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« En 2017, nous étions encore au fond du gouffre. » 2017, année de la création du collectif de la Fleur française par Hélène Taquet, agricultrice et alors floricultrice dans le Cambrésis (lire aussi notre édition du 30 octobre 2020). Pour valoriser les producteurs français, elle crée un annuaire répertoriant les professionnels de la fleur coupée française : horticulteurs, fleuristes et grossistes qui utilisent au moins 50 % de ces fleurs bleu-blanc-rouge. Un quota que d’aucuns, plus radicaux, aimeraient voir grimper.
Depuis 2017, la prise de conscience de la nécessité de consommer local n’a fait que croître et se traduit de plus en plus dans les assiettes. Dans les vases, c’est une autre affaire, notamment parce que l’impact sur la santé humaine apparaît moins direct. Et pourtant. Utilisations de phytos, bilan carbone du transport et coût social de certaines fermes florales peu scrupuleuses sont loin d’être neutres. Dans ces conditions, pourquoi ne pas se contenter des fleurs produites en France ? « Parce que la filière n’y survivrait pas », prévient Pascal Mutel. Le fleuriste parisien est aussi président de l’École nationale des fleuristes (ENF) et de l’Union nationale des fleuristes (UNF). Pour lui, le calcul est simple : « Les fleurs produites en France représentent 15 % du marché français. » Une production insuffisante pour alimenter un marché de la fleur coupée qui, s’il se voit principalement concurrencé par le budget loisirs, tend à se stabiliser. « Après la forte hausse de consommation de fleurs pendant la période covid, nous retrouvons les niveaux de 2019 avec une répartition de 15 % des fleurs coupées destinées au marché du deuil, 20 % pour les fêtes florales (fête des mères ou des grands-mères, Saint-Valentin, 1er mai), 15 % pour les mariages, 30 % pour offrir (quand on est invité, en remerciement, pour un anniversaire…) et les derniers 20 % pour soi-même. »
Une consommation constante en quantité, avec un nombre de fleuristes en léger déclin de – 3 à – 4 % d’enseignes par an sur un total de 10 000 fleuristes sur le territoire national, dont 95 % sont des indépendants ou des franchisés. Dans ce contexte, les initiatives se multiplient pour favoriser la production locale, comme la création de “Fleurs d’ici”, qui se revendique comme « la première marque de fleurs éthiques, 100 % françaises ». Regroupant des dizaines de producteurs en France, la plateforme numérique permet de se faire livrer un bouquet d’ici et de maintenant. La marque rappelle que « jusqu’à 25 substances chimiques interdites peuvent être trouvées dans un bouquet de fleurs importées » et qu’en moyenne, « les fleurs sont coupées dix jours avant d’être livrées (contre 24 heures pour la production locale). » Elle est portée par la start-up Wetradelocal, qui a développé la plateforme “Fleurs d’ici pro” pour mettre en relation producteurs locaux et distributeurs.
De son côté, le collectif de la Fleur française a vu les acteurs locaux passer de quelques dizaines à plus de 600 aujourd’hui (465 adhérents directs auxquels il faut ajouter les 150 adhérents de la SICA de Hyères, le premier marché de fleurs coupées français, et quatrième mondial (300 000 tiges/semaine, ndlr) derrière les trois mastodontes hollandais (4 millions de tiges/jour pour le numéro un Alsmeer, ndlr)). Autre avancée pour sa fondatrice Hélène Taquet, la montée en puissance de modules dédiés aux fleurs coupées dans les programmes des centres de formation horticoles. « Les choses bougent vraiment », se réjouit celle qui a mis de côté la production florale pour se concentrer, outre la culture de céréales qu’elle poursuit sur son exploitation dans le Cambrésis, à la formation ou à l’écriture de livres. Elle envisage désormais de « faire le tour des chambres d’agriculture pour défendre un sujet trop peu connu. Avec 85 % des fleurs importées en France, nous avons un boulevard devant nous, or les instances sont trop peu conscientes de l’existence même du marché des fleurs coupées », regrette-t-elle.
Mais les consommateurs seraient-ils au rendez-vous si l’offre était plus grande ? Pas à en croire le président des fleuristes de France. « Lors de nos assises en octobre 2022, nous avions présenté une étude de l’Institut national de la consommation qui listait les critères de choix dans l’achat de fleurs coupées. En première place trônait le critère prix, puis la variété et la couleur. L’origine des fleurs n’arrivait qu’en 7e position », indique Pascal Mutel qui précise encore : « Seulement 6 % des personnes interrogées évoquaient spontanément l’origine. » Pour lui, l’éternel hiatus entre les belles intentions et le passage à l’acte.
Pour réduire cette distance, une nécessaire pédagogie. Expliquer comment poussent les fleurs, où et quand, ne serait pas du luxe. Des labels ou projets d’étiquetage ont vu ou verront bientôt le jour qui doivent permettre d’éclairer les acheteurs (lire ci-contre). Critères d’origine qui ne doivent pas suffire, estime le fleuriste en chef qui nuance l’idée de fleurs locales. « Si on ne veut que des fleurs françaises, alors on aura trois variétés : anémones, renoncules et pivoines qui représentent 80 % de la production française. Et on oublie les fleurs en hiver. Si on oublie les fleurs en hiver, on oublie la filière tout court. Oui il y a les fleurs françaises mais aussi les fleurs européennes (les Pays-Bas restent le premier producteur mondial : 56 %, ndlr), du Kenya et d’Éthiopie, de Colombie et d’Équateur. Et certaines fleurs cultivées à l’autre bout du monde peuvent être plus écoresponsables que d’autres qui le seraient au bout de la rue. » Pour celui qui pense volumes et continuité de l’approvisionnement, des labels et certifications existent depuis longtemps pour distinguer les fermes florales entre elles comme le label MPS, qui serait « attribué à 70 % des fleurs importées ».
Pascal Mutel affirme encore : « Aucun fleuriste ne refuserait de vendre des fleurs françaises, à condition qu’elles répondent aux critères de qualité et de prix du marché. C’est un problème de production. » Sa vision, basée sur un principe de productivisme, s’oppose à celle des chantres du circuit court et de la production raisonnée. Comment raisonnablement aligner les coûts de production français et africains ? Fleurs françaises et fleurs mondiales s’opposent, comme peuvent le faire les modèles agricoles intensif et raisonné.
Pour poursuivre dans la comparaison des cultures, nourricière et florale, il rappelle un principe de réalité à même de freiner le développement de la filière selon lui : les règles et les aides ne sont pas les mêmes. Et si c’est compliqué pour l’agriculture, que dire de la floriculture. « Ces producteurs ne sont pas concernés par la PAC et ne peuvent bénéficier d’aides, comme ils ne peuvent pas bénéficier de dérogations pour l’arrosage ou l’utilisation de phytos. J’ai en tête l’exemple d’un floriculteur qui avait un champ de tournesol qu’il ne pouvait traiter et, deux champs plus loin, celui, traité, d’un agriculteur. Le premier servait à confectionner des bouquets, le second avait une destination alimentaire… »
Un enjeu que la pression foncière vient achever d’essorer. « Une ferme florale, c’est 6 000 m2 en moyenne. Pas immense mais quand on sait que les deux principales régions historiquement productrices – la Côte d’Azur (et le Var en particulier) et la région parisienne (auxquelles s’ajoutent dans une moindre mesure la Bretagne et l’Anjou, ndlr) – sont aussi celles qui subissent la plus forte pression foncière… », n’a pas besoin de finir Pascal Mutel.
Valhor, l’interprofession des arbres, plantes et fleurs, depuis le producteur jusqu’au détaillant (52 000 entreprises, 186 000 emplois et un chiffre d’affaires cumulé de 15 milliards d’euros) défend une position plus en nuance. Jean-Marc Vasse, délégué général de Valhor, confirme l’impact de l’industrialisation de la culture florale aux Pays-Bas et, plus largement, de la mondialisation sur la filière des fleurs française dans son ensemble. Il observe toutefois un renouveau, des initiatives locales en circuits ultracourts dans lequel s’inscrit le collectif de la Fleur française. « Un effet levier favorable qui ne contrebalance pas l’érosion de la production nationale qui ne pèse que pour 15 % de la consommation. Mais une segmentation intéressante car elle draine de nouveaux producteurs et de nouveaux consommateurs, davantage concernés par les questions environnementales », observe le délégué général qui nuance encore : « Le même consommateur est capable de manger dans un étoilé et dans un fast-food, et parfois dans le même week-end : ce qui nous intéresse c’est la conjugaison des pratiques et de l’offre. »
Pour Jean-Marc Vasse, « toutes les initiatives en faveur de la production locale, voire hyperlocale, doivent être encouragées car en plus de renouveler l’offre, elles sont bonnes pour l’image des fleurs coupées et pour le métier en général. Exactement comme en agriculture, avec le renouveau générationnel et des pratiques plus vertueuses », compare-t-il.
Justine Demade Pellorce