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Elles s’appellent Alice, Chance et Haggival. Ce sont trois juments boulonnaises. Des juments qui se préparent depuis l’automne pour aller à Paris, au Salon international de l’agriculture. Une première pour elles.
« Cet automne, pendant un mois, nous avons préparé les chevaux de Mehdi Malim et de Morgan Robillard aux épreuves de sélection du Salon. Le jour J, les chevaux étaient prêts et ont été sélectionnés. Nous intégrons la délégation d’une quarantaine de personnes de la Société française des équidés au travail », raconte Loïc Cheuva, directeur de l’association d’insertion Cré’actif.
Plusieurs salariés et membres de l’association accompagneront cette épopée équine : Maxime et Sébastien seront les grooms de Morgan et de Mehdi et s’occuperont des chevaux. Lysiane et Élise intégreront, elles, l’équipe de la restauration.
Tous sont sur place jusqu’au 6 mars, en immersion. « Ils vivront une expérience professionnelle intense. C’est une grande fierté pour eux et pour toute l’association », qui emploie 55 salariés en contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI), encadrés par 18 permanents. Une fierté si grande que les autres salariés souhaitent qu’un bus soit affrété pour soutenir leurs collègues sur place.
Une aventure que l’association n’aurait pas pensé vivre lorsqu’elle a été créée en juin 2006, au Portel (62). « Nous avons commencé avec huit femmes qui fabriquaient des meubles en carton dans un chantier d’insertion. Puis, nous avons proposé une activité de second œuvre dans le bâtiment. Ensuite, nous avons réalisé 16 costumes de scène de l’époque victorienne pour des spectacles au Château d’Hardelot (62). En 2019, nous avons repris l’activité et les salariés d’une autre structure d’insertion boulonnaise Biosol 62 spécialisée dans le maraîchage bio. », raconte Loïc Cheuva. L’Atelier Cré’actif Biosol – son nom officiel – dispose également d’une légumerie et commercialise ses produits sous la marque « Les jardins du Boulonnais ». C’est la reprise de l’activité de maraîchage bio qui va déclencher la découverte des chevaux du Boulonnais.
« Quand j’ai découvert la façon dont les salariés travaillaient en maraîchage, j’ai été choqué, raconte Loïc Cheuva. Ça ne correspondait pas à l’image que je voulais donner de l’insertion. Les salariés en maraîchage travaillaient à quatre pattes. Ça n’était pas possible, j’ai cherché une solution, je l’ai trouvée grâce à la traction animale. »
Au début, cette traction animale est réalisée par trois ânes, propriété de l’association. Il a fallu former les hommes et changer les mentalités. « Ça n’a pas été un combat facile. J’ai dû entamer un bras de fer, non pas avec les salariés en insertion, mais avec les encadrants techniques qui pensaient que c’était une lubie. Maintenant, c’est entré dans les mœurs. On ne reviendra pas en arrière. »
Loïc Cheuva va plus loin : « Grâce à la traction animale, nous avons remis les hommes debout, au sens propre comme au sens figuré. Nous leur avons apporté un véritable savoir-faire en les formant. Le maraîchage, n’est pas notre but, le maraîchage n’est qu’un support à notre action d’insertion, notre véritable cœur de métier. » Car l’objectif est bien de remettre ses personnes, en grande majorité allocataires du RSA, sur la voie de l’emploi classique.
C’est par cet intérêt pour la traction animale que l’association est arrivée à la Maison du cheval boulonnais, à Samer (62), lors de sa création par la communauté de communes de Desvres-Samer. L’association hérite d’une parcelle de 1,7 hectare pour y effectuer des travaux de maraîchage.
Au début, la traction animale est assurée par les ânes. « Rapidement, il est devenu évident que nous devrions travailler avec des boulonnais », poursuit Loïc Cheuva.
Mais acheter des chevaux boulonnais n’est pas aussi simple que ça. Lors des premiers contacts avec les propriétaires, la méfiance règne. Loïc Cheuva se souvient d’un éleveur qui lui a dit, tout de go : « Jamais tu n’auras Petites oreilles » (une spécificité de la race, lire aussi l’encadré ci-dessous, ndlr). Le directeur de Cré’actif s’arme de patience et de persuasion.
Une stratégie gagnante : l’association possède aujourd’hui trois chevaux boulonnais : deux jeunes mâles de six mois, Lord de Tachincourt et Lucky de l’Écurie, ainsi qu’une pouliche de 18 mois, Kathy de l’Écurie. « Nous les avons achetés grâce au mécénat d’entreprises locales », remercie Loïc Cheuva.
Pour s’occuper des chevaux et développer cette nouvelle activité, l’association embauche, en septembre 2021, Morgan Robillard, comme encadrant technique. Maréchal-ferrant, expert en traction animale et propriétaire de boulonnais, il est reconnu dans le milieu. « Ça a été un tournant », reconnaît Loïc Cheuva. Un tournant qui les mène aujourd’hui au SIA pour défendre cette race et la Maison du cheval boulonnais.
Loïc Cheuva en est persuadé : « Ici, ce n’est pas un musée, ce n’est pas un zoo. Au contraire, ça doit être un conservatoire dynamique à l’heure où les éleveurs vieillissent, où se pose la question de la relève et du renouvellement alors que le nombre de naissances de chevaux boulonnais vient de passer sous la barre des 200 naissances par an (170 en 2021, ndlr). Notre mission, avec d’autres, c’est de promouvoir ce cheval en le mettant en situation, en le faisant travailler, ce qui est sa raison d’être et sa noblesse. »
« Il existait deux sortes de boulonnais : le mareyeur et le betteravier, détaille Loïc Cheuva, directeur de Cré’actif. Le mareyeur, plus petit et plus trapu, allait dans la mer et se faufilait dans les rues de Paris. Le betteravier, plus grand et plus costaud, travaillait aux champs. Au fil des ans, les caractéristiques se sont délitées à cause des croisements. » Les petites oreilles courtes, bien droites, qui tournent à 360° demeurent et font la fierté des éleveurs.
Hervé Vaughan
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