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Si vous passez à Cavron-Saint-Martin (62), dans le Montreuillois, tendez l’oreille. Il se peut que d’une cuisine s’échappent des airs de Tino Rossi… “Je suis d’une famille de chanteurs…”, sourit Jean-Marie Catteau, avant d’entonner un couplet en même temps que le transistor.
Le 24 février dernier, cet ancien agriculteur fêtait ses 100 ans. Pour l’occasion, il a poussé la chansonnette devant une cinquantaine de membres de sa famille venus célébrer ce cap avec lui, il y a quinze jours, au Manoir de la Canche, à Huby-Saint-Leu (62). Quatre enfants, six petits-enfants, cinq arrière-petits-enfants… Ça fait vite du monde. “Il y avait de l’ambiance ! Toutes les chansons de mon temps sont passées…”
S’il a vécu toute sa vie à Cavron, son histoire commence à 100 kilomètres de là, à La Chapelle-d’Armentières (59) “dans une famille de petits cultivateurs. C’est à cause de la guerre que je suis arrivé ici.” En 1918, les Allemands gazent sa future ville natale. “Je n’étais pas encore né, je suis de 1922… Ma famille a dû évacuer, et, je ne sais pas comment, ils sont arrivés à Cavron-Saint-Martin.” Ils y restent trois semaines, réfugiés chez des habitants, puis c’est la fin de la guerre, et le retour dans le Nord.
Ces trois semaines nouent un lien entre la famille Catteau et le Montreuillois. “Mes parents sont toujours restés en relation avec les gens qui les avaient hébergés. En 1933, mon grand-père, qui avait une voiture, m’a proposé de venir les rencontrer. J’avais 11 ans. Il m’a dit : “Tu verras, c’est un pays où il y a des côtes, ça monte, ça descend…” C’était un samedi, je me souviens qu’il y avait la ducasse. On a mangé de la tarte pendant les trois jours !”
De visite en visite, il trouve une nouvelle raison de se rendre à Cavron. Elle s’appelle Denise. “Elle est là…”, dit-il avec un doux geste de la main vers le cadre photo où elle sourit sur le buffet. “Nous sommes restés mariés 69 ans, et jamais un nuage n’est venu assombrir notre amour… Excusez-moi.” Ses yeux s’embuent. Il se reprend pour poursuivre son récit.
Il la rencontre durant ses allers-retours entre le Nord et le Pas-de-Calais. “Armentières était une région textile, je ramenais souvent des draps à Cavron. En allant à Hesdin, je l’ai croisée… L’étincelle s’est faite. Je lui ai demandé si elle avait quelqu’un…”
Toutes les six semaines, ils font l’aller-retour, chacun leur tour. Un périple. “Je prenais le vélo jusqu’à la gare d’Armentières, puis le train jusqu’à Saint-Omer, puis le bus pour La Loge, où elle venait me chercher en voiture à cheval.”
“J’ai envoyé cette lettre en janvier 1943”, poursuit Jean-Marie en sortant délicatement une feuille jaunie de son enveloppe, marquée d’une écriture fine et régulière. Sa demande en mariage, adressée aux parents de Denise. Les fiançailles dureront… cinq ans. “En juillet 1943, j’ai été envoyé dans une mine de sel à Thuringe, au centre de l’Allemagne, par le Service de travail obligatoire (STO). J’étais à la ligne de démarcation entre Russes et Allemands. Dans la mine, j’ai occupé tous les postes, et j’ai fini sur la locomotive. À l’époque, j’écrivais quatre lettres par semaine : une aux parents, une aux amis et deux à ma fiancée.” La correspondance se trouve aujourd’hui dans un carton de son garage.
Il reste en bons termes avec les Allemands qu’il côtoie là-bas. “Ce n’était pas des SS, et ils ne parlaient pas de politique. C’était des cultivateurs, comme nous, obligés d’aller travailler à la mine… Il m’est arrivé d’aller ramasser les pommes de terre ou faire la moisson avec eux, pour gagner un petit quelque chose. Après la guerre, on s’est envoyé nos vœux pendant 77 ans… Pour mes 100 ans, leurs enfants m’ont même envoyé un paquet”, relate-t-il, en se levant pour attraper un colis qui contient une boîte à biscuit en métal rouge.
À son retour d’Allemagne, il se marie en 1948, et cherche une exploitation. “J’ai géré une ferme à côté de chez moi pendant six ans. Puis, en 1954, j’ai repris une ferme d’une vingtaine d’hectares à Fontaine-lès-Croisilles (62), entre Arras et Cambrai. Puis en 1968, je suis venu reprendre avec mon beau-frère la ferme de ses parents à Cavron-Saint-Martin. On a construit une ferme neuve sur une pâture, il n’y avait rien !”
Sur leurs 80 hectares, ils ont jusqu’à 45 vaches. Au bout de deux ans, ils s’équipent d’une salle de traite en 2 x 4, et construisent un hangar “tout en ciment, le premier de la région sans bois ni fer !”
Jean-Marie transmet sa ferme à son fils Dominique, qui la transmet lui-même à son fils Thomas, qui troque notamment les vaches contre 50 ares de fraises.
“Je vais régulièrement à la ferme, voir mon petit-fils travailler”, raconte-t-il, reconnaissant que les techniques d’aujourd’hui ne sont “pas comparables” avec celles qu’il a connues. “Nous faisions tout à la main ! On ramassait les pommes de terre dans des sacs de 50 kg. Aujourd’hui, récolter des pommes de terre, c’est du gigantisme !”
Lucie De Gusseme
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