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À quelques pas de l’église de Wismes (62), les 165 pommiers de 90 variétés plantés par Jean-Luc Hochart sont photogéniques. Au fil des saisons, ils se teintent de différents coloris. Certains sont pleureurs, d’autres élancés. Les feuillages et les fruits varient d’un arbre à l’autre. L’âne et la mule complètent la carte postale, tout en entretenant le verger en échange de quelques pommes et d’herbe fraîche.
Appartenant aux descendants du baron de Wismes, cette parcelle fait partie des terrains sur lesquels Jean-Luc Hochart plante inlassablement ses précieux pommiers.
Pour Jean-Luc Hochart, cette passion remonte à l’adolescence alors qu’il finance ses études contre des travaux d’élagage réalisés à grands coups de tronçonneuse. « Je coupais, coupais, coupais. À cette allure, il n’y aura plus d’arbre dans le village, se dit-il avant de prendre une décision. Quand j’abats un arbre, j’en plante dix. »
Son grand-père l’oriente vers un bûcheron, un distillateur – le dernier du Pas-de-Calais – et un pépiniériste. Il s’initie auprès d’eux, apprend à « fabriquer un arbre : il faut semer un pépin et le greffer sur des hautes tiges » et ne s’arrête plus. « Tous nos fruits sont issus du hasard. Seule la greffe permet de conserver les caractéristiques et la génétique d’une variété et la multiplier », explique-t-il.
Ce fils de paysan se dit chanceux d’avoir pu « aller à l’école parce qu’il n’y avait pas assez de place pour travailler » sur la ferme. Il poursuit jusqu’en faculté d’histoire-géographie, et suit « des cours de géologie en douce ».
Lorsqu’il enseigne l’histoire aux collégiens, il apprécie de parler d’alimentation, tant au paléolithique qu’au Moyen Âge. « Ce sont les moines qui nous ont appris la sélection des variétés pour consommer toute l’année, les techniques de conservation : sucre, froid, sel, miel, vinaigre, et la greffe », précise Jean-Luc Hochart. Sa passion germe au fil des greffes qu’il réalise. Au début des années 1980, le professeur d’histoire consacre ses vacances scolaires à repérer les variétés de pommiers, principalement. « Il y en avait une centaine, je voulais les garder. Je les plantais là où je pouvais », se souvient-il. Il conserve ces variétés en collectionneur qu’il est, sur 3,5 hectares qu’il a acquis ou loués. Il compte aujourd’hui un millier de pommiers, de 250 variétés différentes, « plantés à droite, à gauche ».
Ce passionné n’a pas seulement planté des pommiers dans ses parcelles. Avec la casquette de maire de Wismes qu’il a portée pendant 37 ans, il en a essaimé des centaines dans le village.
« Dès qu’un terrain était disponible, je plantais des fruitiers, sourit-il, derrière le terrain de foot, à l’école, sur les bas-côtés… Les gens allaient se servir. Des particuliers ont mordu à l’hameçon, ça a fait boule de neige. »
En 1951, la commune comptait 2 000 pommiers. Vingt ans plus tard, il n’y en avait plus que onze. Aujourd’hui, le village en compte de nouveau plus de 2000, soit quatre par habitant.
Jean-Luc Hochart partage son expérience avec le Centre régional de ressources génétiques de Villeneuve d’Ascq, aiguillant ces spécialistes vers telle ou telle variété qu’il a repérée. Car il a un don pour reconnaître les variétés. « Je confirme avec un pendule, comme Tournesol. Mais ça, c’est une autre histoire », plaisante-t-il. Il aime en découvrir de nouvelles. « C’est mon petit trésor, confie-t-il. Je suis attiré par les formes des pommes, leurs avantages culinaires, les couleurs, l’histoire. »
Une variété porte même son nom, la pomme Hochart, plantée dans l’une des pâtures de ses ancêtres et dispersée dans les villages alentour : Campagne-lès-Boulonnais, Verchocq ou encore Thiembronne.
Son côté historien prend la forme d’ethnobotaniste. « D’un village à l’autre, les fruits peuvent avoir trois ou quatre noms différents, remarque-t-il. Chaque arbre a son histoire. ». Comme la Transparente de Croncels – l’une de ses préférées à déguster au couteau avec la reinette étoilée, la reinette blanche et la simplement nommée “belle et bonne”. « C’est le nom d’un hameau dans la banlieue de Troyes, où Charles Baltet était pépiniériste, explique-t-il. Cette variété locale, issue de semis au hasard, a été diffusée dans le courant du XIXe siècle et est maintenant connue dans toute la France ». Il admire également la collection de pommes référencées et cataloguées par les Anglais depuis des siècles. « En 14-18, ils ont amené des greffons de chez eux en France », précise-t-il.
« Pour être sûr d’avoir des pommes », il mixe les variétés à floraisons différentes, de mars à juin. Le gel de printemps ne lui fait ainsi plus peur. D’une année sur l’autre, certains arbres sont bondés, d’autres sont vides, mais il ne manque jamais de fruits. En 2020, il a ainsi récolté 25 tonnes de pommes, contre 15 l’année suivante. Il fabrique du cidre, du jus de pomme, en mange, en troque et laisse l’âne et la mule se régaler du reste. L’un de ses fils aussi a attrapé le virus, développant la pépinière spécialisée en variétés anciennes de fruitiers initiée par son père.
Louise Tesse
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