mes parents se sont toujours occupés des autres, ont toujours donné aux autres, même si eux-mêmes ne roulaient pas sur l’or », se souvient Jordan Lourdel. Son père était peintre en bâtiment et sa mère travaillait dans les cantines avant de s’occuper de sa sœur et lui. « On a su plus tard qu’ils ont parfois dû aller aux Restos du cœur. Mais nous, on ne l’a jamais senti, on n’a jamais manqué de rien et surtout on a grandi dans l’idée qu’il faut aider les autres le plus possible. »
Alors, quand sa mère est diagnostiquée d’un cancer généralisé en 2016, il se dit « médicalement, je ne peux rien faire, donc je vais aider les autres ». Il avait déjà créé l’association Cartoon’s, qui organise un mercredi par mois des activités pour les enfants de l’école Pasteur de Lens. Mais il décide d’aider les enfants de beaucoup plus loin et organise son premier voyage humanitaire.
« Je suis parti au Maroc, puis au Sri Lanka l’an passé, avec mon grand garçon, qui a 18 ans aujourd’hui. Pour ça, on a fait des opérations au Carrefour de Liévin, des appels aux dons de matériel scolaire et de jouets, puis on est parti avec nos grosses valises et on a arpenté le pays pour distribuer tout ça. En 2026, on doit partir au Cameroun avec mon plus jeune. » Car transmettre, il l’a appris, c’est important.
Il y a trois ans, c’est en allant comme souvent avec sa sœur « rendre visite » à sa mère au cimetière nord de Lens que Jordan Lourdel s’aperçoit que certaines tombes sont peu ou pas fleuries et qu’un certain nombre de personnes viennent sans fleurs honorer leurs morts.
« Je me suis dit que moi, ça me ferait mal au cœur de ne pas pouvoir fleurir la tombe de mes proches. J’ai du monde ici (au cimetière), et ne pas pouvoir faire ça, ça me serait vraiment difficile. » Alors, quand il se rend compte que le magasin où il travaille a régulièrement des bouquets en trop, qui sont jetés, il demande à sa direction s’il peut les récupérer.
« Ma direction m’a toujours appuyé dans mes actions. Depuis, je récupère généralement les fleurs le mardi et le vendredi matin et en fonction du nombre que j’ai, je mets à disposition les bouquets dans les cimetières de Lens et dans le cimetière de Calonne à Liévin. Si j’ai vraiment beaucoup, je vais en distribuer dans les Ehpad du coin aussi. »
Au départ, « les gens ne me connaissaient pas et se méfiaient un peu. Maintenant c’est bon ils ont pris l’habitude. Les gardiens aussi qui gardent précieusement les seaux. » Mais surtout, l’initiative fait le tour des réseaux sociaux et Jordan Lourdel se retrouve même à la télé. Tant et si bien qu’il reçoit des coups de téléphone de personnes « dont des proches sont enterrés ici. Ces personnes n’habitent pas ou plus à Lens. Alors ils me disent qui je dois chercher et je mets des fleurs. » Toujours avec la complicité des gardiens. « Fleurir les tombes, c’est quelque chose d’universel, ou du moins tout le monde peut être concerné. »
Depuis huit ans, Jordan Lourdel aide « tous ceux qui en ont besoin ». Cette année encore, une nouvelle idée, aperçue en Italie. « J’ai vu passer ça, découper des dos de maillots de foot et les mettre sur des blouses d’hôpitaux pour que les enfants hospitalisés puissent repartir avec. J’ai trouvé ça super, alors j’ai fait un appel aux dons. Je pensais en récupérer quelques dizaines. On a en reçu 3 000 ! Avec mon épouse, qui m’aide pour l’association, on a dû faire appel à des couturières », sourit, sans un peu de fierté, le Lensois.
On pourrait citer d’autres actions : relier les deux Louvre à pied, rouler 140 km en trottinette, tirer un pick-up avec sa barbe…
La question qui trotte dans la tête c’est « pourquoi autant ? Pourquoi tout le temps ? » Pour Jordan Lourdel, la réponse est évidente : parce que c’est la chose à faire. « On ne peut pas aider tout le monde, mais tout le monde peut aider quelqu’un. Cette phrase c’est ce qui me guide. On ne prend plus le temps de regarder quelqu’un dans les yeux pour savoir s’il va bien. Si on prenait un peu plus de temps pour les autres, le monde irait sans doute un peu mieux », préconise-t-il, plein de sagesse.
Eglantine Puel