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Entre le 9 et le 10 avril dernier, la rupture d’une digue d’un bassin de décantation de la sucrerie Tereos d’Escaudœuvres dans le Nord entraînait le déversement de volumes importants d’eau de lavage de betteraves dans la commune voisine de Thun-Saint-Martin. L’eau se serait ainsi écoulée dans les parcelles situées à proximité et dans un ruisseau (la Râperie) qui se déverse dans l’Escaut. “Les équipes Tereos d’Escaudœuvres ont été alertées par un riverain se plaignant d’une odeur inhabituelle et de la présence d’une eau de couleur noirâtre dans le ruisseau traversant son jardin“, explique un communiqué du groupe sucrier.
Malgré l’intervention rapide d’un prestataire spécialisé, dixit Tereos, le bassin d’une capacité de 100 000 m3, s’est entièrement vidé dans la soirée. L’incident a causé l’inondation de parcelles agricoles avoisinantes. Des jardins, garages et maisons situés à proximité ont été également touchés. “Tereos s’est mobilisée en lien étroit avec les autorités locales françaises pour accompagner les quelques riverains affectés et les quatre agriculteurs dont le terrain a été inondé“, a assuré l’entreprise. Mais c’est du côté des milieux aquatiques que les inquiétudes se portent rapidement.
“L’eau qui s’est écoulée a servi au lavage de betteraves. Cette eau contient donc des matières organiques d’origine végétale“, indique Tereos assurant avoir “immédiatement mis en œuvre les actions nécessaires pour répondre à l’urgence de la situation et a d’emblée alerté les autorités compétentes françaises en évoquant le point spécifique de l’Escaut.”
“En se déversant dans le milieu naturel, ces eaux de lavage ont rapidement saturé le milieu aquatique, constate l’Office français de la biodiversité (sous l’égide des ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique), qui est intervenu sur place. La vague d’eau contaminée a par ailleurs remonté tous les ruisseaux situés en amont du bassin de décantation sur plusieurs centaines de mètres.”
Depuis, des quantités “extrêmement importantes de poissons morts”, selon Florence Van Niewenborg, responsable développement de la Fédération du Nord pour la pêche et la protection du milieu aquatique, sont retrouvées sur les berges de l’Escaut, du Cambrésis jusqu’en Belgique, à plus de 30 kilomètres de la sucrerie . “Il s’agit d’une pollution organique d’une ampleur inédite, poursuit Florence Van Niewenborg. Elle touche un grand nombre d’espèces (carpe, anguille, brochet…) malgré la mise en place de barrages pour limiter sa propagation.” Il ne s’agit pas là d’une pollution d’origine chimique, les matières organiques se retrouvant dans l’eau (résidus de betteraves) sont rapidement dégradées par des bactéries qui consomment l’oxygène dissout, souligne l’Office français de la biodiversité. “En surabondance, la dégradation de ces matières organiques provoque une consommation excessive d’oxygène dans l’eau et ainsi asphyxie tous les organismes vivants à proximité. Cette dégradation des matières organiques produit, de surcroît, des substances comme l’ammoniac et les nitrites, très toxiques pour les poissons et toute la faune aquatique.”
Les équipes de Tereos affirment s’être “engagées sur le terrain en lien avec les Voies navigables de France (VNF), les équipes municipales et les associations pour participer au nettoyage des cours d’eau. Une opération d’installation d’aérateurs a ainsi été mise en place à certains endroits de l’Escaut.”
De son côté, la fédération de pêche a lancé un appel à témoin sur Facebook et continue de recevoir photos et vidéos de cette pollution. Ses agents de surveillance poursuivent également leurs opérations de relevés (mesures de la température et des taux d’oxygène de l’eau) avec des résultats peu encourageants. “La situation est critique“, déplore Florence Van Niewenborg. L’Office français de la biodiversité a aussi réalisé “des prélèvements d’eau à des fins d’analyse”, ainsi que “des mesures physico- chimiques de l’eau des rivières. Les premiers résultats indiquent que les cours d’eau ont reçu une quantité très importante de matière organique susceptible d’altérer gravement la vie aquatique, des données consolidées seront disponibles dans un deuxième temps.”
Une enquête judiciaire relative à des faits de pollution des eaux superficielles a été ouverte par les inspecteurs de l’environnement sous l’autorité du procureur de la République de Cambrai. Tereos indique avoir “engagé un programme pluriannuel de rénovation des bassins du site d’Escaudœuvres, représentant un montant de 2,5 millions d’euros ces quatre dernières années” et estime qu’à ce stade, “il est encore trop tôt pour établir de quelconques liens de causalité. Tereos, en tant qu’entreprise citoyenne, assumera sa responsabilité si elle venait à être établie.“
L’Office français de la biodiversité rappelle que le fait de déverser des substances quelconques susceptibles de nuire à la faune ou à la flore dans les eaux superficielles constitue un délit pénal susceptible de condamnation pouvant atteindre deux ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.
Simon Playoult