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« Chers voisins ». Tous les six mois depuis le printemps 2020, Cécile Fléchel-Lebrun prend sa plume pour s’adresser aux riverains qui entourent son exploitation agricole à Marly (59). « Les couverts végétaux ont bien rempli leur mission de protection du sol pendant l’hiver, écrivait-elle en mai dernier. Ils ont permis de garder la fraîcheur et l’humidité de la terre alors que le vent soufflait fort. »
Il y a cinq ans, cette fille de producteurs de pommes de terre s’est sentie affectée par « le lynchage gratuit de l’agriculture ». Elle a voulu semer sa petite graine.
À l’époque, elle est ingénieure automobile. Elle remet en question son quotidien à l’usine et voit grandir en elle l’envie d’entreprendre tandis que son fils aîné fait sa première rentrée scolaire. Virage. « J’ai toujours dit que je ne reprendrai jamais la ferme familiale, dit-elle en souriant. Je n’ai pas étudié l’agriculture mais les sciences de l’ingénieur. » Diplômée à l’Icam (Institut catholique d’arts et métiers), elle y a rencontré le futur père de ses trois enfants. « Il voulait faire des trains, moi des voitures. » C’est ce qu’elle a fait jusqu’en 2017. Cette année-là, son père vient de prendre sa retraite et sera bientôt suivi par sa mère. Le processus de transmission est lancé pour céder l’exploitation agricole à qui voudra. Elle lève la main. Elle se donne cependant quelques mois. Le temps de voir si le métier lui plaît. « L’automne est compliqué. Les arrachages sont difficiles, dans la gadoue, les conditions sont ingrates. »
Qu’importe. Elle se fait accompagner par une coach, elle a besoin de confirmer qu’elle fait ce choix pour elle, et non pour les autres. « Je sentais que c’était bien pour plein de paramètres, mais je devais le faire d’abord pour moi, pas pour mes parents, pas pour mon fils, pas pour ma vie familiale. » Elle retourne sur les bancs de l’école, soutient son rapport enceinte jusqu’au cou, et s’installe sur la ferme familiale en 2020. « Je suis passée de cadre à responsabilité dans une grande usine à stagiaire de mes parents ! »
Cécile Fléchel-Lebrun veut se trouver un projet, « mettre la main à la pâte pour que la ferme (lui) ressemble. » Elle a déjà enseigné, elle aime la pédagogie, apprendre aux autres, transmettre ses connaissances. Expliquer l’agriculture et les challenges qui l’attendent lui semble une belle voie à suivre.
En mai 2020, elle écrit la première d’une série de lettres. « Chers voisins. Alors que le monde se confine et que la nature et l’agriculture se réveillent, je tenais à vous informer de ce qui se passe dans le champ derrière chez vous cette année. » Et puis, comme sa mère quelques mois avant, elle se forme auprès de l’association du Savoir vert pour accueillir des classes et parler aux plus jeunes. Le Valenciennois compte peu d’agriculteurs formés à l’accueil pédagogique. « Il me semble important que les enfants se reconnectent au cycle de la nature et puissent s’initier à l’origine de leurs aliments ». Dès la première année, 15 classes répondent à l’appel.
L’agricultrice emmène les élèves à travers champs qui paraissent en contrebas à certains endroits. Une briqueterie y extrait l’argile puis remet la couche de terre arable. Sur ses 120 hectares, elle cultive avec ses parents la moitié en blé, un quart en pommes de terre et le reste mixe cette année betteraves, maïs et petits pois.
À ses jeunes visiteurs d’un jour, elle montre l’assolement, les rotations. Les prairies au loin lui permettent d’expliquer le foin. « Les paysages sont intéressants pour expliquer l’agriculture. On écoute le vent, on voit passer les lièvres. Là, il y a des betteraves, là du blé, l’an prochain ce sera du colza. Face à un champ, c’est le bon endroit pour parler de rendre à la terre ce qu’on lui prend. On peut lui rendre plein de choses, le fumier, par exemple. »
Pour captiver les enfants pendant près de 2 h 30, la Marlysienne a plusieurs cordes à son arc. Après la balade, elle enchaîne différents ateliers pour appréhender le cycle du blé en corrélation avec les saisons, puis la fabrication du pain après avoir moulu et tamisé la farine, avant d’admirer quelques tracteurs garés sous le hangar.
Elle a installé des tables au milieu des palox et y accueille les élèves en mai et juin. Jusqu’en avril, le hangar est rempli de pommes de terre, le matériel est stocké où il y a de la place. Elle a concocté également un kit de balade pour occuper un groupe tandis que le second est avec elle. Cet itinéraire de 5 km permet aux élèves de découvrir « l’histoire du coin » avec un rallye photo. « Je privilégie les écoles locales. Mon but est de parler à mes voisins sur ce qui se vit dans la plaine », conclut-elle. La graine a germé.
Louise Tesse