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“La France ne fait pas assez aujourd’hui pour sauver notre agriculture”

24-02-2020

Actualité

Présent au Salon de l’agriculture à la rencontre des professionnels, le président des Hauts-de-France Xavier Bertrand a répondu à nos questions sur la politique agricole régionale.

Xavier Bertrand, président de la Région Hauts-de-France. © Aldo Soares

Quel bilan faites-vous de l’aide régionale apportée à l’élevage et comment va se poursuivre l’aide à la modernisation dans un contexte incertain (Brexit, réglementation, agribashing, prix qui plafonnent…) ?

Les aides mises en place en région ont bénéficié à près de 3 200 éleveurs. Nous avons réagi à la crise du lait, à l’occasion de la sécheresse mais aussi en janvier 2020 pour la filière lapin afin de financer la vaccination préventive (contre le VHD, ndlr). Certains nous reprochent ces aides d’urgence, je les assume totalement. On joue un rôle de pompier mais on a aussi un rôle d’architecte : on travaille avec les filières amont et aval car il faut un partage de la valeur qui soit équitable. C’est la raison pour laquelle la Région a financé à hauteur de 1 million d’euros le nouvel abattoir à Fruges dans le Pas-de-Calais. J’estime que cela fait aussi partie de notre rôle.

Au-delà de l’élevage, depuis 2016, sur 26 000 agriculteurs présents dans la région, nous avons financé 13 000 dossiers d’aides. Quasiment un agriculteur sur deux a donc été soutenu d’une façon ou d’une autre par le conseil régional. J’ai le sentiment que ce n’est pas assez. Notre action ne sera pas suffisamment efficace tant qu’on n’aura pas fait une remise à plat sur qui fait quoi, entre l’Europe avec la PAC, entre l’État et les Régions. Tant que nous n’aurons pas cette clarification, nous continuerons à avoir des responsables politiques qui vont se presser au Salon de l’agriculture ; les agriculteurs sont sensibles à cette présence tant ils ont besoin d’être soutenus. Mais ce n’est pas suffisant. La France ne fait pas assez aujourd’hui pour sauver notre agriculture.

Si nous continuons à intervenir de façon non coordonnée, le nombre d’agriculteurs va continuer à diminuer chaque année et nombreux sont ceux qui vont continuer à vivre avec des salaires indécents.

Je suis attaché aux paysans. Ce qu’ils produisent aujourd’hui permet de nous nourrir sainement. Si demain ils disparaissent, je ferai beaucoup moins confiance à des produits fabriqués à l’étranger. Et à ceux qui se disent qu’avoir moins de paysans ne serait pas un drame, je réponds que nous ne garderons pas l’industrie agroalimentaire si on a moins de paysans et moins de terre cultivée.

Comment assurer une cohérence dans le soutien à l’agriculture régionale entre le Nord-Pas de Calais et la Picardie ?

Nous sommes en train de faire disparaître ces différences, elles ne peuvent plus se justifier. Les deux appels à projets du Feader (Fonds européen agricole pour le développement rural) ont été harmonisés, notamment sur les aides à la modernisation. Nous ferons un bilan après la clôture de l’appel à projets, en septembre. Ce sera la première expérience qui va servir de base pour la prochaine programmation Feader. Il y aura donc un seul document régional de programmation et un appel à projets unique. Enfin !

Avec la nouvelle PAC, il y aura une nouvelle répartition des rôles entre État et Régions : le premier ministre a notamment déclaré que l’État allait reprendre la main sur le 2nd pilier. Quelle est votre réaction vis-à-vis de ce changement ?

Les Régions récupéreront la gestion et l’instruction de l’ensemble des mesures d’aides non surfaciques du 2nd pilier et les mesures surfaciques seront gérées par l’État. Donc la dotation Jeunes agriculteurs et les mesures de modernisation seront totalement instruites et gérées par les Régions. Enfin ! Parce qu’aujourd’hui, sur le Feader, il y a deux pilotes, c’est du grand n’importe quoi. Là au moins, ce sera clair. Je pense que c’est cette solution qui convient le plus à profession.

Xavier Bertrand, sur le stand des Hauts-de-France lors du Salon de l’agriculture 2019. © DR

Comme beaucoup de secteurs, l’agriculture peine à recruter. Comment la Région peut-elle soutenir la profession à ce niveau ?

Normalement, le retour à l’emploi, c’est le boulot de l’État ! Ce que je mesure, c’est que l’agriculture est le premier employeur dans 22 % des communes de la région mais 52 % des recrutements sont jugés difficiles. Ça fait partie des sujets sur lesquels on met l’accent.

Nous investissons beaucoup dans l’enseignement agricole, avec 85 millions d’euros pour les 45 lycées agricoles de la région ; c’est l’un des plans les plus ambitieux de France.

Nous mettons également en place un hub de l’emploi agricole, qui démarrera en mars. Ce sera un lieu d’échanges, de partage et de coordination de l’ensemble des acteurs (la profession, l’État, les organismes de formation et la Région). Pour rappel, on a aussi mis en place des outils comme Proch’emploi, proch’formation , proch’orientation… qui apportent des solutions très concrètes.

Quelle est votre vision de la politique agricole menée au niveau national ?

Pour l’instant, je ne vois pas la réactivité nécessaire. Sur la pomme de terre par exemple, parce qu’il y a une décision de l’État d’interdire le CIPC (antigerminatif, ndlr), on sait pertinemment qu’il va falloir faire un plan de mise à niveau. Pour la partie amont de la filière, il s’élève à plus de 340 millions d’euros. Et l’État aujourd’hui n’a rien annoncé, rien prévu. Je présume que le ministère de l’Agriculture est surveillé de près à la fois par le ministère de l’Écologie et celui des Finances, mais ce n’est pas sérieux. Il faut faire un choix très clair. Si on décide que l’agriculture est prioritaire, il faut que le ministère ait les moyens pour répondre aux crises, les anticiper et faire tout ce travail.

Sur les ZNT (zones de non traitement, ndlr.), quels sont les moyens de transitions, de substitution? Où est la compensation? Le gouvernement fait des annonces dans un effet de communication, mais derrière il laisse nos paysans désemparés sans solutions. Il faut arrêter cette politique de communication en permanence.

Vous avez annoncé un plan pour l’agroécologie. Pouvez-vous en préciser les contours ?

Là aussi, ne serait-ce pas à l’État de mettre en place un plan comme celui-là ? Si on décidait qui fait quoi, ou si on décidait ensemble, ce serait plus efficace pour aider nos paysans.

Pour notre plan agroécologie, on ne travaille pas tout seul ; nous souhaitons une mobilisation collective avec l’État, la Région, la chambre d’agriculture, les structures d’accompagnement des agriculteurs, comme les centres de gestion notamment, et les agriculteurs eux-mêmes. Nous devons accompagner la transformation massive des pratiques et des modes de production sur le terrain. J’ai conscience que la Région devra dégager des moyens budgétaires pour aider les agriculteurs sur la biodiversité, pour piloter la transition agroécologique, pour valoriser l’engagement agroécologique, et pour donner aux agriculteurs les moyens de prendre ce virage.

Un guichet unique du conseil en agroécologie sera mis en place, ainsi que des diagnostics “agroécologie” systématiques pour les exploitations, et un plan de formation global en agroécologie des conseillers agricoles de la région. Nous allons également mettre en place des outils d’aide à la décision et accompagner la régionalisation de la démarche lait bas carbone (mise en place par le Criel) afin que les éleveurs soient rémunérés via le système de rachat de crédit carbone. Les commandes publiques devront prendre en compte les productions agroécologiques.

Aujourd’hui, ce sont près de 3,7 millions d’euros de crédits régionaux qui sont consacrés chaque année à l’agroécologie. Et depuis le début de la programmation Feader, 77 millions d’euros, tout financeurs confondus, ont été alloués, dont 8 millions de crédits régionaux. J’ai conscience qu’il faudra faire davantage !

Si vous accédez à la présidence de la République en 2022, quelles seront vos priorités au niveau agricole ?

Je suis président de Région et je me place aujourd’hui dans cette seule perspective. Je veux apporter des solutions concrètes aux problèmes de nos concitoyens, de nos paysans. Ils savent exactement ce que je fais depuis des années, et je continuerai inlassablement à les défendre.

Propos recueillis Par Laura Béheulière

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