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Hamid, Maekele, Issa ou encore Shirazi. Ce sont les protégés de Jean-Michel Sauvage, paysan bio à Courcelles-le-Comte (62), petite commune près d’Arras.
Étrangers en situation régulière ou réfugiés sur le sol français, ces hommes venus d’ailleurs se retrouvent ensemble pour désherber les champs de carottes de l’agriculteur. En pénurie de main-d’œuvre cette année, Jean-Michel Sauvage a fait le choix d’embaucher et de former ces hommes déracinés de leur pays, à la recherche d’un avenir meilleur.
Avant de cultiver des légumes, Jean-Michel a suivi les pas de son père, éleveur de porcs. Après plusieurs années d’activité, malheureusement, il a déposé le bilan : « À ce moment de ma vie, je suis tombé. J’ai été jugé et j’ai obtenu un plan de redressement sur 14 ans », se souvient l’agriculteur.
Il fait alors le choix de se tourner vers le bio « plus rentable économiquement » et plus en adéquation avec ses valeurs. On est en 2005 et Jean-Michel Sauvage doit faire face à une évidence : « Je ne trouvais personne, ou presque, pour venir travailler dans les champs. »
Carottes, oignons, potimarrons ou encore pommes de terre sont cultivés sur 60 hectares. Mais le bio est gourmand en main-d’œuvre. Il fallait « entre 50 et 60 personnes pour désherber » lorsqu’il a démarré. Seulement, « avec une rémunération au Smic dérisoire de ce travail dur et pénible, le modèle agricole actuel fait fuir et personne ne veut venir y travailler », se désole Jean-Michel.
Il fait alors appel à des travailleurs détachés, « principalement des Marocains et des Espagnols ». Mais l’année dernière, avec la Covid-19, la tâche se complique. Confinements, déplacements interdits ou limités, il lui est impossible de recruter. Et localement, sur Courcelles, il ne trouve personne non plus.
Pour ne pas revivre cette situation, Jean-Michel a l’idée de se tourner cette année vers le maire de Croisilles, non loin de Courcelles. « J’ai sollicité Gérard Dué pour lui demander s’il y avait, dans la commune ou aux alentours, des personnes volontaires pour travailler dans l’agriculture », explique-t-il.
L’élu le redirige vers le centre d’accueil de migrants de Croisilles, géré par la Vie active, en partenariat avec l’association Audasse d’Arras. Ces deux organismes prennent en charge les migrants, notamment ceux qui arrivent à Calais. « Certains ont été intéressés par mes propositions d’embauche, explique Jean-Michel, et la mayonnaise a rapidement pris. »
Depuis mai, une dizaine de personnes ont été embauchées en CDD « pour environ 13 € brut de l’heure », précise Jean-Michel. Et pour ceux qui souhaitent continuer l’aventure, il s’engage à les prolonger en CDI : « Je veux les accompagner sur le long terme. Ils ont sauvé mes cultures. »
En tout, neuf nationalités sont représentées dans les champs de Jean-Michel : « Des Afghans, Arméniens, Albanais, Tchadiens, Soudanais, Érythréens, Sénégalais, Angolais ou encore des Marocains », énumère-t-il fièrement. Car pour lui, cette démarche relève bien plus d’un devoir citoyen que d’une simple solution pour combler sa pénurie de mains-d’œuvre.
Il résume ainsi son engagement : « Nous avons une dette éternelle envers les étrangers. Hier, ces personnes ont combattu pour nous, à plusieurs moments de notre histoire. Nous leur devons la reconnaissance. Aujourd’hui, nous pillons leurs richesses naturelles : leurs minerais, leur bois… Comment pouvons-nous être encore étonnés que ces personnes migrent ? Ces gens fuient la guerre et la misère. »
Il se souvient d’un travailleur Érythréen à qui il conseillait de s’épargner de trop lourdes charges : « Il m’a répondu que ce n’était pas si lourd pour lui, car dans son pays, il chargeait à bout de bras des bombes de 72 kg lors de son service militaire ». Le paysan souligne « la force et le courage de ces destins brisés ».
D’origines et d’âges différents, ces migrants ont un désir commun : se former à un métier. « Ici, j’apprends quelque chose de concret. L’agriculture, c’est bien. J’aime ce que je fais », raconte Issa, 25 ans. Il a quitté le Tchad il y a quelques années, car « là-bas, c’est la dictature ». Il avait entamé des études en informatique en France, mais il lui fallait un salaire pour subvenir à ses besoins.
Shirazi, lui, est un poil plus âgé. À 27 ans, il allait bientôt devenir architecte en Arménie. Après avoir migré, il a travaillé un temps dans le bâtiment et s’essaye aujourd’hui au monde agricole.
Maekele, 46 ans, pauvre de petits boulots sans lendemain en Érythrée s’est également lancé aux côtés de Jean-Michel cette année. Tous se disent heureux de pouvoir travailler dans les champs. À les entendre chahuter au loin entre les plants de carotte, il est difficile d’en douter.
Laurène Fertin