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« Je m’éclate dans mon métier. » Si la jeune femme semble cultiver la pudeur, une chose saute aux yeux : elle est épanouie. Parce qu’elle ne fait jamais les choses à moitié. Voilà pourquoi, à seulement 33 ans, Marie Delaval expérimente déjà sa deuxième vie professionnelle.
Née dans l’Avesnois et expatriée un temps dans le Sud, Marie a toujours voulu faire du commerce. « Ça me plaisait bien, alors j’ai suivi un BEP vente, puisque c’était le parcours logique. » Sauf que la Nordiste vise cheffe de rayon, dans la grande distribution. Ou rien. Ce premier diplôme, comme le second – un BTS MUC (management des unités commerciales) – ne suffit pas. « J’ai alors suivi un master en marketing et stratégie d’entreprise en alternance et je suis entrée chez Décathlon. »
Plusieurs rayons et magasins plus tard, la sportive cherche un nouveau terrain de jeu. Ce sera Leclerc dont elle gérera, dans quatre magasins, tous les rayons sauf l’alimentaire : « Ça me faisait peur, trop de contraintes », se souvient-elle. Et là, qu’elle vende des accessoires automobiles, de la vaisselle ou du textile, elle s’éclate. « J’adore mes produits et je fais tout pour les rendre beaux », formule-t-elle. Vitry-le-François, Marseille, Arles et Saint-Amand-les-Eaux voient tour à tour débarquer cette jeune cheffe de rayon.
Une dizaine d’années dans ce métier et la crise sanitaire lui tombe dessus. « Là, c’est devenu très compliqué : j’ai parfois dû combler dix absences à moi seule. » La fatigue se mêle à une envie qui s’étiole, mais Marie Delaval ne sait pas faire sans envie véritable. Alors elle lâche ses rayons, et la grande distribution. « J’en étais dégoûtée », balance-t-elle.
Nous sommes mi-avril 2021 et pour la première fois de sa vie, la récente trentenaire ne sait pas quoi faire. Elle songe bien à se relancer dans le marketing mais il va falloir payer le loyer. Et puis, en soirée avec des amis, elle lâche à un copain sur le ton de la blague : « Je vais finir par aller cueillir les fraises chez ton frère. » Le frère en question a monté sa ferme en 2008, à Coutiches (59).
Deux semaines plus tard, Marie débarque pour les fraises. Elle n’en partira pas. « Ça a duré quelques mois comme ça : j’étais passée de cadre, titulaire d’un master, à cueilleuse de fraises. » Mais pas n’importe où, car Marie trouve en Arnaud Lespagnol une espèce d’alter ego d’inventivité. « Un copain restaurateur lui a un jour demandé en rigolant de cultiver du wasabi pour lui, une racine hyper difficile à travailler. Eh bien il l’a fait », salue la jeune femme qui voit dans cette « blague – réaction » un reflet de sa propre énergie. Et c’est naturellement que le chef d’exploitation propose à Marie de développer la vente auprès des particuliers.
Devant cette page à écrire vierge, Marie imagine, apprend, innove, écoute les histoires. À en devenir parfois, à sa grande gêne, le visage de l’entreprise. « Il m’est déjà arrivé d’entendre, alors que j’étais sur un marché, un ou une cliente lancer “Tiens, c’est Marie de la Ferme d’Arnaud”, alors même qu’Arnaud était à mes côtés », s’excuse presque la jeune femme.
Elle opte pour la création d’un site internet – encore une fois elle apprend sur le tas – et propulse la Ferme d’Arnaud dans le XXIe siècle via sa boutique en ligne (elle, parle d’e boutique). L’idée avait été lancée en septembre 2021, la boutique est opérationnelle fin décembre. À peine quatre petits mois pour passer de l’idée à la réalité : pas de temps à perdre.
À l’origine, la Ferme d’Arnaud, ce sont surtout des variétés rares et anciennes : les panais, topinambours, salsifis, les crosnes, persils racine ou poires de terre… Et bien sûr les fraises, sans lesquelles Marie ne serait pas là. « Puis quand on a ouvert la boutique en ligne, les clients nous ont demandé des variétés plus classiques pour compléter leurs paniers, alors nous nous sommes mis à faire des tomates, des choux, des courgettes, des salades… », égraine Marie sans lister la centaine de produits ajoutés au catalogue qui avoisine aujourd’hui les 170 variétés. « Par contre, les bananes ça, on ne fait toujours pas », prévient-elle, dépitée par la méconnaissance de beaucoup de consommateurs. C’est aussi pour ça qu’elle se rend régulièrement dans les écoles ou les lycées hôteliers, et qu’elle accueille des groupes sur la ferme.
Après moins d’un an d’existence, la boutique en ligne possède une trentaine de points relais à moins de 40 kilomètres de la ferme : des petits commerçants, boulangeries ou fleuristes. « Ça commence à prendre », avance Marie qui ne compte, évidemment, pas s’en satisfaire.
Elle ambitionne de développer le réseau de restaurateurs qui pourraient travailler les produits qui sortent de terre à la Ferme d’Arnaud. Pour les plus farfelus, les hélianthis (cousins africains du topinambour) et autres scorsonères (sortes de salsifis noirs), Marie imagine déployer le nombre de points relais à travers tout le Nord-Pas de Calais. Histoire de trouver terrain de jeu à la taille de ses ambitions.
Justine Demade Pellorce
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