Votre météo par ville
Les dômes verts des digesteurs de l’unité de méthanisation de l’exploitation des frères Liévin, à Volckerinckhove, dans les Flandres, s’aperçoivent au détour d’un virage. Cette ferme faisant du porc en naisseur-engraisseur et cultivant 80 hectares s’est lancée dans cette activité complémentaire en 2017.
Chaque jour, des déchets agroalimentaires intègrent le premier digesteur, installé au cœur de l’exploitation. Leur composition ? Des déchets issus de coopératives de céréales, en provenance de l’industriel McCain, des tontes d’herbes fauchées le long des routes départementales et bien sûr les 15 m3 de déjections animales produites par les quelque 300 truies,
Sous l’effet des bactéries et d’une température de 40° C, ces déchets solides sont progressivement dégradés et libèrent du gaz. Ce gaz monte progressivement sous le dôme, ce qui le fait gonfler. Trois bâches sont superposées pour éviter qu’elles ne s’arrachent ou n’explosent sous l’effet du gaz. “C’est une soupape de sécurité », détaille avec passion Stéphane Liévin, qui gère cette activité.
Les déchets resteront 42 jours dans cette première cuve, avant d’être dirigés par une pompe (qui retire 30 m3 par jour) vers le second digesteur. Là, les 20 à 30 % de gaz restant dans les déchets seront extraits pendant encore 42 jours. “Dans le deuxième digesteur, on affame les bactéries pour qu’elles dégradent ce qu’il reste de gaz dans les déchets.»
Les digesteurs fonctionnent grâce à un moteur à injection électrique qui chauffe de l’eau qui va serpenter le long des cuves tous les trente centimètres, sur cinq mètres de hauteur, permettant de maintenir une température tropicale. 90 % de la chaleur est ensuite valorisée et permet de chauffer la nurserie des petits porcelets.
Le biométhane ainsi produit sur l’exploitation est transformé en électricité par cogénération, et représente la consommation annuelle de 500 foyers de quatre personnes. “Quand on s’est lancé, on ne pouvait pas être raccordé au réseau de gaz, c’est pour cela que nous le transformons en électricité », détaille cet ancien de chez Danone, intarissable sur le sujet.
Et pour cause, depuis le lancement de la réflexion avec ses deux frères, Didier et Vincent, en 2014, il s’est lancé à corps perdu dans cette aventure. “Mes deux frères étaient alors associés en Gaec et je travaillais chez Danone depuis vingt ans. Je faisais le lien entre l’usine et les producteurs de lait, détaille-t-il. L’idée avec la méthanisation, c’était d’aller au bout des choses. On avait un potentiel qu’on n’exploitait pas avec les déjections animales, et le but était aussi d’être autonome en engrais. »
La réflexion s’est surtout engagée à un moment où les cours du porc étaient au plus bas et l’avenir financier de l’exploitation incertain. “Ça a permis de revaloriser l’élevage de porcs et de garantir des revenus fixes dans le temps », détaille-t-il.
Après deux ans de remue-méninges et une année de chantier, qu’ils ont en grande partie réalisé eux-mêmes, Stéphane Liévin a rejoint ses frères à temps plein. “Au départ, ce n’était pas prévu, mains on ne trouvait personne qui acceptait d’y travailler.»
Il faut dire que la méthanisation “nécessite beaucoup de suivi. Il ne faut pas croire que tout se fait tout seul. La méthanisation, ça tourne 24h/24. Pour un oui ou pour un non, une pompe coince, une électrovanne se bloque et des alarmes résonnent. Vu les montants d’investissement, il faut être rigoureux ».
“La méthanisation est une petite industrie, poursuit Stéphane Liévin. Tout est commandé par des électrovannes, des contacteurs. Le digesteur est une cocotte minute chauffée en permanence.»
Autre point de surveillance pour que les déchets se dégradent correctement, “il faut être très régulier à la fois dans la manière d’alimenter le digesteur et dans les matières qu’on y apporte. Il faut au moins 50 % de déjections animales. Les bactéries sont très sensibles à leur environnement.»
La méthanisation génère également du soufre, “ce qui est mauvais pour le moteur ». Alors que le gaz monte en hauteur, un filet tendu en haut de la cuve, sous le dôme, retient le soufre qui sera récupéré pour nourrir les plantes dans les champs. Et comme rien ne se perd dans la méthanisation, le digestat, entendez par là les déchets restant du processus de méthanisation, retournent aux champs pour nourrir les plantes. Grâce à ce procédé, l’exploitation de 80 hectares est autonome en engrais depuis trois ans.
Autre paramètre à prendre en compte : l’asséchement nécessaire du gaz issu de la méthanisation avant de l’injecter dans le réseau. Le gaz passe ainsi dans un serpentin de 80 mètres installé dans le sol, qui est à une température moyenne de 10 °C. “C’est un puits à condensation. L’eau contenu dans le gaz se dépose dans le fond des tuyaux », ce qui permet de l’assécher.
Mise en service le 4 juillet 2017, cette unité sera bientôt rejointe par sa petite soeur. Les trois frères travaillent sur une extension. “Elle devrait déjà être en service, mais elle a pris du retard avec le confinement», confie Stéphane Liévin. Pour l’instant, la cuve n’est pas encore couverte.
Elle sera bientôt raccordée à une nouvelle canalisation de gaz toute neuve, de six kilomètres. Le chantier est en cours, pris à 60 % en charge par l’agriculteur et à 40 % par GRDF. Lors de sa mise en service, prévue en 2021, elle pourra alimenter jusqu’à 2000 foyers en gaz.
Claire Duhar