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« Je ne sais pas quoi vous dire. » Ce producteur de foie gras du Pas-de-Calais s’avoue démuni au bout du fil. Installé depuis 20 ans, c’est la première fois qu’il traverse une telle crise. Que dire, en effet, quand on ne réalise plus que 5 % de sa production habituelle ?
De son côté, depuis sa ferme à Comines (59), le couple Rogeau refuse de baisser les bras. Sabine et Benjamin subissent les conséquences de l’influenza aviaire de plein fouet. Ils n’ont plus reçu un canard depuis le mois de mars. Là où cancanent habituellement 200 à 300 canards en plein air, c’est le calme plat. « On espérait en recevoir fin août, ça n’est pas arrivé. »
Comment en est-on arrivé là ? Après avoir traversé l’épisode du Covid, les artisans vivent la pire crise liée à la grippe aviaire. Entre l’automne 2021 et le printemps 2022, plus de 20 millions de volailles ont été abattues dans les élevages infectés ou de manière préventive. Dont quatre millions de canards dans la filière foie gras. Et six millions de canards n’ont pas été mis en production. Chez les producteurs de la région, la gestion de la grippe aviaire fait grincer des dents.
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« On nous demande beaucoup d’efforts, mais il n’y a plus personne pour nous écouter quand il y a un problème, déplore Benjamin Rogeau. On ne sait vraiment pas où on va. » Lors d’une conférence de presse le 20 octobre en présence du ministre de l’Agriculture, le Cifog (Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras) a indiqué que la production de foie gras devrait chuter de 30 % à 35 % en 2022. Un « recul historique », selon les termes de son président, Éric Dumas.
Démunis face au non-approvisionnement en canetons, les producteurs cominois ont tenté de sauver les meubles… grâce à l’anticipation.
Dès le mois de mars, le couple a revu sa copie. En temps normal, les Canards de la Lys, c’est 50 % de produits frais et 50 % de produits transformés. « On a réduit la part de produits frais et on a énormément transformé pour assurer un stock de produits jusqu’à la fin de l’année », résume Sabine. Foie gras entier, pâté, confit, terrines de foie gras mi-cuit… la Cominoise énumère les produits qu’elle sera fière de proposer à ses clients pour les fêtes de fin d’année.
Alors que le Cifog annonce une hausse de 25 % du prix du foie gras – soit 40 à 50 centimes par tranche de 40 grammes – les producteurs locaux ont décidé de ne pas répercuter leurs difficultés sur les tarifs. « Nous avons les mêmes prix depuis sept ans, rappelle Benjamin. Ce ne serait pas correct pour notre clientèle, ce n’est pas notre façon de faire. » « Surtout si c’est notre dernier Noël… », lâche Sabine. Car oui, le couple se doit d’envisager le pire scénario. La Cominoise sera présente sur les marchés de fin d’année avec le sourire aux lèvres, malgré tout. « C’est l’amour du métier et le contact avec le client qui nous fait tenir. »
L’une des activités principales de l’entreprise artisanale Lucullus, à Prouvy (59), ce sont les produits traiteur à base de foie gras. Son président, Augustin Motte, aborde la situation avec pragmatisme : « Nous avons diversifié nos produits. Nous n’avions pas trop le choix. » La Lucullus de Valenciennes, produit phare de l’entreprise à base de langue de bœuf fumée et de foie gras – est évidemment maintenue. D’ailleurs, Augustin Motte voit même une opportunité dans cette crise qui touche la filière foie gras : « On attend une très grosse année pour la Lucullus. Nous aurons des volumes un peu plus faibles, mais la concurrence ne sera pas aussi présente que les années précédentes. Il y aura peu de promotion sur le foie gras. La Lucullus sera plus visible en rayon. Philosophiquement, on ne se plaint pas que le foie gras retrouve ses lettres de noblesse. » Le prix de la Lucullus sera « entre 10 et 20 % » plus élevé en cette fin d’année.
Nicolas De Ruyffelaere