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On dirait du Tintin. « Objectif GMS », avait annoncé Denis Bollengier le matin même. Promesse tenue, on retrouve le membre de la FDSEA quelques heures plus tard ce lundi 29 janvier. Avec d’autres agriculteurs, des sections Dunkerque et Hazebrouck de la FDSEA ainsi que les Jeunes agriculteurs (JA) des Flandres, ils bloquent l’accès au Super U de Steenvoorde à l’aide de leurs tracteurs. Il est 15 h, les clients ont pu terminer leurs courses tranquillement et s’en aller. Ensuite, tout a été bouclé. C’est la forme que prend l’acte 2 de la mobilisation, décidée à l’échelle départementale par le syndicat majoritaire, alors que « les annonces du Premier ministre sont totalement creuses, à la limite de la provocation », pense l’agriculteur d’Esquelbecq.
À quelques heures de la clôture officielle des négociations commerciales et alors que le non-respect de la loi Egalim cristallise l’injustice ressentie, les supermarchés sont érigés en symbole. Celui-ci a été choisi « par hasard. Et encore, ce n’est pas le pire de tous », reconnaît Denis Bollengier qui vise sans hésiter Leclerc, « le pire », qui aura droit à une journée pleine de blocage sur deux sites – Hazebrouck et Bailleul – le lendemain (mardi 30 janvier, ndlr). « Le consommateur ne paie jamais moins cher, ce sont les marges qui augmentent toujours. N’oubliez pas que les familles les plus riches de la région sont propriétaires de ces enseignes », invite le sexagénaire qui ne comprend toujours pas pourquoi, arrivés à Egalim 2, on n’est toujours pas capables de faire appliquer une loi.
Ce lundi après-midi, le responsable du rayon boucherie de Super U est sorti discuter avec les agriculteurs – dont sa cousine fait partie – et rappelle qu’il favorise au mieux les achats locaux. Et alors qu’il rejoint la grande surface au rideau baissé, regrettant dans un demi-sourire de n’avoir « pas pu en profiter pour avoir son après-midi », les anciens racontent comment le blocage de l’A25, inédit par sa durée, a été « long mais tranquille », se souvenant au passage des « grands moments passés ». Les anciens combattants se souviennent surtout de 1992, et « la PAC ». Il y avait eu les tracteurs à Lille. « Et puis l’hôtel des finances d’Hazebrouck », se marrent Jacques et François. « Le fumier, c’est lui. Le lisier, c’est moi », savourent-ils encore à distance : « 40 000 litres de lisier dans les archives. Ça a senti pendant dix ans », s’enorgueillit Jacques, à la fête comme un gamin. « Et pour le fumier au premier étage, ils avaient laissé les fenêtres ouvertes en même temps… », renchérit son comparse. « Aujourd’hui, le fumier, c’est Macron », profite pour formuler un agriculteur.
Bon enfant, c’est aussi le ton qui a présidé au blocage de l’A25, « une opération symbolique sans débordements. On n’a rien cassé, on a juste apporté un peu de brin mais c’était pas par plaisir », formule Christian Decherf, président de la section FDSEA d’Hazebrouck. Il raconte le soutien des professions para-agricoles, celui des commerçants aussi dont certains ont distribué croissants ou saucisses. « Et l’ambiance familiale. Il y a parfois eu jusque 400 personnes sur place, et plus d’un millier se sont succédé au total », compte-t-il. Même son de cloche pour Antoine Stoffaes, vice-président des Jeunes agriculteurs des Flandres. À 28 ans, installé depuis deux ans, il a passé les quatre jours et trois nuits sur l’autoroute, « juste relayé pour aller faire les vaches », précise le jeune éleveur de Merris. La nuit dans le tracteur, « ça fait des souvenirs, mais on s’en serait bien passé ».
Compliqué pour l’éleveur d’aller prêter main-forte à Paris, comme s’apprêtaient à le faire ses comparses du Nord ou du Pas-de-Calais, dans un roulement méticuleusement organisé qui doit permettre de bloquer tous les grands axes menant vers la capitale. Imagine-t-il la suite, si Paris ne suffit toujours pas ? « Alors ce sera Bruxelles », projette-t-il sans peine. « En espérant ne pas devoir arriver jusqu’au Salon (entendu de l’agriculture, qui se tiendra à Paris du 24 février au 3 mars, ndlr). Ils en ont tous peur, j’espère que nous n’aurons pas à y arriver », prévient le jeune homme.
La situation est sous contrôle, presque trop tranquille sur cette route menant au Super U de Steenvoorde quand il est décidé d’une autre opération en parallèle. Quelques tracteurs restent assurer le siège du supermarché, les autres se mettent en branle vers le rond-point de Flandres, à l’entrée de l’autoroute. « On va contrôler la marchandise des camions, annonce Christian Decherf. Attention, nous avons un accord avec les Belges, on laisse passer leurs camions comme ils laisseront passer les nôtres. »
Quelques minutes et kilomètres plus loin, la file s’allonge à mesure que les agriculteurs, improvisés douaniers, arrêtent les camions pour en vérifier la cargaison sous le regard amusé des forces de l’ordre. Ça commence par un geste, le camion s’arrête. Une fenêtre qui se baisse et un échange, en franglais, qui doit permettre de vérifier le bon de livraison.
Seule la marchandise alimentaire sera contrôlée, symboliquement, en ouvrant le hayon et en photographiant la cargaison. Ici une remorque vide, là des carottes en provenance de Belgique et livrées au Royaume-Uni par un camion bulgare dont le chauffeur se soumet non sans mal au contrôle improvisé, feignant de redémarrer avant qu’un tracteur ne vienne lui couper net la route. Petit conciliabule des apprentis contrôleurs quand ils tombent sur un camion plombé par les Douanes : ils le laissent finalement passer sans le mettre en difficulté. De part et d’autre du rond-point, décoré d’un tracteur flanqué d’un mannequin tête en bas et d’une pelle pleine de fumier, une opération toute symbolique, qui permet d’occuper un peu l’espace. Quelques voitures klaxonnent en guise de soutien. Un petit air de gilets jaunes.
Justine Demade Pellorce