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« Un projet un peu farfelu… » C’est le mot qui vient à Émilie Hecquet, agricultrice à la ferme de la Cannanée à Linzeux (62), quand elle repense à la genèse de son projet de pâtes fermières entamé en 2018. Installée en 2012 sur la ferme familiale – bio depuis 1976 –, la jeune agricultrice ne s’ennuie pas. Elle fait tourner seule cette exploitation de 35 hectares, dont 25 de pâtures, avec une quarantaine de bovins allaitants, 40 chèvres, et une dizaine d’hectares de culture.
Les semaines sont denses pour la benjamine de cette fratrie, au grand frère prof de cuisine et à la grande sœur orthophoniste. « Moi je voulais être dehors, et ne pas avoir de patron ! », résume-t-elle dans un sourire, en plissant ses grands yeux bleus.
En 2018, elle est en quête d’une nouvelle diversification. De préférence quelque chose « à partir d’une production déjà présente sur la ferme… ». Elle entend parler des pâtes fermières, une spécialité plutôt cantonnée au sud de la France, et qui nécessite du blé tendre.
« On a tendance à penser que pour les pâtes, il faut du blé dur, mais c’est le contraire ! » Ptit Quinquin, Bon moulin ou encore Blanc des Flandres : trois des variétés désormais semées sur ses quatre hectares le sont en blé tendre qui alimente sa production. Les grains de blé sont transformés en farine dans son atelier, sur son propre moulin.
Fin septembre de cette année-là, sur le site Le Bon Coin, elle trouve une machine pour fabriquer les pâtes d’occasion, à 8 000 €. « Elle provenait d’un agriculteur du sud qui avait acheté une machine plus grosse, se souvient Émilie Hecquet. C’était un investissement ! Je n’étais pas tout à fait sûre de mon coup… Il fallait que je fasse des tests. »
Emploi du temps chargé oblige, elle fait l’aller-retour dans le sud, en voiture, sur deux jours, avec sa propre farine. Là-bas, elle fait sa première fournée. « L’agriculteur, très sympa, a fait passer mes pâtes au séchoir chez lui, avant de me les renvoyer par la Poste pour que je les goûte. » Le test est convaincant.
La machine a une capacité de 12 kg de farine au total, 6 kg au pétrissage et 6 kg en extrusion (qui sortent de la machine). Elle est accompagnée d’un moule en bronze. « Ce type de moule a une cadence de production moins élevée, mais il donne aux pâtes un aspect rugueux qui leur permet de bien accrocher les sauces », explique l’experte.
Elle en rachète sept, chacun donnant à la pâte une forme différente. Tagliatelles, torsades, fusillis, conchiglionis (en forme de coquille), radiatoris (et leur petite crête)… « Le pire, ce sont les tagliatelles ! Il faut que ça sorte sans qu’elles se collent… Il faut souvent le faire à deux ! »
Heureusement pour elle, la productrice reçoit un coup de main des membres des Amap des Weppes et du Potager (à Amiens). Enfin, ça, c’était avant la Covid-19. Maintenant, il faut se débrouiller sans cette main-d’œuvre bienvenue. « L’ensachage est une grosse partie du travail. Je préfère donc travailler en vrac. Aujourd’hui, mon secret pour y arriver, c’est une organisation au cordeau. Mon point fort sur la ferme est la diversité des productions : même si je me plante sur une chose, je peux me rattraper sur le reste. Le point faible est qu’il faut être polyvalente, et que c’est difficile de se faire remplacer… »
Dans la recette de base, rien d’autre que de la farine et de l’eau. Ainsi que quelques ingrédients qu’elle ajoute pour arriver à une gamme de pâtes comptant une vingtaine d’arômes. Un peu de poudre de betterave pour colorer sans donner de goût, une pincée de spiruline, une touche d’ail pour relever le goût…
Les pâtes classiques sont vendues en Amap à 5,50 €/kg, les aromatisées à 8,50 €/kg. Émilie Hecquet écoule aussi une partie de sa production en direct pour certaines commandes de gros volumes – comme ces étudiants lillois qui n’hésitent pas à en commander plusieurs dizaines de kilos d’un coup – ainsi que via le nouveau magasin de producteurs La Grange du coin à Longuenesse. « Le point positif des pâtes est que c’est un produit sec à longue conservation, conclut-elle. Le défaut : il faut en faire beaucoup pour gagner sa croûte. Même à 5,50 €/kg ! »
Lucie De Gusseme