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Négociations commerciales : Pour ou contre les dates butoirs ?

14-02-2024

Actualité

C’est tout frais

Alors que les négociations commerciales annuelles entre la grande distribution et les professionnels de l’agroalimentaire, se sont terminées le 31 janvier 2024, ce mode de fonctionnement questionne, notamment sur le principe de date butoir.

Pour Léonard Prunier, la question des dates butoirs n’est pas l’enjeu principal. C’est le système des négociations qui est à revoir. © FEEF

Chaque année, les négociations commerciales entre les GMS (grandes et moyennes surfaces) et les professionnels de l’agroalimentaire se déroulent entre le 1er décembre et le 1er mars. Mais pour cette année 2024, pour faire baisser rapidement les prix en rayons pour le consommateur, dans un contexte d’inflation, l’État a décidé d’avancer ces négociations. Aussi ont-elles eu lieu entre le 1er décembre 2023 et le 31 janvier 2024.

Deux dates butoirs

Pour être plus précis, une première date butoir a été mise en place au 15 janvier pour les petites et moyennes entreprises ou de taille intermédiaire (chiffre d’affaires inférieur à 350 millions d’euros) avec une prise d’effet de l’accord au 16 janvier. La seconde date butoir du 31 janvier s’adressait aux grands industriels (chiffre d’affaires égal ou supérieur à 350 millions d’euros) avec une prise d’effet de l’accord au 1er février.

Ce système de dates butoirs mais aussi de négociations une fois par an est spécifique à la France. Dans d’autres pays de l’Union européenne ou du monde, les négociations ont lieu toute l’année et sont parfois assez peu encadrées par l’État.

Face à cette situation, la plupart des GMS souhaiteraient une fin des dates butoirs tandis que les grands industriels préfèrent leur maintien. Entre deux se trouvent les PME (petites et moyennes entreprises) et les ETI (entreprises de taille intermédiaire) pour qui, la fin des dates butoirs n’est pas forcément la meilleure solution mais le système actuel non plus. Décryptage avec Léonard Prunier, président de la FEEF (Fédération des entreprises et entrepreneurs de France).

Un héritage du passé

Pour bien comprendre les enjeux autour des dates butoirs et plus généralement des négociations commerciales, il faut remonter un peu dans le passé. L’instauration d’une date butoir date de 2008 et de la loi de modernisation de l’économie (LME), alors voulue par le Président de la République, Nicolas Sarkozy. Son objectif principal était de faire baisser les prix.

Cette année encore, l’avancée des dates butoirs avait pour but « de faire baisser rapidement les prix dans les rayons. Au final, à la FEEF, nous demandions une hausse des prix de 3 % et on signe à – 1 %. Dans le détail, certains produits augmentent et d’autres baissent plus fortement, on ne parle ici qu’en moyenne. Mais ce qu’il faut comprendre, c’est que parallèlement, le coût des matières premières agricoles a augmenté de 7 %, celui des matières premières industrielles (emballages par exemple) de 8 %, celui de l’énergie a bondi de 62 % et les salaires ont en moyenne été augmentés de 5 %. Concrètement, ça va être compliqué », détaille Léonard Prunier.

Des négociations commerciales de plus en plus complexe

Chose peu connue, les négociations commerciales servent, en effet, à fixer les prix de vente entre les industriels et les distributeurs, mais aussi le point d’affaire, les clauses de révisions automatiques des prix et les clauses de renégociations. « On va venir définir un pourcentage de variation du prix des matières premières à partir duquel on acte qu’il y a renégociation du prix de vente. Pour les ETI et les PME, c’est très compliqué de déterminer tout cela car la variation a beaucoup plus d’impact sur nos finances que pour des grands industriels », explique Léonard Prunier.

De manière plus globale, le président de la FEEF dénonce un système « de plus en plus complexe. Si le maître mot du gouvernement est la simplification, ce serait bien que ça s’applique jusqu’ici. Parce que ce qu’il faut comprendre, c’est que pour chaque produit, il faut négocier. Or, quand on est une PME ou une ETI, on a beaucoup de références… C’est tellement complexe qu’aujourd’hui les grands industriels arrivent avec une armée d’avocats aux négociations. Nous, on ne peut pas faire ça. »

Adapter selon la taille

On le comprend donc, le système actuel ne convient pas vraiment aux PME et ETI, ni aux distributeurs. Ainsi, Jacques Creyssel, le délégué de la Fédération du commerce et de la distribution déclarait dans les colonnes des Échos en octobre dernier : « Nous sommes favorables à la suppression de la date butoir. Aucun autre pays n’a un tel dispositif. »

En face, Jean-Philippe André, le président de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania), rétorquait qu’il valait mieux éviter de « traiter ce sujet à chaud, avec le risque de créer de la confusion supplémentaire ».

De son côté, Léonard Prunier prône plutôt une solution intermédiaire : « La date butoir est un sujet mais il faut penser plus global. Nous, ce qu’on demande c’est que l’on puisse faire bouger les prix quand on en a besoin, mais pas que la négociation soit perpétuelle comme ça pourrait être le cas si on supprime les dates butoirs. »

Pour lui, surtout, il s’agit de trouver une certaine souplesse et d’adapter le mode de négociations à la taille de l’entreprise. « Pour nous, c’est du bon sens quelque part. Dans tous les pans du droit, il y a une différenciation des règles en fonction du statut de l’entreprise. Pourquoi pas pour les négociations commerciales ? En France, nous sommes très attachés à l’égalité. Mais l’égalité ça ne veut pas dire tous jouer avec les mêmes règles mais avoir tous les mêmes chances. Or, nous n’avons pas les mêmes armes. »

« On est dans un monde qui enchaîne les crises, il faut donc un système plus flexible et plus basé sur les relations humaines. Les marchés sont tellement volatils, on voit bien qu’il faut revoir les choses. »

Léonard Prunier, président de la FEEF

Concrètement, le président de la FEEF penche pour un système plus intégré et plus réactif aux prix du marché. « Il y a un enjeu fort pour nous mais aussi pour les agriculteurs avec qui nous travaillons. Car nos marges, on ne les fait pas sur le prix des matières premières agricoles qui est sanctuarisé et c’est tant mieux. Mais si on ne fait pas assez de marge pour survivre, qui achètera cette matière première ? Il faut donc penser global. Quand on négocie, la plupart du temps les distributeurs nous indiquent qu’ils veulent bien répercuter les hausses des matières premières, mais pas l’énergie. Au final, on perd la main sur tout. »

« On est dans un monde qui enchaîne les crises, il faut donc un système plus flexible et plus basé sur les relations humaines. Les marchés sont tellement volatils, on voit bien qu’il faut revoir les choses. »

Face à tout cela, une mission transpartisane pour réfléchir à la réforme du cadre global des négociations commerciales a été lancée par le gouvernement. Elle vise à étudier la pertinence de ce rendez-vous annuel mais aussi, elle devra trouver le moyen de rendre effectives ces fameuses clauses de renégociations qui restent pour beaucoup théoriques. Enfin, cette mission gouvernementale devrait aussi remettre à plat voire corriger les travers de l’empilement de lois sur les relations entre fournisseurs et distributeurs : Egalim 1, Egalim 2, ou encore la loi Descrozaille.

Eglantine Puel

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